«Un vin rouge avec du sucre ? Horrible !»
Ce titre, on l’emprunte à l’icône valaisanne Marie-Thérèse Chappaz, une des vingt femmes du vin qui répondent à un questionnaire de la dernière édition de l’année 2020 du Schweizerische Weinzeintung, dont l’édition n’est publiée à Zurich qu’en allemand. Une pièce au dossier pour qui veut fournir à la Suisse alémanique des vins rouges (vaudois) avec du sucre résiduel.
Par Pierre Thomas
Sous le nom d’«Escargot rouge», les vignerons vaudois devraient proposer deux vins rouges d’assemblage réservés au marché alémanique dès septembre 2021. Le plus simple aurait été de «doser» au final le vin par du moût concentré rectifié (MCR), ce que la législation AOC a, précisément, exclu. Il faudra donc laisser un peu de sucre (on parle de 5 à 10 g.) en cours de fermentation, avec tous les aléas que cela pose à la filtration. Les vins passeront l’épreuve d’une dégustation et d’un calibrage, comme au bon vieux temps du rouge commun vaudois «salvagnin», où un échantillon de référence était proposé chaque millésime par une maison de négoce, et les autres vins jugés dignes de l’appellation en fonction de ce témoin.
«Quels sont les vins que vous «mettez de côté» (…«lassen gerne links liegen») ?», a-t-on demandé à ces vingt femmes du vin de 2020. Je ne reprends ici que les réponses des Suissesses connues — aucune Vaudoise ne figure dans cet échantillon, ni Christelle Conne, membre du comité de l’Office des vins vaudois (OVV), ni Catherine Cruchon, ni Noémie Graff, ni Valérie Marendaz, ni Laura Paccot, cinq jeunes femmes du vin qui se profilent dans le deuxième canton viticole suisse, certes «réduit national» du chasselas…
Le sucre résiduel, mal vu dans les rouges !
A l’appui de ces vins rouges avec du sucre résiduels qui sont une abomination, Marie-Thérèse Chappaz lâche «Senza parole !». Cela pourrait dire «sans commentaire», mais aussi viser un vin de marque du Sud de l’Italie, vendu en Suisse sous cette étiquette… Autre membre de la Mémoire des vins suisses, la Tessinoise Gaby Gianini, du Castello di Morcote, qui a étudié l’art à l’université de Lausanne, déteste : «Les vins fabriqués, commerciaux. Et tous les «vins marmelade». Installée dans le Chianti, vigneronne depuis 22 ans à La Brancaia, Barbara Widmer écarte «les vins avec peu d’acidité et les vins superconcentrés».
Passons aux Grisonnes, Martha Gantenbein, met de côté «les vins trop alcoolisés, les vins fabriqués, qui ont tout mais qui ne me touchent pas». Et, autre grande productrice de pinot noir, Irène Grünenfelder : «les vins rouges épais avec du sucre résiduel. J’aime les vins filigranes, dynamiques, vibrants et complexes». La consultante Miriam Grischott : «Les vins des Pouilles» (cf M.-Th. Chappaz !)… mais qui se dit prête à changer d’avis si on lui présente un primitivo digne d’intérêt. La jeune vigneronne valaisanne Ilona Thétaz, qui se lance dans un nouveau projet de vins nature et orange, et de ferme, à Saxon (www.ofaya.ch): «Je n’aime pas le sucre résiduel dans les vins rouges.» Et, en contre-exemple, elle dit apprécier les pinots noirs des Grisons.
Et Chandra Kurt, qu’en dit-elle ? La publiciste zurichoise est la plus concise et la plus diplomatique. Pour elle, «aucun vin ne mérite d’être laissé de côté, tous ont des caractères positifs ou négatifs». Elle est aussi la seule à citer comme région viticole suisse de prédilection, «Lavaux sous protection de l’Unesco à chaque fois inoubliable». Et pour celle que Le Temps titularisait «La Madame Chasselas» en avril 2016, quand elle fut décorée commandeur de l’Ordre des vins vaudois par feu Pierre Keller, quel est son «vin maison» ? Un chasselas vaudois? Eh bien non : un chasselas, oui, mais un «non filtré», dont l’origine neuchâteloise n’est pas précisée… C’est le premier vin officiel du «nouveau millésime», mis sur le marché le 3ème mercredi de janvier.
Que préfèrent les consommateurs ?
Bien sûr, l’avis des producteurs/trices n’est pas forcément celui des consommateurs/trices, confronté(e)s, par exemple, à un choix triangulaire : face à deux verres de vin rouge sec et un autre auquel on a laissé un peu de sucre, lequel préférez-vous ? Pas sûr que les pros ne se laissent abuser, d’ailleurs, comme l’avaient montré les résultats de la Coupe Chasselas, il y a plus de vingt ans, ou des études menées récemment à Changins sur le profil du rosé. Les concours, nationaux ou internationaux, ont adapté leurs normes de «vins secs» à une tolérance variable de sucre, qui peut jouer son rôle, et fausser le jeu, quand on «enquille» 50 échantillons à l’aveugle en une matinée.
Un peu de douceur dans ce monde de brutes, n’est-ce pas… Encore faut-il tordre le cou à un cliché : les femmes n’aiment pas les vins rouges mous, en tout cas pas davantage que les hommes !
Ce texte, dans une version plus courte, a été publié, le 5 décembre 2020, sur le blog les 5 du vins.
©thomasvino.ch