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Posted on 30 avril 2009 in Tendance

Une émeute pour les bordeaux 2008

Une émeute pour les bordeaux 2008

Primeurs 2008
Rush au Lausanne Palace
De mémoire de dégustateur, on n’avait jamais vu ça : près de 700 personnes de toute la Suisse se sont engouffrées, mercredi passé en fin d’après-midi, au Lausanne-Palace, pour déguster des bordeaux primeurs.
Par Pierre Thomas
L’opération, préparée depuis un an, a été menée par la maison Gazzar, à Ecublens (VD).  Elle tombe sur un millésime, le 2008, âprement discuté. Pour deux raisons. D’abord, parce que l’année 2008 a connu un été froid et pluvieux, sauvé par un automne ensoleillé et venteux — rappelant les conditions du 1988 (il y a vingt ans!). Ensuite, parce que sous les coups de boutoir de la crise économique, du désintérêt des Anglais et des Russes, la pression n’a jamais été aussi forte sur les prix.
Grâce à la mévente
«Ca n’est pas la qualité du millésime, mais l’environnement économique qui déterminera le succès des 2008», tranche Elie Gazzar. Depuis trente ans commerçant en bordeaux vendus par caisse (et non à l’unité), notamment à la restauration, il explique la démarche, une première hors Bordeaux pour la dégustation de vins en barriques : «Parce que les bordeaux sont vendus dès maintenant, mais livrés au début 2010, selon le système dit des primeurs, les acheteurs doivent passer commande sans pouvoir comparer les vins. Impossible jusqu’ici de mettre sur pied une telle dégustation : les propriétaires s’y refusaient! La mévente les a fait sortir de leur château.»
Un tiers du 2008 vendu?
Connu comme un excellent rapport qualité-prix, le Château Charmail, cru bourgeois du Haut-Médoc, était représenté au Lausanne-Palace & Spa par son directeur, Olivier Sèze : «En 2007, j’ai vendu les 75% de ma récolte. Mais je m’attends à n’écouler que le 30% du 2008. La campagne des primeurs sera très longue. Je ne vais pas baisser mes prix pour autant : ils ne sont montés ni en 2005, ni en 2006. Le problème, c’est qu’on commence à trouver des bordeaux bradés. Des lots de vins reviennent des entrepôts des Etats-Unis et d’Angleterre et sont proposés à prix cassés.» Même discours de Jean Guyon, du Château Rollan de By et de Haut-Condissas: «Depuis 2000, je n’ai jamais varié mes prix et j’ai dit que je ne le ferai pas pendant dix ans. Je ne vais donc pas baisser… L’essentiel, c’est le rapport qualité-prix. Le vin est fait pour être bu, pas pour être collectionné.»
Un «système archaïque»
Ces deux domaines pratiquent la vente en direct à l’importateur. Mais c’est l’exception : 90% des crus présents passent par le négoce de la place de Bordeaux. Elie Gazzar fustige «ce système archaïque. Il ne profite à personne, sauf aux propriétaires qui, les meilleures années, sont tranquilles et vendent d’avance. Les intermédiaires n’ont pas lieu d’être : le jeu de l’offre et de la demande suffit. Les Suisses se sont détournés du bordeaux à cause des prix trop élevés. Seuls ceux qui avaient exagéré, notamment en 2005, baissent considérablement.» Et les stocks paraissent considérables : certains domaines faisaient déguster les 2001, d’autres des 2003, millésime atypique, et beaucoup de 2004, mais aussi des 2005, hors de prix, et des 2006, sur la même lancée…
Le prix avant le goût
L’agent d’un cru classé rassurait un dégustateur : «Vous ne voulez pas déguster le 2008 ? Quand on en goûte trois ou quatre, on s’y habitue.» Honnête, le quidam lui rétorque : «Je n’ai pas le palais pour déguster des vins si jeunes.» Réponse du professionnel : «Si vous voulez vous rassurer, goûtez un millésime plus ancien juste derrière…» Et si la bouche était tapissée de tanins jeunes et fermes, une question fusait: «Et il va coûter combien ?» Le plus souvent, la réponse tombait : «Nous n’avons pas encore fixé notre prix !» La situation va se décanter dès cette semaine. Mais personne n’est pressé d’annoncer des prix à la baisse… Angélus, premier cru de Saint-Emilion, en annonçant, le premier, une chute de 45% a donné un signal fort. Et les premiers crus du Médoc ont suivi, en général, par une décote de 20 à 30% par rapport à 2007.

Paru dans Hôtel Revue du 7 mai 2009.