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Posted on 13 avril 2016 in Tendance

Quel(s) vin(s) pour quel(s) changement(s) climatique(s) ?

Quel(s) vin(s) pour quel(s) changement(s) climatique(s) ?

Comment l’industrie vitivinicole va-t-elle réagir aux «anomalies climatiques» ? A Agrovina, à Martigny, en janvier, deux chercheurs de Changins ont donné des pistes sur ce changement qui affectera à coup sûr les vins suisses aussi.

«Pour l’instant, nous sommes encore gagnants en Suisse», rappelle Ramon Mira de Orduna. La date des vendanges a avancé de 20 jours en 100 ans, ce qui rapproche le Léman du Languedoc d’alors. Que le scénario soit une température moyenne annuelle en hausse de 1 à 1,5 degré, voire de 4 degrés, la vigne, plante domestiquée, sera prompte à traduire ce changement.

Et, rappelle un autre chercheur de Changins, Markus Rienth, il exposera les vins à plus d’alcool et à moins d’acidité, notamment par la dégradation de l’acide malique par la chaleur. Dans le goût des vins, ces mutations se traduiront par moins d’arômes de poivron dans les rouges, mais plus de notes pétrolées dans les blancs.

Peu de moyens d’action dans la vigne

Comment réagir dans la vigne? «Les solutions sont limitées», constate Markus Rienth. On pourrait différer le moment de la taille de la vigne. Puis réduire la surface foliaire, en effeuillant au moment de la véraison, qui permettrait de retarder de 10 jours la vendange, pour éviter qu’elle tombe en été (toujours plus chaud…). Ou augmenter la charge en raisin — une «solution» iconoclaste, quand on sait que la Suisse a, depuis trente ans, réduit les rendements pour adapter l’offre à la demande, stagnante ! Plus en amont, on peut aussi choisir des porte-greffes moins vigoureux, des clones plus tardifs et des cépages à cycle végétatif long. En Valais, le cycle de la petite arvine s’apparente à celui du rkatsiteli géorgien, et celui du cornalin, au sangiovese toscan. Et Changins a lancé divers clones de gamaret croisé avec des cépages européens (nebbiolo, merlot, etc.) ou, mieux encore, le divico, résistant aux maladies cryptogamiques. Encore faut-il que les vins qui en sont tiré soient au goût du consommateur…

Comment réagir en cave ? Des vendanges plus précoces, rappelle Ramon Mira de Orduna, exposent le raisin à la chaleur, donc à l’oxydation. Et la baisse de l’acidité naturelle oblige à acidifier les moûts, toujours pour les protéger de l’oxydation. On a déjà observé des raisins faibles en azote assimilable, qui engendrent un goût de réduction.

Mettre de l’eau dans son vin ?

Avant de produire trop d’alcool, l’excès de sucre dans le raisin bloque les levures. Cette fermentation languissante expose le vin en devenir à l’acidité volatile, d’où l’obligation d’utiliser un agent protecteur, le SO2 (les sulfites, en anglais). La fermentation problèmatique empêche aussi la couleur de se fixer.

Autant d’éléments qui pourraient condamner la fermentation spontanée par les propres levures du raisin — une tendance pourtant prônée par les tenants du «vin naturel», sans levures industrielles, ni sulfites. Et, insiste le chercheur, «chaque fois qu’on ajoute quelque chose au vin, on prend des risques de contamination.»

Cet excès d’alcool met en péril l’équilibre gustatif des vins, qui paraissent aussi moins aromatiques. Plutôt que l’utilisation, étudiée et possible, du verjus (qui oblige à traiter le vin au charbon pour le désaromatiser tant le goût du verjus est désagréable!), celle de l’eau pourrait devenir la panacée. Un Suisse, chercheur à la Washington State University, Markus Keller, est à la pointe de l’étude des techniques de récupération de l’eau, «perdue» par évaporation. Et la Californie admet déjà l’ajout d’eau dans les moûts. Rien ne s’y opposerait légalement en Europe. Certes, «toutes les pratiques œnologiques autorisées excluent l’adjonction d’eau, sauf du fait d’exigences techniques particulières», rappelle Ramon Mira de Orduna.

Les «anomalies climatiques» pourrait, à plus ou moins brève échéance, pousser les vignerons dans cet ultime retranchement «technique» : mettre de l’eau dans leur vin!

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 13 avril 2016