Valais — Le «goût juste» des vins du Valais
Le «goût juste» des vins valaisans
Dégustation exceptionnelle, à Martigny, la semaine passée, en marge de la proclamation des «Etoiles du Valais». L’ancien président de l’Académie internationale du Vin, Jacques Puisais, a commenté une quinzaine de vins valaisans. Une leçon magistrale.
Par Pierre Thomas
Trois titres (de livres) résument Jacques Puisais : «Le goût juste», «L’accord parfait» et «Le goût de l’enfant». Trois ouvrages fondamentaux pour qui veut appréhender la dégustation des vins. Ils retracent le parcours de ce docteur en sciences, Poitevin d’origine, installé depuis un demi-siècle au cœur de la Loire, à Tours, où il a fondé l’Institut français du goût. Il y a donné ses premiers cours en 1964 : Jacques Puisais a codifié la dégustation à une époque où les techniciens-œnologues résumaient leur pensée à un jugement lapidaire.
Octogénaire, il n’a rien perdu de sa perception gustative et sait allier poésie et philosophie. Autant que les vins, ses paroles se dégustent. En présence d’une douzaine des huitante membres de l’Académie internationale du vin — fondée par feu le journaliste suisse Constant Bourquin en juin 1971 et qui a son siège à Genève —, Jacques Puisais a répondu à l’invitation du directeur de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais, Pierre Devanthéry, et de son président, Jacques-Alphonse Orsat, appelé récemment à la tête de Swiss Wine Promotion.
Petites arvines causantes
La démonstration du «pape du goût» a illuminé les vignerons présents, acteurs, plus qu’auteurs, des vins commentés.
Car sous la langue de Jacques Puisais, le vin vit et s’incarne: de la petite arvine 2007 de Martigny, de Gérald Besse, un des douze lauréates des «Etoiles du Valais 2008» (petite arvine, cornalin, syrah, liquoreux*), il dit : «Voici un vin volontaire qui crie : je suis !» Une autre petite arvine, Maître de Chais 2006, de Provins-Valais, corsée, à la limite de la surmaturité, signée Madeleine Gay, «vigneron(ne) suisse de l’année 2008», montre «des notes de châtaigne, d’agrumes ; c’est un vin qui se déroule vers l’extérieur, rond, ferme, puissant, fringant ; à la persistance heureuse.» Soit un cocktail d’éléments techniques (rond, ferme, puissant), dynamiques (l’image du déroulé vers l’extérieur) et hédonistiques (persistance, objectif, mais heureuse, subjectif). Et sur une troisième arvine, 2005, du Domaine du Grand Brûlé, de l’Etat du Valais, «le milieu l’emporte sur la génétique, le terroir sur le cépage ; le calcaire s’exprime dans la fermeté ; on mâche ce vin».
Il faut dire que le cépage blanc propre au Valais sait faire parler de lui, même si l’exportation des vins suisses de qualité ne dépasse guère un pour cent de la production : le Bourguignon Hubert de Montille l’apprécie au plus haut point. Cette figure de la tradition européenne du film «Mondovino» du New Yorkais Jonathan Nossiter nous l’a dit à Martigny.
Entre réalité et relativité
Dans un précis de dégustation appliquée au Valais, Jacques Puisais distille quelques fondamentaux. A partir d’un cornalin 2003 de Defayes et Crettenand à Leytron, il rappelle qu’«il y a autant d’air que de terre dans un verre de vin», et approfondit cette notion métaphysique sur un cornalin 2001 de Denis Mercier, à Sierre : «Le terroir assure le style et l’air, l’allure». Ce vin «au nez qui frisote», rappelle «la fraise des bois» : «La mienne qui n’est pas la vôtre !» Car la dégustation relève de la relativité: «Chacun est un».
Il boucle sa boucle sur un johannisberg 1955, estampillé Orsat: «La hiérarchie des vins s’est faite sur leur aptitude à vivre et à vieillir. La vérité s’est construite sur la sagesse et pas sur la jeunesse.» Le maître en est, à 81 ans, la vivante illustration.
*Résultats détaillés sur www.vinsduvalais.ch
Paru dans Hôtel Revue, le 11 décembre 2008.