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Posted on 16 avril 2021 in Tendance

Un apéritif à base de vin requinqué

Un apéritif à base de vin requinqué

Le Stim’. Une abréviation pour «Le Stimulant», un apéritif que les Morgiens ont connu durant un siècle, dès 1860, puis tombé à l’abandon, et qu’un trio, autour de l’œnologue Raoul Cruchon, a décidé de relancer, à destination de l’hôtellerie et de la restauration.

Par Pierre Thomas

Image piquée sur Facebook: merci Mathilde Hulot!

On pourrait faire un mauvais procès au vigneron vedette des hauts de Morges, qui s’apprête à remettre le domaine familial, bientôt labellisé en biodynamie demeter, à sa fille et à ses cousines. Trahit-il ses origines? A 60 ans, il a décidé de s’investir dans un projet né, presque, du hasard. Une bouteille de «Stimulant» restait chez un de ses amis, ouverte depuis plus d’une dizaine d’années (la production a cessé dans les années 1970). Malgré l’oxydation du produit, à base de vins (du «gros rouge» espagnol…) et de quinquina, l’œnologue trouve le liquide pas mal du tout.

La famille Salina, dont le dernier distillateur fut l’ancien syndic de Morges Xavier Salina, avait conservé les recettes du breuvage, à la fois apéritif et digestif. «Moi, je bois du chasselas à l’apéritif. Mais j’observe… Aujourd’hui, sur les terrasses de bistrot, il y a davantage de cocktails multicolores servis dans de gros verres, des piscines», constate Raoul Cruchon.

Du chasselas à la base

Ni une, ni deux, la recette de ce qui est un vermouth, est retravaillée. L’ancien apéritif était très foncé, brunâtre. Invendable aujourd’hui ! L’astuce pour éclaircir le liquide et le tirer vers le rose «pink» ? Jouer sur les 80% de vin ! Non pas sur un cépage blanc aromatique, mais miser sur le chasselas, neutre, pour 60% de l’assemblage, complété par un gamay-gamaret, pour lui donner de la structure.

A la dégustation, c’est moins le vin de base que ce qu’on lui ajoute qui, logiquement, marque les papilles. En l’occurrence, selon la formule du vermouth — devenu, à Turin, une «indication géographique protégée» qui fête en juin ses 30 ans ! —, un mélange d’une quinzaine d’herbes séchées, notamment de la gentiane. Celles-ci sont infusées dans de l’alcool neutre (à 94 degrés), puis macérées une seconde fois, et le marc distillé et incorporé. Avec cette «stimuline» et le vin de base, on ajoute 80 g/litre de sucre de betterave suisse (l’alcool devrait provenir à l’avenir également de betteraves suisses).

Si, à ces plus belles années, la maison Salina mettait jusqu’à 80’000 litres de son «Stimulant» sur le marché, principalement entre Lausanne et Genève, le lancement porte sur 15’000 bouteilles, soit 10’000 litres. Et le même volume est prêt à être embouteillé au domaine viticole d’Echichens.

Un bitter à la quinquina

Raoul Cruchon, le nez dans son produit…

Au goût, Le Stim’ est bien marqué par un ingrédient qui s’est fait une réputation durant la Covid19 : la quinine (55 mg/litre), au point que les rénovateurs en ont stocké avant que son prix s’envole… C’est cette écorce exotique, la quinquina rouge des Andes et d’Amérique centrale,  qui confère une note amère à l’apéritif. Le «bitter», titrant 17% d’alcool, peut se boire seul — «je le consomme en fin de repas, en digestif, comme un «amaro»», confie Raoul Cruchon — ou en cocktail. Un mixologue lausannois a créé une trentaine de mixtures plus ou moins complexes et plusieurs sont en ligne sur le site Internet.

Et ce nom de Le Stim’, un avatar de la com’ ? Que nenni ! Les autorités fédérales ont communiqué aux repreneurs de la recette que l’injonction de santé, «Le Stimulant», est proscrite pour l’alcool et le tabac. D’où le diminutif… La com’ proprement dite tourne autour de l’amertume du produit. «L’amer est à la mode ! Notamment à travers les gins», explique l’associée Carine Bosson, une commerciale qui connaît bien le marché romand, et qui appuie le projet avec le jeune œnologue Martin Wagner.

L’apéritif morgien ne sera pas proposé en direct, mais par des revendeurs et leur circuit, même si sa promotion se fera, notamment dans les bars, cafés et restaurants, par la Sàrl Le Stimulant.

Et pour paraphraser Renaud, «C’est pas l’amer qui prend l’homme, mais l’homme qui prend l’amer»… Entre autres jeux de mots déjà stimulés par ce breuvage qui affiche sur l’étiquette et le packaging, un élégant nœud papillon rouge stylisé et modernisé. Plutôt que l’enseigne ancestrale bleue-rouge, qui rappelait par trop Cinzano, une des vingt-deux maisons du consortium de l’IGP «Vermouth di Torino», qui affiche sur son logo non pas la quinquina, mais une fleur d’absinthe, absente du Stim’. Signe que ce genre de produit redevient à la mode : Terre de Lavaux à Lutry (VD) a lancé ses vermouths 1890, à base de chasselas notamment, à la fin de l’an passé.

Sur le net : www.lestim.ch

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 14 avril 2021