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Posted on 12 avril 2008 in Grand Jury 24 Heures

Le match où les bordeaus plient

Le match où les bordeaus plient

Grand Jury de 24 Heures
Cabernets de l’ancien et du nouveau mondes


Le match où Bordeaux plie
Cette année, le quotidien 24 heures (paru le 29 mars 2008) présente quatre «matches» entre des vins de l’Ancien et du Nouveau Mondes. Première manche, jouée au Grand Hôtel du Lac à Vevey, avec les cabernets sauvignons. Les bordeaux ont mordu la poussière.
Un dossier présenté par Pierre Thomas
Sur la ligne de départ, 26 vins à dominante cabernet sauvignon, tous de 2004, sauf deux 2003 et un 2005. Première surprise, ces trois derniers se sont retrouvés en finale! Aucun vin n’a fait l’unanimité. Comme dans tout exercice du genre, qui s’apparente davantage à la critique de cinéma appuyée qu’à la franche partie de plaisir, les dégustateurs sont amenés à chercher des défauts, autant qu’à mettre en valeur des qualités. C’est la loi du genre!
Raison à la comparaison

L’autre constante, c’est la comparaison. Elle ne devrait pas si richement rimer avec raison, comme le dit l’adage, mais en dégustation, les points de repère sont inéluctables. Pour le cabernet sauvignon, Bordeaux fait figure d’étalon, tant pour les amateurs que pour les professionnels. Pour preuve, le vigneron et journaliste James Halliday, dans son «Wine Atlas of Australia» (Hardie Grant Books, 2006) écrit que «The Mentor», est «un bordeaux blend». Alors que le vainqueur de notre dégustation, Mentor (un échantillon mis à disposition par le producteur, via le groupe Hess), est un pur cabernet sauvignon, de vieille vignes de la Barossa Valley. C’est dire qu’au-delà du ou des cépages, il y a un «style bordeaux» qui colle à la peau du cabernet sauvignon universel.
Bordeaux au tapis

Voilà pourquoi sept bordeaux figuraient dans les séries de présélection (lire l’encadré sur les règles du jeu). Et, pourtant, ils ne sont que deux en finale! Faut-il incriminer le millésime? Certes, 2004 n’a pas le prestige du 2005, dont les prix se sont envolés en spirale spéculative. Au «Guide Hachette des Vins 2008», 2004 n’est noté que 14 sur 20, soit au niveau de 2006 (pas encore sorti de cave), de 2002, 1999, 1997 et 1994. Mais, comme l’affiche le site Internet du château le mieux classé ici, La Lagune, c’est un millésime «classique». Et pas trop cher, même si les bouteilles jugées valaient toutes près de 40 francs…
2004 excellent en Australie

En Australie, par contre, et particulièrement dans la Barossa Valley, près d’Adélaïde (Sud), 2004 a donné des cabernets sauvignons exceptionnels («outstanding»), affirme Peter Lehmann. Cette cave réputée appartient au groupe bernois Hess, qui place, de surcroît, un grand classique de Californie au troisième rang. Autre Swiss connection, Merryvale, propriété du Veveysan Jacky Schlatter, à Santa Helena, au cœur de Napa Valley. Ce domaine s’est agrandi et vient d’inaugurer une nouvelle cave, où est né, en 2005, un autre pur cabernet sauvignon, dont le premier millésime se classe cinquième.
Des œnologues en vedette
Premier européen, un beau (et cher) cru toscan, de jeunes vignes, parrainé par un œnologue italien vedette, Carlo Ferrini. Premier européen, il brûle la politesse à un éminent Bordelais, Denis Dubourdieu, professeur d’œnologie de Caroline Frey, du Château La Lagune, qui a inauguré son nouveau cuvier avec le 2004. Suit Clos du Val, seul rescapé du «Jugement de Paris» de 1976 (lire l’encadré) — les autres vins comparés sont devenus des icônes hors de prix! —, un domaine californien proche du «style bordelais» par ses fondateurs, dont l’œnologue Bernard Portet né à Cognac. Puis, le fer de lance du plus gros exportateur chilien, le groupe Concha y Toro, Don Melchior, dans un millésime bien noté. Ensuite, signé de l’«œnologue volant» Michel Rolland, épinglé sur son travail dans ce domaine-ci par le film «Mondovino», le Château Kirwan : ce 2004 avait créé la surprise aux papilles des observateurs. Enfin, les deux 2003, d’un bon rapport qualité-prix. D’abord, le Comte de Peney, de Dan Schläpfer et Gérard Pillon, pionniers en Suisse et à Genève du cabernet sauvignon, un peu léger dans ce match de poids lourds, mais qui sauve l’honneur helvétique, et le seul vin sud-africain rescapé, un assemblage, de type bordelais encore, du domaine de Glen Carlou propriété du Hess Group.
Deux évidences…

