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Posted on 27 mars 2010 in Vins suisses

Un Chasselas sorti de l’oeuf

Un Chasselas sorti de l’oeuf

Clos du Crosex Grillé, Aigle

Un chasselas sorti de l’œuf

Seul vin vaudois de la promotion 2010 de la «Mémoire des vins suisses», le chasselas du Clos du Crosex Grillé à Aigle. Le duo Gex-Cavé fait encore des siennes.
Par Pierre Thomas
Cela n’a rien à voir avec Pâques qui pointe son nez. Mais le chasselas choisi par la Mémoire des vins suisses (le journaliste zurichois Andreas Keller et consorts) sort tout droit d’un œuf. Un œuf que les initiés nomment amphore et, chez Bernard Cavé, «cocon». Un terme pas si faux, puisque de cette chrysalide de béton d’argile gris, développée en Bourgogne, chez Nomblot, s’envole un chasselas-papillon proche de la pureté absolue.

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Il faut reconnaître à l’œnologue Bernard Cavé, 40 ans en janvier prochain, (photo ci-dessus, ©pthomas) une passion pour les procédés physiques, plutôt que chimiques, dans l’élaboration des vins. Comme son ami, l’iconoclaste Dan Schlaepfer, partagé entre Genève et les Baux-de-Provence, il utilise volontiers le concentrateur, préférant éliminer de l’eau de raisins bien mûrs que d’ajouter du sucre de betterave au moût pour l’enrichir (la «chaptalisation» comme disent les initiés).
Haro sur la réduction
L’œuf géant (600 litres) remplace le tonneau ou la barrique. Outre la micro-oxygénation assurée par la porosité du matériau, les lies sont en mouvement perpétuel, grâce à la forme du contenant. Il y des théories là-dessus, qui feraient passer Parsifal de Wagner pour de la bibine de comptoir… Et si le chasselas, cépage délicat à vinifier, souffre de «réduction» récurrente, l’amphore devrait le sortir de ces affres pour dégustateurs patentés (du label Terravin, par exemple).
On sait aussi qu’à l’exception des grands foudres patinés, le chasselas supporte mal le bois, surtout neuf, à moins d’aimer la décoction de chêne. Pour Bernard Cavé, tombé en 1987 dedans à Aigle, où il a fait son apprentissage, un chasselas «doit rester friand et frais». Pas davantage? «L’équilibre entre le gras et la fraîcheur n’est jamais facile à atteindre. Et nous avons la chance, en Suisse, d’avoir une large gamme de cépages pour obtenir d’autres blancs plus corsés.» Il ne s’en prive pas ! Ses puissants pinot blanc ou marsanne, il les élève aussi en amphores — une vingtaine dans sa cave d’Ollon.
Le maître d’apprentissage de l’œnologue, Paul Tille, était le vigneron d’un domaine célèbre, ayant appartenu à la famille Cuénod, apparentée au Churchill (comme Winston !), mentionné en 1894 déjà, comme «Yvorne Crosex-Grillé», puis à la «Tribune de Lausanne». Quand, en 2002, ces 22’000 mètres carrés de vignes en amphithéâtre plein sud (Crosex veut dire creux et grillé… par le soleil), face aux Dents du Midi, entre Yvorne et Aigle, sont en mis vente, Philippe Gex et Bernard Cavé ne laissent pas passer l’occasion. Le premier, vigneron, syndic d’Yvorne et gouverneur de la Confrérie du Guillon, et le second sont associés. Gex, avec son chef de culture, Fabrice Monod, cultive 15 hectares entre Yvorne, Aigle et Ollon et Cavé vinifie un demi-million de litres de plus de trente vins entre Chablais et Valais. (Ci-dessous, Philippe Gex, à g., et Pierre Thomas, au Crosex Grillé, photo ©Laura Saggiorato)

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Le sommet de la pyramide
Mais le Crosex Grillé est leur Steinway à quatre mains (clin d’oeil à leur ami pianiste Thierry Lang). «Il y avait du pinot blanc et gris, du sylvaner, du pinot et du gamaret. On aura tout arraché cet année pour nous concentrer sur le chasselas et la syrah, plantés pour le premier, sur une vingtaine de terrasses, et pour la seconde, sur deux terrasses et contre les 4 kilomètres de murs en pierres sèches.» Il a fallu batailler ferme pour classer le Crosex Grillé en clos : c’est fait depuis trois ans. «On vise le sommet de la pyramide. Et on va étudier le dépôt d’un dossier de Premier Grand Cru, selon la nouvelle législation vaudoise. C’est un terroir exceptionnel pour le chasselas.» Philippe Gex ne cache pas ses ambitions, qu’il espère payées de retour, à 30 francs la bouteille. C’est le moment que le chasselas «monte en gamme», comme l’a écrit le professeur d’économie de l’Université de Lausanne, Bernard Catry, pour les vins… valaisans.

Mes 3 coups de cœur

Cuvée des Immortels 2009
21 fr. (70 cl)

Moitié cuve inox, moitié amphore ; nez légérement anisé, du gras, de l’ampleur, masquée un peu par le gaz carbonique ; de la minéralité, avec une pointe d’amertume tonique.

Amphore 2009
26 fr. (70 cl)

100% en amphores (1’000 bouteilles) ; nez ample de fleurs blanches ; le vin, dégusté en janvier avant mise en bouteille et après, paraît «plus» de tout : plus ouvert, plus exotique, plus aromatique, plus puissant, plus minéral.

Excellentia 2008
28 fr. (75 cl)

Assemblage rouge de 90% de syrah et de 10% de gamaret ; robe pourpre profond ; nez poivré, épicé et de moka ; boisé fin; structure moyenne et tanins enrobés, avec une pointe d’acidité. Ce vin gagnera en concentration à mesure que les ceps vieilliront (les syrahs ont entre 6 et 3 ans). Dès le millésime 2009, pure syrah.
www.bernardcave.ch et www.mdvs.ch

Paru dans le quotidien 24 Heures du 26 mars 2010.