Genève — Les vignerons voient loin
Troisième canton viticole suisse, derrière le Valais et Vaud, Genève vient de coucher sur le papier une «stratégie viticole 2006». Une première dans un milieu qui tâtonne.
Par Pierre Thomas
Les plans quinquennaux fleurent bons l'ex-URSS. Pourtant, quand les autres cantons marchent à tâtons, comme les Valaisans, qui mettent en consultation une série de mesures étatiques, ou les Vaudois, qui modifient leur loi sur la viticulture, les Genevois avancent. Ils se sont mis à table et ont accouché de deux rapports «stratégiques». Pour Louis Serex, président sortant de la Communauté interprofessionnelle des vins de Genève (où il a été remplacé à mi-mai par Eric Leyvraz), «l'avenir des vignerons genevois ne dépend ni de Berne, ni de Vaud, mais bien de nous et de nous seuls».
Genève passe au rouge
A côté de l'aide fédérale à la reconversion du vignoble (26 hectares concernés), les Genevois ont obtenu des mesures cantonales pour une reconversion immédiate (65 ha) et progressive (75 ha) et même l'arrachage volontaire (19 ha). Soit une reconversion de 185 ha sur les 1300 du vignoble genevois.
Principale «victime» de cette campagne, le chasselas, dont la surface arrachée entre 2001 et 2004 représente 160 ha. Occupant 50% du vignoble genevois en 1985, en 2005, le cépage blanc le plus cultivé en Suisse ne couvrira plus que 23% du vignoble (305 ha).
Jusqu'en 2007, selon des projections tirées par le Service de la viticulture, ce sont les plantations de cépages rouges qui l'emporteront sur les cépages blancs, de sorte qu'en 2005 déjà le rouge damera le pion au blanc. Dans les rouges, le gamaret (+ 50 ha d'ici 2007), le garanoir (+ 20 ha) et le merlot (+ 17 ha) progresseront. En blanc, le chardonnay (+ 25 ha) et le sauvignon (+ 7,5 ha) confirmeront, loin devant le viognier (+ 2,6 ha).
Le gamay, bien adapté à Genève, est à la fois remplacé dans les terroirs défavorables (- 33 ha), mais replanté dans de meilleurs (+ 6 ha). Son style a changé: de rouge de comptoir, voulu par la coopérative omnipotente dans les années 80, il devient un nectar structuré, épicé et riche…
Tourisme: «peut faire mieux!»
Mais pourquoi tant d'efforts? Il s'agit d'adapter l'offre à la demande. Les vins de Genève, constate un des rapports, ont une bonne image dans la population locale, mais «inexistante en Suisse alémanique», le premier marché d'«exportation» des vins suisses. Grâce à près de septante vignerons indépendants — ils n'étaient qu'une quinzaine il y a vingt ans! — des vins de haut de gamme se profilent. Ils sont sans doute «d'un rapport qualité-prix imbattable en Suisse» (Louis Serex dixit), mais peu présents dans les grandes surfaces, là où les jeunes achètent leurs flacons… Et si la haute restauration joue un rôle positif, «la collaboration avec l'Office du tourisme et les hôtels de la place est à développer».
Pour atteindre leurs objectifs, tandis que la moitié des vins de Genève sont encore vendus comme vins de qualité inférieure, voire déclassés, les vignerons genevois mettront de l'ordre dans leur vignoble. Genève, au contraire du Valais, n'a ni cadastre viticole, ni carte des sols et de l'encépagement recommandé. Dans la foulée, il faudra reviser complètement les AOC (appellations d'origine contrôlée) et «développer une véritable appellation haut de gamme spécifiant clairement la provenance genevoise du vin». Tout un programme!
Eclairage
Un concours cantonal au goût du jour
Pour la quatrième fois, les Genevois ont mis sur pied «Les sélections des vins de Genève». 350 vins de 60 encavages ont été dégustés par 48 «jurés». Verdict rendu public à mi-juin: un palmarès généreux de 37 médailles d'or. Le merlot et le gamaret se sont le mieux défendus, de même que les vins doux. Voilà qui confirme une tendance internationale: les vins concentrés, boisés, puissants ou doux rencontrent le plus de succès, de Montréal à Paris, en passant par Bruxelles. Les élèves de l'Ecole hôtelière de Genève ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont récompensé d'un trophée Sébastien Dupraz, de Soral, pour son assemblage «Rouge rouge» 2001 en fûts de chêne, tandis que Nicolas Cadoux, d'Athenaz, remporte le «sanglier» récompensant le vin le mieux noté par le jury, un vin liquoreux, «L'Ancolie» 2001, un pinot gris passerillé et élevé en barriques, noté 93,3 points sur 100.
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, en juillet 2003