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Posted on 30 octobre 2009 in Vins français

Le bio gagne la Champagne

Le bio gagne la Champagne

Le bio gagne la Champagne

Signe du réchauffement climatique, on ose — enfin ! — parler raisin en Champagne. Et même bio. Visite chez un pionnier depuis vingt ans.
Par Pierre Thomas
Qui situe les vignobles de la Champagne? Quelque part au nord… Du côté de Reims et de sa fameuse Montagne, au sous-sol crayeux? Bien sûr, mais aussi, pour un tiers de la surface, à deux heures de route plus au… sud, dans la Côte des Bar. Bar non pas pour «bar à champagne», mais pour Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine, qui se partagent 7’000 hectares de vignes. Ici, la route du champagne croise celle du crémant de Bourgogne, à quelques kilomètres de Chablis, et le calcaire remplace la craie. Les vignes, plantées sur des coteaux bien exposés, sont mêlées aux grandes cultures, dans la plaine.
A chacun son innovation
Les Fleury sont installés à Courteron depuis 1895. «Chaque génération amène une innovation», explique, jovial, Jean-Sébastien, 33 ans. «Mon arrière-grand-père, pépiniériste, fut le premier à replanter sur greffe après le phylloxéra. Mon grand-père lança son propre champagne après la crise de 1929. Mon père, dès 1970, s’est lancé dans une démarche écolo. Et je peux fêter cette année les vingt ans de l’arrivée de la biodynamie sur notre domaine de 15 hectares, entièrement reconverti dès 1992.»
Les premiers essais furent catastrophiques… Le domaine revendique les deux labels Demeter et Ecocert. Le vigneron explique comment il enterre deux cents cornes de vache, remplies de bouse, de novembre à Pâques, pour stimuler la vie des sols. La «préparation 501», à base de plantes, favorisant la photosynthèse, est pulvérisée jusqu’à six fois par an sur les vignes, non pas par tracteur, mais par ULM, ces drôles de machines volantes interdites en Suisse. Et Jean-Sébastien pose fièrement devant un curieux cylindre branché à des tuyaux, le «dynamiseur», indispensable aux adeptes de l’anthroposophe Rudolf Steiner.

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Jean-Sébastien Fleury devant son «biodynamiseur», qui active la «mémoire de l’eau» chère au Docteur Montagnier (co-découvreur du virus du Sida).

Jouer sur l’assemblage
Vingt ans de biodynamie au nord de la France ? Cela s’explique notamment par le réchauffement climatique. Les vendanges n’ont jamais été aussi précoces en Champagne. Mais aussi par le génie — ou les astuces — des Champenois. Contre mauvaise fortune du ciel, ils ont développé, depuis la nuit des temps, des stratagèmes pour ne pas perdre le fruit de leur labeur. En 2003, la grêle s’est combinée à la canicule, et en 2007, le mildiou s’en est mêlé, empêchant d’atteindre les normes de l’AOC en bio. Qu’à cela ne tienne : les Champenois, chaque année, et particulièrement les bonnes, récoltent davantage qu’ils n’ont le droit de mettre sur le marché, et disposent ainsi de «vins de réserve». La cuvée de base, pierre d’angle du champagne, est toujours un assemblage de plusieurs années.
La liqueur qui change tout
S’ajoute aux aléas de l’année, le gel de printemps. En 1995, il fut terrible, obligeant d’arracher une partie des vignes. Cette année-là fut aussi la première où Fleury produisit un vin en biodynamie. Le vin de base n’avait pas fait sa malolactique, conservant une acidité redoutable. Quatorze ans plus tard, la maison propose trois champagnes 1995. Leur dégustation permet de juger de l’importance de l’ajout de la «liqueur d’expédition», exprimée en grammes de sucre. Cette ultime «rectification», avant bouchage définitif, modifie un champagne du tout au tout. L’Extrabrut (3 g. de sucre) est bâti sur l’acidité, avec des arômes de fruits secs, de curry, le Brut (14 g., à la limite des 15 g, autorités en brut), au nez de pain de seigle, exprime des épices plus douces, tandis que le Doux (53 g. de sucre) rappelle la mirabelle, l’amande — le sucre masque l’acidité et exhausse les saveurs! Pourtant, la base est la même : 80% de pinot noir, vinifié en blanc bien sûr, et 20% de chardonnay.

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Un peu partout en Champagne, les grands fûts de bois (foudres) font leur retour pour stocker les «vins de réserve» qui entrent dans les «cuvées de base», fer de lance de chaque maison.

Bio et techno
Si la biodynamie règne dans les vignes, la cave est à la pointe de la technique. A côté des pressoirs verticaux à plateaux, un pressoir automatique de la dernière génération. Les cuves de vinification sont en inox, mais les vins de réserve sont logés, depuis peu, dans de grands foudres en chêne — un retour sur le bois largement observé en Champagne. Et la maison est très fière d’avoir développé, avec le laboratoire officiel de la région, une levure sélectionnée dans sa cave, reproduite de manière industrielle, et largement diffusée dans tous les vignobles du monde (Quartz).
Sur le fond, Jean, le père, explique en une phrase pourquoi il a renoncé aux produits chimiques à la vigne : «Je me suis dit : si on continue, on crève.» Mais il y a encore du boulot : il faut réduire la dose de cuivre, produit de substitution contre le mildiou, et le soufre (SO 2), «voire s’en passer», une autre mode prisée en Champagne, où les bulles pardonnent presque tout…
*Le champagne Fleury est importé par Adalbert Jaques, 1450 Sainte-Croix (VD), tél. 024/455 24 24.

La Champagne, vignoble modèle ?

Même Vitiswiss, l’organisation des vignerons suisses qui chapeaute le label Vinatura (cahier des charges de la PI, production intégrée), cite, ces jours, la Champagne en exemple, pour son «bilan carbone» lancé dès 2003. L’idée est d’agir sur toutes les étapes, de la vigne au verre, pour limiter les gaz à effet de serre. Sur un autre plan, l’Association Paysages du Champagne rêve de rejoindre Lavaux au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le dossier a été présenté vendredi passé aux Riceys, village le plus fameux de la Côte des Bars. Il prévoit de classer six sites remarquables (Les Riceys, le coteau d’Ay, la colline Saint-Nicolas à Reims, l’avenue de Champagne à Epernay, des caves traditionnelles à Châlons et Château-Thierry). Le 17 novembre, les Champenois iront plaider leur cause à Paris, devant le Comité des biens français, qui choisira une seule candidature à soumettre à l’UNESCO, l’été prochain. (pts)

Paru dans 24 Heures du vendredi 30 octobre 2009.