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Posted on 11 janvier 2005 in Vins européens

Autriche — Les vins autrichiens reviennent en force

Autriche — Les vins autrichiens reviennent en force

Les Autrichiens débarquent en Suisse
On croyait les avoir bouté hors de la Confédération à Morgarten, il y a près de sept siècles. Les Autrichiens reviennent en force en Suisse alémanique. Avec leurs vins.
Par Pierre Thomas
Ils s'appellent Bründlmayr, Loimer, Knoll, Hirzberger, Tement ou Pichler. Retenez ces noms. Ce sont ceux des vignerons qui ont réussi la plus belle ascension au firmament des grands vins européens, en moins de vingt ans. Et souvenez-vous. Dans les années 70, la Suisse, pour pallier de petites récoltes où même le chasselas indigène ne suffisait plus, avait acheté de grandes quantités de grüner veltliner, très bon marché. C'était – vieux souvenir d'étudiant! – un tord-boyau qui faisait paraître le pire des vins suisses excellent. Sans doute une ruse de commerçant…
Sauvés par un scandale
En 1985, coup de tonnerre, les vins autrichiens souffraient du scandale de l'ajout d'antigel, pour étoffer ses blancs produits à grand rendement. A quelque chose, malheur est bon. Il a fallu une bande de jeunes vignerons pour permettre à la viticulture autrichienne de redresser la tête. Willi Bründelmayer est de ceux-là. A tout juste 50 ans, il est à la tête d'un domaine confortable de 60 hectares, dans le Kamptal, au nord-est de Vienne.
Le paysage alentour ressemble à l'Alsace et la cave n'a rien à envier à une adresse bourguignonne, avec ses voûtes couvertes d'un duvet de ouate noire et humide. Même le nom de la commune, que recouvre l'un des plus grands vignobles d'Autriche – près de 2500 ha! –, Langenlois fait penser à un lieu-dit francophone. Il signifie «chouette vallon» en tchèque, comme l'explique le vigneron, dans un français appris à Sierre, où, à 16 ans, il est allé travailler un an à la Colline de Plantzette, et pratiqué couramment avec son épouse, une Parisienne.
Le renouveau du grüner veltliner
Dans le hameau d'à-côté, Bründlmayr a donné un coup de main à son ami Michael Moosbrugger pour remonter, il y a quelques années, les caves du château baroque de Gobelsburg. 32 hectares d'un vignoble cultivé par des moines cisterciens, jusque dans les années 1970. Moosbrugger a appris à aimer le vin à…Lausanne, où il faisait ses études.
Un grüner veltliner gagnant
Aujourd'hui, les deux compères se partagent quelques parcelles de deux crus en coteaux, appelés ici Ried, le Lamm et le Heiligenstein. A Vienne, le mois passé, le grüner veltliner Lamm 1997 de Bründlmayer a coiffé au poteau une trentaine de grands blancs du monde, d'une décennie, dégustés à l'aveugle par un jury d'une trentaine de dégustateurs internationaux. Nous l'avons noté ainsi: nez de poire et de coing, attaque en bouche riche, notes de surmaturation en bouche, du miel et du poivre blanc, typique du grüner veltliner; un vin puissant et d'une magnifique longueur en bouche.
Rien que de la haute qualité
Willi Bründlmayer est un perfectionniste. Son mousseux – le sekt – bénéficie des premiers passages dans les vignes. A mesure que les raisins mûrissent, ils sont cueillis pour faire des vins toujours plus puissants, plus riches en sucre, selon le système allemand, avec des riesling moelleux en dernière trie. «Nous pouvons attendre tard, puisque les mois de septembre à novembre sont secs, que les nuits sont froides et renforcent l'épaisseur des peaux».
Le vigneron travaille avec doigté les barriques et, au chêne français, préfère le bois de sa région, le Manhartsberg. «Chez nous, on appelle le grüner veltliner Manhardsrebe», explique-t-il. Son credo professionnel est simple: «La seule voie pour un vigneron qui vit de son métier, c'est de faire des vins de haute qualité. Il y a vingt ans, on les comptait sur les doigts d'une main en Autriche!» Aujourd'hui, ils représentent 20% d'un vignoble de 56'000 ha, quatre fois plus grand que le suisse. Mais qui exporte 56 millions de litres par an, soit 80 fois les «fines gouttes» helvétiques péniblement expédiées hors des frontières…
La Suisse au deuxième rang
Pour l'Autriche, l'Allemagne voisine est une cliente naturelle: elle absorbe 80% des exportations. Au deuxième rang, la Suisse rivalise avec les Etats-Unis: les deux pays acheteurs privilégient les vins chers, à plus de 25 francs la bouteille, et les liquoreux du Neusiedlersee, une vaste «gouille» à cheval sur la Puzsta hongroise, où les raisins sont passerillés sur des… roseaux (Schilfwein). Ou alors, les magnifiques rieslings de la Wachau, de part et d'autre du Danube, juste en-dessus de Vienne. Les vignerons s'y sont donnés, sur la base d'une législation fédérale la plus sévère du monde, une classification de vins de prestige qui leur est propre.
Ces vins sont désormais reconnus parmi les plus grands blancs du monde. Secs (donc acides) comme les grüner veltliner, ils en remontrent aux chardonnays. Et leur pureté minérale éblouit, quand le cépage bourguignon planté universellement est souvent abâtardi par un élevage au boisé dominant.

Eclairage
Des rouges qui se cherchent

Les vins autrichiens peuvent progresser aussi en Autriche, où ils sont largement consommés – l'Autrichien boit 32 litres de vin par an, contre 40 litres pour le Suisse. De plus en plus, le vin rouge est volontiers consommé, notamment à table. Ainsi, la consommation est partagée: 50% – 50%, blanc et rouge. Pour faire l'appoint, les Autrichiens importent des vins rouges du monde entier. «Les rouges de qualité ont un grand avenir chez nous aussi!», dit d'emblée Willi Bründlmayer. «Mais nous n'avons pas encore fait notre choix entre les trois cépages les plus répandus. C'est que le pinot noir donne les meilleurs résultats sur le calcaire, là où le chardonnay et le pinot blanc sont remarquables. Sur les sols plus caillouteux, le saint-laurent le dispute au riesling. Et sur les terroirs argileux, le zwiegelt concurrence le grüner veltliner. Pour le vigneron, il est bien difficile de faire un choix.»
Les vignerons du Bürgenland, une région intermédiaire, moins favorisée, ont opté, eux, pour des cépages internationaux que sont le cabernet sauvignon et le merlot. Mais ces assemblages, appelés «cuvée», s'ils sont à la mode, donc chers, ne cultivent pas une identité forte: trop de vins ont des tanins polis à outrance par le fût neuf. L'Autriche «vraie» n'est pas là!

Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, en juillet 2002