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Posted on 26 février 2009 in Tendance

On achève bien les dégustateurs

On achève bien les dégustateurs

Quand le goût change…
On achève bien les dégustateurs

Rien ne va plus pour les dégustateurs de vins : les médailles des concours relèvent de la loterie, selon un chercheur californien. Et en Italie, l’œnologue bordelais Denis Dubourdieu accuse les journalistes de favoriser les vins trop riches.
Pierre Thomas
C’était la semaine dernière, dans une paradisiaque demeure toscane entourée de vignes, non loin de Montepulciano, la Fattoria del Cerro. Comme le Messie, le duo Denis Dubourdieu-Thierry Desseauve est arrivé du ciel, en hélicoptère, pour délivrer son évangile, dans une comparaison entre deux cépages italiens, qui sont encore des découvertes pour les Français. Mais qui sont passés «de la rusticité au raffinement», selon Desseauve, l’ex-rédacteur en chef de la «Revue du Vin de France», auteur, avec Michel Bettane, de «Les plus grands vins du monde» (Ed. Minerva). (Liste des vins en fin de fichier).
L’œnologue explique que ces «grands cépages classiques» sont cultivés à leur limite naturelle Nord, sur le fil du rasoir, avec le risque de mal mûrir, selon les millésimes. Tout se joue alors, comme pour tout vin rouge, sur la qualité des tanins : pour les arrondir, on peut les assembler à des variétés plus «aimables», ou jouer sur l’élevage dans des fûts, plus ou moins grands, plus ou moins neufs.
Vins lourds? Bons pour les journalistes!
Un parterre de journalistes du monde entier écoutait doctement cette bonne parole, distillée en français. A la minute des questions, une seule, sur la mode des vins rouges à afficher 14° ou 15° d’alcool (comme tous les vins dégustés du jour). «Je déplore cette tendance», a répondu Denis Dubourdieu. Tous les cépages, plantés dans des zones toujours plus chaudes, sont moins acides et plus alcoolisés. Le «marché» s’y est accoutumé, sous la pression des vins du Nouveau Monde, de la Californie à l’Australie, en passant par le Chili. «Le vigneron satisfait à une demande. Il n’est pas facile de refuser la critique, ni pour le producteur, ni pour l’œnologue», explique le Français, œnologue-conseil depuis une dizaine d’années à la Fattoria del Cerro.
Alors, ces vins lourds, qui suscitent «une lassitude, voire une aversion», à qui la faute ? Aux dégustateurs ! A la presse spécialisée donc, à qui l’œnologue a lancé : «C’est aux journalistes de jouer pour inverser la tendance, comme ils l’ont fait pour avantager les vins puissants.»
Des dégustateurs incapables
Vieille histoire de l’œuf et de la poule et du mythe du «goût du consommateur» : ce dernier ne peut juger que les produits qu’on lui soumet, sans avoir les moyens d’influer sur leurs caractéristiques. Le consommateur lambda s’en remet donc aux notes de dégustation et autres médailles. Méfiance! Début février, un chercheur californien, Robert Hodgson, a mis en lumière les carences des dégustateurs du jury du plus ancien des concours californiens. Un vin servi à trois reprises dans une série n’a pas été repéré, ni jugé de la même manière, par l’écrasante majorité des jurés. Conclusion du magazine «Der Spiegel» (repris par le «Courrier international») : «Les êtres humains n’ont simplement pas les qualités requises pour établir avec fiabilité ce type de jugement, pas même les experts.»
Exit la dégustation à l’aveugle, donc, rabaissée au rang de loterie. Et le magazine allemand enchaîne sur le prestige de l’étiquette, qui influence le goût des dégustateurs, sans dire que, précisément, c’est pour éviter ce piège que la dégustation à l’aveugle s’est généralisée… Conclusion lapidaire : «Les mauvais goûteurs de vin sont légion, les bons goûteurs n’existent pas».
Le vin n'est bon qu’à table
Même critique dans «Brunellopolis», un opuscule présenté à Montalcino, vendredi passé, et qui reprend le grand déballage sur Internet, lors du scandale, révélé il y a un an, des brunellos coupés, à hauteur de 15%, en parfaite illégalité, pour «améliorer» le sangiovese, mal mûri en 2003. Les journalistes sont renvoyés au «monde virtuel» de la dégustation, alors que «dans le monde réel, le vin se juge par rapport à des plats d’une immense variété organoleptiques, qui rendent les vins différents, et qui s’apprécient diversement en fonction d’un plat ou d’un autre». Message reçu cinq sur cinq par l’œnologue Denis Dubourdieu : «La vraie légitimité du vin est d’être bu dans un repas». La dégustation, elle, relève du «masochisme», selon «Der Spiegel».
On en avait assez entendu pour passer à table. Même si les oignons n’étaient pas assez fondants dans le risotto joliment croquant : le propriétaire de la Fattoria del Cerro, la Saiagricola, est aussi un gros producteur de riz, comme le carnaroli de la Cascina Veneria. Mais peut-être que j’y connais rien en risotto, allez savoir…

