Sur les pas des meilleurs sommeliers
Ma chronique sur le blog les5duvins du 2 novembre 2022… Par Pierre Thomas
Je reviens d’une semaine en Suisse alémanique : quasiment à l’étranger, donc, puisque la langue de compréhension, quand on ne maîtrise ni le dialecte, ni le «bon» allemand, finit immanquablement par être l’anglais universel… J’y ai fait une tournée des palaces. Voici ce voyage largement saupoudré d’anglicismes, of course.
Avec les sommeliers du Challenge Ruinart
Première étape, de montagne, à Engelberg. Moins d’une heure de petit train rouge, à crémaillère et dans un tunnel dans le rush final. Presqu’en face de la gare, le Kempinsky, vieil établissement qui rappelle l’hôtel des montagnes de «Shining» (Kubrick – Nicholson, 1980) et qui vient d’être remis à neuf luxueusement… Pour quelques uns des vingt participants au «2022 Ruinart sommeliers challenge», l’horreur du huis-clos fut l’épreuve de décrire, pendant un peu moins de deux heures, quatre chardonnays, dégustés à l’aveugle, bien sûr, sans la moindre information…
La séquence m’a rappelé ce croustillant billet de Fabrizio Bucella, dans Le Point. Le professeur italo-belge cartonne en France et a de la famille en Suisse : ma généraliste, à qui je révélais mon travail dangereux (pour la santé) et si particulier de wine taster, ne manifesta aucune surprise et me confia que son cousin n’était autre que le dit Bucella.
A Engelberg, avec l’œnologue dépêchée de Champagne, Florence Boubée-Legrand, sous la houlette de Paolo Basso, meilleur sommelier du monde il y aura 10 ans le printemps prochain, et en compagnie d’un confrère zurichois, nous avions la délicate mission de juger les copies rendues. Il s’agissait de décrire quatre vins. Quatre chardonnays : étonnamment, presque tous les concurrents ont glissé un chenin dans leur réponse, pour l’un ou l’autre vin. Il faut dire que les quatre crus avaient été bien choisis pour exprimer des différences marquées: un Chablis 1er cru décevant, fatigué pour son millésime (2018); un magnifique Meursault 1er Les Genevriers 2019 d’Henri Boillot; un solide Australien, fort bien fait, Yattarna 2019 de Penfolds. Et enfin, un Californien, Silhouette 2018, de Merryvale (Napa Valley), un domaine appartenant à des Suisses romands, aux notes de calisson d’Aix et de pomme au four, apte à en égarer plus d’un…
Eh bien, sur les 20 concurrents, c’est le (presque) régional de l’étape qui l’a emporté haut la main. A moins de 30 ans, Moritz Dresing (photo ci-dessus… avec son trophée R) possède un beau pedigree. Formé à Londres, il y prépare l’examen de Master of sommelier, qui est au service du vin ce qu’est le Master of wine à la dégustation et au commerce.
Ce jeune Salzbourgeois a travaillé plusieurs années dans la capitale britannique, notamment chez Gordon Ramsay. Il vient de prendre du service, après un passage au palace alpin Le Chedi à Andermatt (plusieurs fois meilleure cave de toute la Suisse selon le magazine Vinum), au Mandarin Oriental Palace, à Lucerne. Seule la brasserie y est pour l’instant ouverte. Au printemps prochain, le chef étoilé Gilad Peled, jusqu’ici au service de Gordon Ramsay au Pressoir d’argent, à l’Intercontinental Bordeaux, inaugurera sa table gastronomique.
Une réponse a interpellé le jury: pourquoi le vainqueur conseille-t-il de servir des vins blancs entre 14 et 15° ? Moritz Dresing m’a confié être adepte de température de service qui permette aux grands bourgognes d’exprimer immédiatement, à table, toute la complexité de leurs arômes. Et pour les rouges ? 17° ! Très pointu sur les accords mets et vins, le sommelier dit trouver very important le côté sustainable des vins… Emporté par les bulles de Dom Ruinart 2009 rosé, je n’ai pas poussé le bouchon plus loin…
Boire pour oublier… l’art
Deux jours plus tard, j’ai grimpé en funiculaire au Dolder Grand à Zurich, où sous l’étiquette Zurich-Neuchâtel Art Express, trois compères, un directeur d’hôtel, un galériste d’art et un vigneron, membre de la Mémoire des vins suisses, Louis-Philippe Burgat, de Colombier (près de Neuchâtel), présentaient leur quatrième cuvée d’art.
L’habillage change à chaque fois : cette fois, Ben, qui avait fait sensation à l’Exposition universelle de Séville, il y a trente ans, avec son «La Suisse n’existe pas», reste soft : «boire pour oublier l’art» sur un fond noir d’encre… coïncidence, deux jours avant le décès de Pierre Soulages, à 103 ans. Benjamin Vautier, qui vit à Nice, est son cadet de 16 ans.
Pour cette performance, le vin, un solide gamaret de deux millésimes, 2017 et 2018, aux accents sudistes. Les flacons sont logés dans des caisses de six, reprenant la graphie du peintre. Trop tannique, ce vin ? «Ceux qui l’achètent ne le boiront probablement pas», rigole Loulou Burgat, car ce sont les amateurs… d’art qui s’arrachent les 20 caisses signées et les 230 caisses en réplique. L’étiquette n’est donc pour eux qu’un pied de nez!
Pairings at the Five
Dernière virée à Zurich, sur les contreforts de l’Uetliberg, où l’on est acheminé par un petit train rouge, encore, mais sans crémaillère, dans un autre hôtel cinq étoiles. Le bien-nommé Five, entend devenir the place to be, à l’écart et sur les hauts de la métropole financière, sur une colline qui fait face au Dolder Grand. Dans son bar à vins, le Vault, aux fauteuils de cuir profonds, ou dans le Penthouse, à l’ambiance rouge de bar à… Champagne, ou dans les autres restaurants, dédiés à la gastronomie chinoise (sans glutamate !) ou à la street food, le sommelier Martin Fellay, croisé au Challenge Ruinart, dispose d’un large terrain de jeu pour réussir «A perfect pairing» (Stuart McDonald, 2022).
©thomasvino.ch