Ainsi, deux évidences s’imposent. Primo, même si un vin haut de gamme l’emporte, le prix ne fait pas tout. Il suffit de considérer les trois suivants, dont un autre cabernet australien de Peter Lehmann, à 22,50 fr. à la Coop. Secundo, Bordeaux est à la peine : deux vins notés sur sept, c’est très, et même trop peu! La Bourgogne sauvera-t-elle l’honneur perdu de la France ? Réponse au prochain round avec les chardonnays.
Pierre Thomas

Le Jugement de Paris
En 1976, seule la France avait la réputation de produire de grands vins… Installé à Paris, le négociant anglais Steven Spurrier et l’Américaine Patricia Gallagher, imaginèrent d’opposer des chardonnays et des cabernets sauvignons français et américains, pour fêter le bicentenaire de l’indépendance étatsunienne. Le 24 mai 1976, le jury était composé d’éminents dégustateurs, dont le Genevois (d’origine) Michel Dovaz. Dans la première manche, les jurés crurent reconnaître des bourgognes, tous en tête. Stupeur, au moment de déchemiser les flacons: le Château Montelena 1973 battait un Meursault (de Roulot) et deux autres vins américains. Rebelote avec les rouges. Le Stag’s Leap Wine Cellars 1973 de Warren Winiarski coiffait au poteau les châteaux Mouton-Rothschild, Montrose et Haut-Brion du fameux millésime 1970. On ne sait si La Fayette se retourna dans sa tombe, mais Winiarski en rigolait encore, quand j’ai mangé à son côté chez (et avec) Robert Mondavi, à Napa Valley, il y a dix ans… Cette confrontation eut un grand retentissement dans la presse anglo-saxonne, mais ne fut évoquée que plus tard dans la presse française, comme l’annonce du déclin de l’ancien face au nouveau monde. Aujourd’hui, avec 50’000 hectares en France, plus de 60’000 ha en Europe de l’Est (ex-Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie, Moldavie, Russie), 20’000 ha aux Etats-Unis, 15’000 ha en Australie et au Chili, 6’000 ha en Afrique du Sud, en attendant la Chine, le cabernet sauvignon est le cépage rouge le plus planté au monde, avec le merlot. (Pts)

Les règles du jeu
Début mars, notre jury de neuf spécialistes*, s’est réuni dans un salon du Grand Hôtel du Lac, à Vevey, dégustant «à l’aveugle» (sans aucune indication d’origine ou de prix) dans un silence quasi-religieux. Compétition en deux temps : d’abord, une présélection de vingt-six vins, tous du millésime 2004, sauf trois (deux 2003, un 2005). Il s’agissait de désigner les trois vins les plus en vue par série de six (ou sept) vins, équitablement répartis selon la provenance. En clair, on aurait pu retrouver les sept bordeaux en finale… Mais les châteaux bordelais Lagrange, Haut-Marbuzet, Gruaud-Larose, Sociando-Mallet et Durfort-Vivens ont échoué au premier tour.
Le deuxième «round» réunissait les douze finalistes. Ils ont été redégustés dans un ordre aléatoire et pointés sur 20, sans que le jury connaisse leur provenance. Pour calculer la moyenne (voir tableau ci-contre), la plus haute et la plus basse notes ont été éliminées.
Plusieurs dégustateurs ont regretté le grand écart des vins : d’une part des produits aux raisins très mûrs, mais au boisé écrasant, d’autre part, des vins frais, un peu verts, mais au boisé discret. Aucun des vins dégustés n’a réussi la synthèse d’une maturité optimale alliée à un élevage adéquat. Du coup, les vins les plus puissants ont pris l’avantage, à l’instar des vins les plus prêts à boire (comme des deux 2003). (PTs)
Les dégustateurs

Le jury de 24 Heures: Tony Decarpentrie, chef sommelier du Beau-Rivage, Stéphane Cholet, chef sommelier de l’Hôtel des Trois-Couronnes à Vevey, Jérôme Aké, sommelier de l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin, Thomas Lefèvre, sommelier du Grand Hôtel du Lac, Vevey, les œnologues Rodrigo Banto (UVAVINS) et Fabio Penta (Hammel), Marco Grognuz, vigneron, à La Tour-de-Peilz, Christian Dénériaz, héraut de la Confrérie du Guillon et Jean-Marc Amez-Droz (membre de la direction Groupe Hess).
Le match aux points
1) Note : 16/20

Mentor 2004, Peter Lehmann, Australie
,
100% cab. sauv. de 60 ans, des lieux-dits Light Pass et Tanunda, Barossa Valley, La Maison du Vin, Genève, 52 fr.Dégustation : Cassis, menthe, cèdre, eucalyptus ; attaque sur les fruits rouges, puis les fruits noirs ; rond ; ample, belle structure ; «beaucoup de soleil et de sève» (Amez-Droz), «un vin convaincant !» (Decarpentrie), mais aussi «de la sucrosité, écœurant» (Penta, Dénériaz).
2) Note : 15,8/20 ex aequo

