Vaud — Le grand chantier des AOC en 2009
Le grand chambardement
Le canton de Vaud est au pied du mur: pour rendre sa législation vitivinicole eurocompatible, il doit revoir son système d’appellations d’origine contrôlée (AOC) en 2009. Le projet élaboré par un groupe de travail, issu du comité de la Communauté interprofessionnelle du vin vaudois, sera discuté par tous les acteurs de la filière vitivinicole ce printemps.
Par Pierre Thomas
C’est un dossier délicat, éminemment politique, mais qui ne passera pas par le circuit politique officiel. Selon la législation fédérale, chaque canton est responsable des AOC. Berne se contente de définir les autres catégories de vin (vin de pays, vin de table) et de fixer des quotas maximaux de production des AOC (1,4 kg par mètre carré pour les blancs, 1,2 kg pour les rouges). La plupart des cantons édictent des arrêtés annuels pour fixer les conditions de production du moment. En Valais, il y a deux ans, l’Etat, en accord avec l’Interprofession, avait voulu édicter un cadre légal mieux structuré et plus sévère. Le texte avait été renvoyé à son expéditeur (l’Exécutif) par le Grand Conseil (le Législatif).
Le canton de Vaud va échapper à un tel débat politique. C’est le Conseil d’Etat (l’Exécutif) qui a confié au groupe de travail le soin de définir le nouveau cadre. Les régions viticoles en ont débattu, dans un premier temps. Ensuite, le projet détaillé — qui n’a pas encore été rendu public — sera soumis pour consultation aux milieux intéressés. Puis, une synthèse sera faite. Le Conseil d’Etat devra trancher et édicter un nouveau texte légal sur les AOC, qui regroupera les exigences réparties dans plusieurs arrêtés.
Trop d’AOC: passer de 28 à 14
Premier constat : il y a trop d’AOC. Actuellement, il y en a vingt-huit pour 3830 hectares, de la plus grande, Morges (600 ha) à la plus petite, le Vully (49 ha). Le projet prévoit d’en diminuer le nombre de moitié, soit à quatorze.
Deuxième constat : l’appellation Grand Cru s’applique non seulement à deux délimitations légales, le Dézaley et le Calamin, mais à tout château, domaine ou clos qui peut justifier d’une production limitée à cet espace.
Troisième constat : le droit de coupage entre voisins n’est pas conforme à la définition d’une AOC. Lavaux (820 ha) et le cœur de La Côte (1100 ha), bénéficient largement de la règle du 49-51 (soit 51% du vin d’une commune, assemblé à 49% provenant de communes voisines, porte le nom du vin «majoritaire»).
Les instances européennes ont mis le doigt sur cette particularité vaudoise en jugeant la cause de la petite commune de Champagne, près d’Yverdon, qui n’a plus le droit d’embouteiller du vin sous son nom. Le vignoble vaudois doit donc se mettre en conformité avec les lois européennes. En général, les AOC européennes tolèrent un coupage de 15%. Mais les Etats-Unis et l’Organisation internationale de la vigne et du vin se contentent de 25% : un vin millésimé doit contenir 75% de vin de l’année affichée, un vin d’origine précise, 75% du vin de l’endroit mentionné sur l’étiquette, un vin d’un cépage déterminé, 75% de vin issu de ce cépage. Sous réserve d’une législation AOC et d’un cahier des charges plus sévère.
Quel droit de coupage ?
Une bonne partie de l’enjeu des appellations vaudoises va se jouer sur la définition du droit de coupage. Pour les AOC, le droit de 10% de coupage avec du vin vaudois de même couleur devrait être admis. Il pourrait s’y ajouter un droit régional de 15% dans certains cas. Par exemple à Lavaux, pour un vin nommé Lavaux-Epesses. En revanche, un vin appelé Epesses contiendrait du vin de cette AOC, dont la surface serait augmentée de l’actuelle AOC Villette, avec une tolérance de 10% de coupage. Un vigneron qui voudrait mettre en bouteilles de l’Epesses ou du Villette devrait respecter un critère de richesse en sucre légèrement supérieur (2° Oechslé de plus) et obtenir alors l’appellation Grand Cru. Même système à Saint-Saphorin, qui «récupèrerait» Chardonne. Ultérieurement, selon des modalités à définir, des Premiers Grands Crus, plus restrictifs, avec un cahier des charges précis et une dégustation probatoire obligatoire, feraient leur apparition.
Féchy revu et corrigé
On le voit : pour éviter un cloisonnement des AOC, qui aurait vu une diminution du vin portant des noms connus sur le marché, des appellations seront agrandies par «fusion» avec un village voisin. Exemple encore avec Féchy : jusqu’ici, ses 178 hectares, qui ont produit 1,4 million de litres de chasselas en 2008, devraient permettre, grâce au 49-51, de mettre sur le marché près de 2,5 millions de vin blanc Féchy AOC. Pour arriver au même résultat, la nouvelle AOC annexe Perroy à Féchy, pour une superficie totale portée de 178 à 368 ha.
Une association de «propriétaires de vignes de Féchy» s’oppose vigoureusement à cette extension. Fin décembre 2008, elle a alerté la presse et les milieux politiques pour déplorer le manque de transparence du projet des AOC et le non-respect de la définition du terroir… On observera que, jusqu’ici, le 49-51, qui permettait d’aller chercher du vin sur un plus large périmètre, a abouti à la mise sur le marché du Féchy dont 49% n’en était tout simplement pas!
Yvorne réduite au Grand Cru
Autre point de friction : le Chablais (600 ha) connaissait un système de coupage différent, selon que les vins étaient mis en bouteilles ou vendus au litre. Il a fallu trouver un dénominateur commun pour la région. Ni «Chablais» (qui peut aussi être valaisan et même français!), ni «district d’Aigle» ne semblaient convenir à la majorité des producteurs locaux. Le vin d’AOC régionale devrait donc se nommer Aigle, de Villeneuve à Bex. Du coup, Yvorne se voit privé de mettre sur le marché du vin sous ce nom prestigieux, le mot Yvorne étant réservé à une AOC communale restreinte, donc au grand cu, réservé au territoire de la plus grande commune viticole vaudoise (152 ha).
Prêt pour les vendanges 2009, vraiment?
Le nouveau système des appellations vaudoises devrait avoir de l’influence surtout pour le chasselas (62% du vignoble, soit 2365 ha). Pour le vin rouge, qui plus est pour les assemblages, le nom du ou des cépages, voire de la marque, sont plus importants que celui de la commune de production. Un système d’AOC moins nombreuses mais plus grandes rend service à la fois aux négociants, qui commercialisent de gros volumes de vin blanc, et aux petits propriétaires, qui leur vendent encore une partie de leur récolte et ne mettent pas tout leur vin en bouteilles. Le vigneron-encaveur, qui écoule sa propre production, sera, de facto, moins touché, sinon sentimentalement.
Respecter à la fois les intérêts commerciaux et les sentiments, cela fait beaucoup de paramètres… contradictoires. La nouvelle «pyramide» des AOC vaudoises sera-t-elle prête pour les vendanges 2009 ? A Berne et à Lausanne, en ce début d’année, on veut le croire… Le texte des experts a été remis au canton fin janvier. Ensuite, c'est le canton qui mettra en consultation le projet d'arrêté et fera la synthèse des réactions des milieux concernés, avant de rendre sa décision exécutoire.
Paru dans le
Journal Vinicole Suisse, numéro de janvier 2009.