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Posted on 11 janvier 2005 in Tendance

Bouchons: le liège à de beaux jours devant lui

Bouchons: le liège à de beaux jours devant lui

Le synthétique menace-t-il le bouchon traditionnel?
Longue vie au liège

Depuis trois cents ans, on a redécouvert les vertus du liège pour conserver le vin, après les Egyptiens, les Grecs et les Romains. Plus de deux cents ans, c'est aussi la durée de vie d'un chêne liège. Mais depuis dix ans, ce produit naturel est menacé par les bouchons synthétiques. Car le principal ennemi du liège est le funeste «goût de bouchon». Le point sur la recherche, où la Suisse est en pointe.
Par Pierre Thomas
Dans le monde, près de 70% des bouteilles de vin sont obturées par le bouchon en liège. Cela représente la bagatelle de douze milliards de «bouts de bois» par an. Les matériaux composites, mélange de liège et de matière synthétique, arrivent au deuxième rang, avec une part de 20%. Le synthétique proprement dit atteint 8% et la vis, 3,5%.
Ces chiffres, c'est l'œnologue-conseil bordelais Pascal Châtonnet qui les donne. Invité par les services de vulgarisation de Prométerre, à Changins, cet expert neutre a situé les enjeux de la bataille, qui intéresse autant les producteurs de bouchons — où les Portugais assurent 70% de la production mondiale — que les «inventeurs» du synthétique.
Plastique bon pour le bon marché
Pour le Bordelais, la marge de progression de la vis et du synthétique ne devrait pas excéder une part de 5%, respectivement de 10% dans les dix ans, principalement au détriment des composites. «Des études montrent que sur des bouteilles vendues moins de 10 francs suisses, les Anglais, dont le marché est réputé le plus ouvert du monde, se fichent du mode de bouchage. Au-delà, ils font confiance au bouchon de liège», explique Pascal Châtonnet. Et comme, en période de surproduction mondiale et de baisse de la consommation, on devrait à l'avenir boire moins, mais mieux, la demande en liège haut de gamme devrait même s'accroître.
La Suisse romande, elle, connaît un «sondernfall» unique au monde: plus de 80% des bouteilles de vins blancs produits en Suisse romande sont fermées par des capsules à vis, selon une estimation. Le synthétique, eu égard au rapport qualité-prix et à la technique de pose de la fermeture, va-t-il réussir une percée décisive? Le passage de certaines grandes caves, comme Orsat et Provins, notamment, au synthétique pour leurs produits d'entrée de gamme interpelle les petits vignerons.
Goût de bouchon sur des capsules
Un autre élément a joué en défaveur de la vis. Le laboratoire d'œnologie de l'Ecole de Changins a étudié, il y a deux ans, des cas de chasselas 1999 fermés à vis qui présentaient un «goût de bouchon» marqué. Vraisemblablement, ces capsules avaient été mal entreposées et contaminées par des éléments en bois, qui ont propagé du TCA (voir encadré).
Pour Pascal Châtonnet, également producteur dans le Bordelais, notamment de l'excellent vin du château La Sergue (Lalande de Pomerol), le liège garde toute la confiance des œnologues. Pour affirmer qu'«il n'y a pas mieux que le liège, si vous voulez laisser garder du vin pour 5 ans, 10 ans ou plus», il s'appuie sur deux études comparatives très poussées, l'une menée dans son laboratoire bordelais, l'autre en Australie et dont les résultats se recoupent.
Une «dead line» à 6 mois
En bref, ces études montrent que «les problèmes d'oxydation des vins blancs sensibles sont beaucoup plus fréquents que la contamination des vins par TCA». Et Dieu sait si le chasselas, peu aromatique et vinifié délicatement, est sensible à l'oxydation… comme du reste le palais des dégustateurs, rompu à découvrir ce défaut… Le chercheur bordelais affirme que «les vins blancs ne sont pas correctement protégés vis-à-vis de la diffusion d'oxygène par les obturateurs synthétiques au-delà de six mois». Et le vin blanc perd rapidement de l'antioxydant SO2, nécessaire à conserver sa fraîcheur. A cet égard, la fermeture à vis, qu'on pourrait supposer concurrencée par le synthétique, est la plus hermétique: elle garde donc des avantages. Mais de manière générale, «les produits en liège naturel, composite ou allié à de la matière synthétique, présentent à moyen et surtout à long terme (12 mois), les meilleures performances.»
Peu de défauts… et de vertu
Un autre aspect du bouchage: il amène des composants au vin. Les fabricants de bouchons en liège, tel le géant portugais Amorim, avaient déjà démontré, par une étude du professeur bordelais Yves Glories, que l'oxygène lentement «ajouté» au vin par le liège déplace des molécules. Cet échange permet au vin non seulement de vieillir, mais de s'améliorer en vieillissant…
On ne connaît pas de telles propriétés aux matières synthétiques, sinon que «les plastiques refixent des odeurs extérieures plus facilement que le liège». Un tel constat pose des questions quant au stockage des bouchons synthétiques et à leur manutention. Pascal Châtonnet incite donc les producteurs à «choisir la fermeture de la bouteille par rapport à l'avenir de leurs vins». Et six mois, c'est court: un vin mis en bouteille au printemps devrait être bu aux vendanges suivantes.

Eclairage
Sion traque le TCA

«Ce qui fait la faiblesse du liège, c'est le TCA!», lance Pascal Châtonnet. En abrégé, ces trois lettres résument le «goût de bouchon», identifié par des chercheurs de Wädenswil, il y a un peu plus de vingt ans, sous la formule de «2, 4, 6 trichloroanisol». Depuis lors, on traque cet agent responsable du faux goût. Suisses, de la Haute école valaisanne (HEVs) et Américains, en parallèle, ont trouvé le moyen de déceler le TCA dans le liège.
Un peu rapidement, on avait accusé les bains de chlore dans lesquels sont plongés les bouchons à la fabrication étaient seuls coupables du TCA. Il a fallu déchanter: même en éliminant le chlore, remplacé par de l'eau oxygénée, le TCA fait de la résistance. Selon l'équipe de chercheurs de Sion, conduite par le professeur Urban Frey, il suffit d'un gramme dans deux cents millions de litres de vin blanc pour que le «goût de bouchon» apparaisse.
Le TCA est sans doute présent à l'état latent dans les forêts de chêne liège des pays méditerranéens, mais c'est l'humidité, traduite par de la moisissure, qui le favorise. A condition de prendre des précautions dès la découpe des plaques d'écorce à même l'arbre, on peut éviter que du TCA se développe.
Les chercheurs sédunois ont mis au point un système pour détecter le TCA, à l'aide de la chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse, une analyse assistée par ordinateur. De telles machines existent aussi dans les usines de production portugaises. Reste à assurer le suivi du liège: la HEVs et la maison Chaillot Bouchons S.A., à Allaman, viennent de déposer un projet de recherche auprès de la Commission fédérale pour la technologie et l'innovation (CTI) pour escorter au moyen d'un code-barre le liège de la forêt au bouchon livré chez le vigneron.
Des chercheurs français ont mené la recherche par l'autre bout: ils viennent de proposer de traiter les bouchons au «gaz carbonique supercritique», procédé utilisé pour le café décaféiné. Pascal Châtonnet, s'il reconnaît l'efficacité du processus sur des granulés de liège, doute toutefois qu'il permettre d'éliminer le TCA dans l'épaisseur d'un bouchon classique. Et Urban Frey observe: «Pourquoi enlever le TCA, alors que pour moi, il ne devrait pas y en avoir?»

Article paru dans l'hebdomadaire Terre & Nature en mai 2003