Cabernet Sauvignon Starmont 2004, Merryvale, Napa Valley
, (Californie, Etats-Unis),
86% cab sauv, 12% merlot ; 1% cab. sauv, 1% petit verdot ; Mosca Crissier, 35 fr.Dégustation : Ouvert, expressif, cassis, mentholé ; puissant, chaleureux, , fruité, un peu douceâtre en bouche ; du volume et de la souplesse ; «marqué par le soleil» (Cholet).
Note : 15,8/20 ex aequo

Cabernet Sauvignon Hess Collection, Mount Veeder 2004, Napa Valley,
(Californie, Etats-Unis),
92% cab. sauv., 5% petit verdot, 2% cabernet franc, 1% merlot, Moevenpick, 44 fr.Dégustation : Nez de chocolat, de noix de coco; attaque ample, fruitée ; charpenté, bel équilibre, long en bouche; «un peu austère» (Banto) ; «beau vin à attendre» (Penta), «bouche séveuse et tanins fermes» (Aké).
4) Note : 15,5/20
Cabernet Sauvignon Barossa 2004, Peter Lehmann, Australie
,
22,50 fr., CoopDégustation : Frais, mûres, cassis, eucalyptus ; tanins gras et veloutés, finale longue ; «déjà à son apogée» (Penta), «manque de complexité et facile à boire» (Decarpentrie, Cholet).
Note : 15,5/20 ex aequo

Cabernet Sauvignon Napa Valley 2005, Merryvale, Napa Valley
(Californie, Etats-Unis),
100% cab. sauv. ; Mosca, Crissier, 59 fr.Dégustation : Nez de cassis, de marmelade de pruneaux ; attaque souple, beau volume ; «bien fait» (Penta), «séveux et avec une belle trame tannique» (Aké), «quelle fraîcheur, quelle persistance !» (Amez-Droz) mais aussi «vin lourd, fatigant et déséquilibré» (Decarpentrie)
Note : 15,5/20 ex aequo

Poggio Al Lupo 2004, Tenuta Sette Ponti, Maremma Toscana IGT
,
73% cab. sauv., 20% alicante, 7% petit verdot ; La Treille, Penthaz, 52 fr.Dégustation : mûres, canelle ; attaque puissante, charpenté ; chaud en finale ; «un peu végétal et vert, de raisins à maturité moyenne» (Penta), «beau vin corsé et tonique» (Dénériaz), «très belle concentration aromatique» (Grognuz).
7) Note : 15/20

Château La Lagune 2004, 3ème cru classé, Haut-Médoc, Bordeaux
,
55% cab. sauv., 30% merlot, 15% petit verdot; Jean Solis, Pully, 45 fr.Dégustation : Nez élégant et raffiné, griottes ; peu de fruit, notes d’amertume ; concentration moyenne, tanins fins et fondus ; «bordeaux classique mais sans grande élégance» (Decarpentrie). 8) Note : 14,8/20 ex aequo
Clos du Val 2004, Stags Leap District, Napa Valley, Californie
, Etats-Unis,
82% cab. sauv., 8% cab. franc, 8% merlot, 2% petit verdot ; Moevenpick, Crissier, 38 fr.Dégustation : Note d’évolution, de vieux bois dominant, de cuir ; fruits sauvages ; finale sur la maturité ; «finale longue, beau potentiel» (Grognuz).
Note : 14,8/20 ex æquo

Don Melchior 2004, Concha y Toro, Punete Alto, Maipo Valley, Chili
,
94% cab. sauv., 6% cab. franc ; Granchâteaux, La Conversion, 43 fr.Dégustation : Nez de cassis, de myrtille, de poivron ; souple, intense ; arrière-goût de noix ; tanins enveloppés ; un peu alcooleux ; «vin bien fait mais sans caractère» (Penta), «riche, mûr et puissant» (Dénériaz).
Note : 14,8 ex aequo

Château Kirwan 2004, 3ème cru classé, Margaux, Schröder & Schyller
,
cab. sauv. 40%, merlot 30%, cab. franc 20%, petit verdot 10% ; Pierre Muller, Cave de Reverolle, 43 fr.Dégustation : Nez de café ; boisé torréfié très marqué ; «linéaire et plat» (Dénériaz) ; «court et à boire» (Aké).
11) Note : 14,6

Comte de Peney 2003, Domaine Les Balisiers, Peney-Dessous (GE)
,
67% cab. sauv., 33% cab. franc ; sur Internet, www.balisiers.ch, 25 fr.Dégustation : Epicé, réglissé, boisé bien intégré, structure moyenne, manque de vivacité et de complexité, rond et plaisant ; «beaux tanins, mon préféré!» (Penta).
12) Note : 13,7

Grand Classique 2003, Glen Carlou, Paarl, Afrique du Sud,

50% cab.-sauv., 35% merlot, 5% cab.franc, 8% malbec, 2% petit verdot ; Globus, 24 fr.Dégustation : Robe légèrement tuilée ; notes végétales, traces de cuir ; fruits compotés, souple ; tanins rêches et bois asséchant ; «un vin à l’évolution marquée» (Banto) mais aussi «bel équilibre final, long» (Grognuz).
©Pierre Thomas, www.thomasvino.ch, mars 2008