Eclairage
Le «goût français»
à l’épreuve toscane

Pour étayer son propos, le duo Dubourdieu-Desseauve présentait un «match» entre la barbera du Piémont et le sangiovese de Toscane. Parmi les premières, vertes critiques sur le style très boisé, «ambitieux, mais pas achevé» (dixit Dubourdieu), du Bricco dell’Uccellone 2005, vin culte du fils de feu Giacomo Braida, rénovateur de la barbera d’Asti dans les années 1980. Mention excellent à Roberto Voerzio, avec la barbera d’Alba Vigneti Cerreto 2006. Et banderille contre des vedettes du Piémont, les frères Rivetti, de La Spinetta, pour leur Bionzo 2006, «international et dans l’air du temps» (Desseauve). L’œnologue Dubourdieu va s’attaquer au domaine piémontais d’Arbiola, racheté par la Saiagricola. Et il cite comme exemple à suivre, «son» Antica Chiusina 2005, de la Fattoria del Cerro, un vino nobile di Montepulciano aux tanins serrés et encore un peu durs, assemblage de sangiovese (nommé ici prugnolo gentile) et de 10% de colorino, «l’égal du petit verdot à Bordeaux». Un vin jugé supérieur au Cepparello 2005, le pur sangiovese d’Isole & Olena, que les palais français ont mésestimé — mais le meilleur de la série selon moi, avec un très honnête Rancia 2005, Chianti Riserva de Felsina, plus ouvert et accessible que le Vigneto Bellavista 2004, du Castello di Ama, 80% sangiovese et 20% malvasia nera, le plus cher du lot, à plus de cent euros la bouteille.

Paru dans 24 heures du 27 février 2009.

Le + de www.thomasvino.com
Les vins et leurs distributeurs en Suisse

*Bricco dell’Uccellone 2005, Braida, La Treille, Penthaz (VD),www.treille.ch, 64 fr.
*Barbera d’Alba Cerreto 206, Granchâteaux, www.granchateaux.ch, La Conversion (VD), 36,60 fr.
*Barbera d’Asti Bionzo 2006, Rivetti, La Spineta, Aklin, Gingins (VD), www.aklin-vins.ch, 51,10 fr.
*Vino Nobile di Montepulciano «Antica Chiusina» 2003 (et pas 2005), Bindella, Zurich, 39,50 fr., www.bindella.ch
Cepparello 2005, Isole & Olena, Caratello, Saint-Gall, 67 fr., www.caratello.ch
Chianti Classico Riserva Berardenga (Felsina), Rancia 2005, Canetti, 40 fr. (seul figure sur le site www.canetti.ch, le 2003 à 35 fr.)
Chianti Classico Bellavista 2004 (Castello di Ama), Martel, Saint-Gall, 160 fr., www.martel.ch

Source: Annuaire Vinfox 2009, www.vinfox.ch