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Posted on 7 décembre 2007 in Vins français

Le vin jaune, joyau du Jura

Le vin jaune, joyau du Jura

***En 2008, la 12ème Percée du Vin Jaune aura lieu les 2 et 3 février à Vincelles – Sainte-Agnès, dans le Sud Revermont, à 10 km de Lons-le-Saunier.***
Percer le mystère
du vin jaune jaune

A Poligny, ce week-end, on fêtera le vin jaune, or et orgueil des vignerons du Jura français. Mais comment élabore-t-on le curieux breuvage? Petit parcours pour lever un coin du voile.
Pierre Thomas
Prenez du raisin blanc. Ramassez-le bien mûr à mi-octobre. Faites-en un vin normal. Puis mettez-le en fûts, sans même les remplir complètement, et oubliez-le. Un vigneron vaudois vous le dira: lorsque vous percerez votre tonneau, vous aurez un excellent vinaigre. Les vignerons du Jura, eux, en sortent un «vin jaune». Un liquide ambré, à l'odeur forte de térébenthine, vendu 120 à 200 francs français les six décilitres. C'est ce qui reste d'un litre de vin après sept ans de fût.
Un défi à l'oenologie

Ainsi expliqué, le vin jaune tient du miracle. «Il défie les lois de l'oenologie», témoigne, avec son accent chantant du Sud-Ouest, Nicolas Maurs, jeune chef technique de la coopérative de Poligny. Ce Caveau des Jacobins a deux curiosités: il est logé au coeur du vieux bourg, dans la nef d'une église désaffectée où les foudres de chêne ont remplacé les travées, et puis, dans la zone industrielle, il dispose de centaines de «pièces» bourguignonnes de 228 litres dans un entrepôt, à température ambiante. Conserver du vin par moins dix degrés l'hiver et par plus trente l'été, alors qu'on vous serine que, faute de cave, votre vin quotidien va se transformer en picrate? Voilà qui corse l'intrigue…
Au Laboratoire départemental d'analyses agricoles, Jacques Levaux résume les trois conditions à réunir pour élaborer un vin jaune. Primo, planter, dans les terrains de marne les mieux exposés, du savagnin, un cépage blanc propre au Jura, cousin du traminer alsacien (dont le petit-cousin aromatique est le gewurztraminer) et du païen (heida), rareté haut-valaisanne. Secundo, encourager les levures à développer une couche, appelée voile, à la surface du vin, comme à Jerez, en Espagne. Tertio, vérifier que la dose d'éthanal (éthanol oxydé) minimale dépasse les 200 milligrammes par litres: on en a trouvé jusqu' 1000 mg/l dans certains vins jaunes.
Sous contrôle permanent

La troisième condition paraît de la chimie, là où l'on ne subodorait qu'alchimie… Depuis vingt ans, tous les vins jaunes, barrique par barrique, sont analysés deux fois par an (15 000 échantillons prélevés). Ces analyses, auxquelles se soumettent spontanément les vignerons, ont considérablement modifié le monde du vin jaune. «Auparavant, explique Jacques Levaux, dans le meilleur des cas, le vigneron avait du vin jaune. Dans le pire des cas, du vinaigre.» Michel Thibault, qui s'est associé avec son copain d'école Jean-Luc Moret, le confirme: «Nous n'avons pas de réussite sur tous les fûts. Ceux qui ne développent pas ce goût de jaune, attestés par l'analyse, sont éliminés et servent à faire du savagnin pur ou sont assemblés à du chardonnay.»
Le laboratoire a mis au point, dès les années 1970, des levures qui encourageraient la prise de voile. La coopérative y a recours depuis quelques années. D'autres, comme Xavier Reverchon, s'y refusent: «Il faut garder au vin jaune son mystère et ne pas croire qu'on peut le faire chaque année. Moi, il me réussit depuis onze ans, y compris en 1991, l'année du gel. Mais je n'exclus pas qu'une année, il ne se fasse pas…» Avec un brin de fatalisme, le vigneron confie qu'il ne goûte jamais ses fûts en six ans et trois mois de durée légale d'élevage!
Un régime de chaud et froid

