La réforme AOC aux oubliettes: trois paradoxes des vins vaudois!
La Fédération vigneronne vaudoise a tenu ses assises à Grandvaux, jeudi 9 novembre 2023. L’occasion de faire le point sur les grands dossiers de l’heure et de pointer les paradoxes des vins vaudois. Le premier, c’est que la réforme des AOC, qui devait accompagner le «plan de relance» de l’Etat de Vaud, va finir en «réformette» et la montagne accoucher d’une souris!
Par Pierre Thomas
L’ordre du jour était d’une banalité statutaire. A la tribune devaient se succéder les acteurs de la filière. Ils ne sont pas tous arrivés pour entendre les propos de leur préopinant, de telle sorte qu’à juxtaposer les déclarations officielles, on discernait de flagrantes contradictions.
Le président François Montet pouvait pavoiser devant «deux millésimes exceptionnels de suite». 2023, en quantité, devrait même supplanter 2022 : en 2023, l’estimation de la vendange est de 30 millions de litres, dont un petit tiers de vin rouge, contre 28,2 millions de litres et 69% de blanc pour 2022.
La réforme des AOC aux oubliettes vaudoises
Il a fallu attendre Olivier Mark, président de la Commission interprofessionnelle du vin vaudois (CIVV), pour avoir la confirmation qu’il ne devrait pas y avoir de réforme des appellations d’origine vaudoise (AOC). Les hôtes du jour, les vignerons de Lavaux, ont court-circuité la vaste consultation mise en place par un groupe de travail. La semaine précédente, ils ont obtenu «à l’unanimité» des autres régions un maintien des six AOC régionales, et non pas un socle de pyramide constitué par une AOC cantonale.
Les Vaudois sont les seuls en Suisse à penser ainsi, autorisant le coupage des AOC régionales à hauteur de 60% du nom principal et 40% d’autre vin vaudois. Mais la CIVV est d’accord de renforcer les grands crus, qui seront des vins purs d’un seul lieu de production, à des conditions un peu plus sévères. Quant aux 1ergrands crus, motus et bouche cousue…
Planter quel cépage résistant ?
L’AOC générique Vaud, elle, devrait être assouplie et «permettre de l’innovation», par exemple s’ouvrir aux cépages résistants aux maladies de la vigne.
Sauf que, a-t-on appris par le président des pépiniéristes, Yves Cousin, la CIVV n’a pas été en mesure jusqu’à maintenant de se déterminer sur le catalogue de 41 cépages dits «robustes» que l’Office fédéral de l’agriculture encourage à la plantation par une subvention de 30’000 francs à l’hectare. Les vignerons vaudois sont dans l’expectative, alors que l’Etat du Valais a décidé, ce printemps, de ne promouvoir que le divico (rouge) et son jumeau, le divona (blanc)… Les Vaudois se tâtent et prennent du retard : planté, un cep ne donne du raisin qu’après trois ans (à moins de surgreffer des plants existants).
La renonciation à une réforme des AOC sera-t-elle du goût de l’Etat de Vaud ? En toute fin de mandat, Philippe Leuba, prédécesseur de Valérie Dittli au Conseil d’Etat, en avait fait une condition de déblocage d’un plan de relance, où l’Etat y va de sa poche sur cinq ans. Avec toutes les précautions oratoires d’usage, la jeune ministre des finances et de l’agriculture a soufflé d’abord un «c’est compliqué», avant d’affirmer être ferme sur la volonté de moderniser le système des AOC, tout en assurant vouloir entendre les acteurs de la branche, mais aussi garantir au consommateur une transparence sur le produit. Au passage, d’ici fin 2023, Vaud tolèrera les trois lettres AOC sur les étiquettes, et plus «appellation d’origine contrôlée» en toutes lettres, qu’il est le seul canton à exiger.
Il n’empêche, qu’il y ait «100% de Saint-Saphorin dans une bouteille de Saint-Saphorin», comme le souhaitait feu Pierre Keller, alors président de l’Office des vins vaudois (OVV), restera donc, sauf pour un grand cru, une illusion dissimulée derrière le paravent de l’AOC, Lavaux dans ce cas… De quoi réécrire le fameux oxymore de Tomasi di Lampedusa et de prendre Le Guépard à contre-pied : «Si nous voulons que tout reste tel quel, il faut que tout change» devient en bon vaudois : «Si nous voulons que tout change, il faut que tout reste tel quel.»
Les Romands, juges du succès de l’Escargot rouge… conçu pour les Alémaniques!
Actuel président de l’OVV, Michel Rochat, est venu défendre les activités de l’OVV, qui a reçu trois millions de francs de l’Etat, doublant son budget 2023, notamment pour faire connaître les vins vaudois en Suisse alémanique, où l’OVV est hôte d’honneur de la foire sur bateaux Expovina, jusqu’au 16 novembre à Zurich.
Parmi les vins présentés, sélectionnés en deux axes «tradition» et «innovants», l’Escargot rouge. Il s’en est produit 230’000 bouteilles depuis octobre 2021, selon les chiffres du verrier Vetropack, qui fournit le flacon commun aux caves qui en proposent selon un cahier des charges. Soit moins de 180’000 litres, à comparer aux quelque 12 millions de litres de vin rouge vaudois produits en 2021-22.
Avec du sucre résiduel, ce vin a été conçu pour les Suisses alémaniques, pourtant force est de constater qu’il se vend d’abord en Suisse romande. Et si cette étiquette collective figure, selon l’OVV, parmi les vingt marques de vins suisses les plus vendus, Coop ne le proposera en Suisse alémanique que s’il obtient du succès en Suisse romande, où il sera référencé, avec un prix fixé avec le fournisseur (entre 10 et 15 francs) et non, comme jusqu’ici, en «action» à prix cassé !
Si le goût des Alémaniques est différent de celui des Romands, comment comprendre ce raisonnement de Coop ? C’est le troisième paradoxe du jour !
©thomasvino.ch/10.11.2023