Régulièrement primé aux concours de dégustation départemental et national — auxquels s'ajoutent le «clavelinage», soit la dégustation de quelque quatre-vingts échantillons de tout le Jura — Xavier Reverchon attache beaucoup d'importance à la température de la cave. Il a appliqué l'adage jurassien: «La meilleure cave est au grenier.» En effet, les différences de température entre l' té et l'hiver favoriseraient la formation du voile.
Dans sa cave voûtée de la Grande-Rue de Poligny, où l'on accède par un «trappon» à même le trottoir, Bernard Badoz confirme que le froid influence la finesse du vin jaune. Le vigneron désigne aussi, dans sa cave, tel ou tel emplacement où des tonneaux se sont refusés à «partir en jaune». Pourquoi? En vingt ans «d'expériences empiriques» — comme les appelle Jacques Levaux — on n'a pas encore raisonnablement expliqué l'exact pourquoi du vin jaune…
Un vin cérébral et rustique

Demeure un liquide entêtant, fortement alcoolisé (pas loin de 15° d'alcool), d'une grande concentration due à l'évaporation en bois, jamais neuf, pour ne pas altérer le goût de jaune. Une forme de quintessence.
Ce goût unique, avec des arômes de noix plus ou moins mûre (verte ou sèche), de curry, cette longueur en bouche où l'acidité et l'oxydation se mêlent étroitement sont aussi des freins à une reconnaissance plus large du produit. «C'est un vin à déguster les yeux fermés, en se concentrant sur les goûts. Il faut aller le chercher, c'est un vin pour intellectuel, commente l'hôtelier Jean-Marie Carrion. Pourtant, il s'accommode de mets simples, comme le comté. Car, à table, il efface tous les goûts.»
C'est aussi un «vin de cuisine» époustouflant: deux gouttes et il transcende n'importe quelle sauce. On rêve alors de poularde de la Bresse voisine à la grasse crème, de morilles des vastes forêts du Revermont: un pan de patrimoine qu'on visite par le gosier.
Eclairage
Une fête tournante jurassienne

«Appelez-moi Monsieur l'ambassadeur!» Bernard Badoz, grand orchestrateur de la première «Percée du vin jaune», sourit du titre un peu pompeux, les Ambassadeurs du vin jaune, donné au comité d'organisation de cette fête destinée, chaque année, à célébrer la sortie du nouveau millésime sur le modèle de la Saint-Vincent tournante bourguignonne. A Poligny, le vigneron avait déjà été la cheville ouvrière de la Fête du comté, ce fromage à mi-chemin de notre gruyère (pour la texture) et de l'emmental (pour le goût), autre fleuron du Jura français.
Désormais cette fête aura lieu chaque année dans une des 105 communes des quatre appellations d'origine contrôlée (AOC), Côtes-du-Jura, Arbois, Château-Châlon et L'Etoile. Poligny n'est qu' une heure et demie de route de l'arc lémanique, par Vallorbe-Pontarlier ou Nyon- Saint-Cergue, puis Champagnole.
Et encore…
Europinaillage

Le vin jaune a sa propre bouteille, le clavelin de 6,2 dl. Bruxelles voulait la rayer des registres. Tout le Jura est monté aux barricades. Le clavelin est sauvé. Mais pas la demi-bouteille. Motif: elle fait bien 3,75 dl, soit la moitié des 7,5 dl eurofficiels. Mais pas la moitié des 6,2 dl du clavelin légitimé.
Dégustation et agrément

En hiver, le premier dimanche de chaque mois, le Groupement d' tude des vins jaunes se réunit pour déguster de vieux millésimes, à raison de quatre par séance (la barre des 50 a été franchie le 2 février).
Paru dans 24 Heures du 5 février 1997