Vaud — Nouvelle cave pour les 75 ans de Louis-Philippe Bovard
Domaine Bovard, Cully
A grand baron, joli pressoir
Par Pierre Thomas
Il avait choisi la Saint-Louis, soit avant-hier, pour fêter l’événement. Dans la famille, depuis 1684, où fut signé le premier acte d’achat d’une vigne, neuf Louis et une Louise se sont succédé. Louis-Philippe n’est revenu sur le domaine paternel que sur le tard, en 1983, à près de 50 ans, après des études d’économiste et de juriste, et des postes de direction à l’Office des vins vaudois et au Comptoir suisse. Un étonnant parcours, qui explique aussi pourquoi ce «baron» s’est toujours appuyé sur de fidèles employés. Son vigneron, «Manu» Ricou, va rentrer sa vingt-cinquième vendange. Et Philippe Meyer, 31 ans, signera son troisième millésime.
Le sens du brillant
Cet Alsacien, issu d’une grande famille (propriétaire du domaine Josmeyer), synthétise deux fascinations du «baron» : la Champagne, où le jeune homme a fait ses études et travaillé en cave, et l’Alsace. Des Champenois, Bovard a retenu le sens du produit bien vendu, adossé à un savoir-faire éprouvé, mais aussi la volonté de briller. Un trait de famille : son grand’père n’a-t-il pas osé écrire en fines lettres d’or sur le Dézaley Médinette, «le plus fin des vins suisses»? Et Louis-Philippe Bovard aime l’Alsace, cette région à grands vins blancs. Il rappelle volontiers que c’est un Alsacien, Léonard Humbrecht, qui lui a conseillé de planter du… chenin de la Loire, sur les bords du Léman.
Bovard a toujours su garder l’esprit ouvert, comme si «Louis» complétait «Philippe». Le fond (l’étude des terroirs vaudois, inspirée de l’Alsace, encore, et de ses grands crus) et la forme (le pot vaudois ou le verre chasselas de Riedel). Le passé (le Musée vaudois de la vigne et du vin) et l’avenir (la Mémoire des Vins Suisses, instrument pour démontrer la capacité des vins suisses à se bonifier dans le temps). Le collectif (une interprofession pour les vins de Lavaux, première de Suisse en 1991) et l’élitisme (la Baronnie du Dézaley, en 1994, Arte Vitis, en 2003, deux cercles vertueux favorisant les meilleurs vins de Lavaux et vaudois).
Un iconoclaste de Lavaux
Indéfectible défenseur du chasselas, jusqu’à en concevoir un conservatoire (lire ci-dessous), Bovard est aussi iconoclaste, plantant du sauvignon et du chenin à Lavaux. En cave, il a presque tout essayé : le «sans-malo» et la barrique sur le chasselas, et même les vins doux par accident. Sa nouvelle cave, avec ses locaux climatisés (chaud et froid) et son mini-pressoir bijou, permettront sûrement d’autres audaces. Même si le jeune Philippe Meyer assure que ça ne va rien changer aux vins ! Un trésor de Médinette à travers les âges montre que la tradition se nourrit de l’évolution. Ce printemps, on dégustait ensemble un 1961, seul dézaley retenu pour l’Expo 64 : robe vieil or, nez de beurre salé, de cognac, finale sur les noisettes grillées. Un chasselas non chaptalisé à moins de 11% d’alcool. Il y a encore de la place pour bousculer les idées reçues, foi de Bovard !
Chasselas : un conservatoire à voir
3 coups de cœur
Nez explosif, typé feuille de cassis et menthe poivrée ; attaque bien balancée ; notes de caramel ; du fruit, le la structure et une pointe de salinité finale. Un sauvignon de Lavaux, frais et vif, avec un apport de raisin de La Côte, élevé 10 mois en barriques, 4’000 bouteilles. La version plus «luxueuse», Buxus, est encore marquée par l’élevage.
Médinette 2009, Dézaley Grand Cru, 24.50 fr.
Nez d’agrumes, citronné ; attaque vive, sur l’ananas, la mangue ; en rétrolfaction, des notes de noisette qui devraient prendre le dessus, lorsque la vivacité primesautière aura disparu ; puissant, avec une touche d’amertume finale. Comme en 2003, pas de deuxième fermentation sur ce Dézaley, tiré à 45’000 flacons. Mis en vente en juin de l’année qui suit la vendange.
Phlox 2009, Chenin liquoreux, 28 fr. (50 cl)
Nez d’abricot, de mandarine ; attaque sur la vivacité, les agrumes confits ; une sucrosité modérée, privilégiant l’équilibre. Un vin issu d’un «accident» viticole : à l’automne 2009, les raisins ont brusquement «caillé», obligeant à les ramasser, partiellement botrytisés, en trois passages. Le vin affiche 12,8% d’alcool, 80 g. de sucre et 5 g./l. d’acidité : l’œnologue est parvenu à conserver la fraîcheur des arômes propres au chenin. 3000 flacons.
Quoi ?
Un domaine de 16 hectares et achat de raisins (de 4 ha) ; la part du chasselas est passée de 90% (1995) à 70% aujourd’hui, 10% de sauvignon et de chenin et 20% de rouge, pinot, merlot et syrah.
Comment ?
Autour de 180’000 bouteilles vendues l’an, auprès de privés, de la restauration, de commerces spécialisés et de la Coop.
Combien ?
19 vins, 6 chasselas «de terroir», 5 assemblages rouges, 3 vins doux (dont un rouge muté).
Où ?
Domaine Louis Bovard, La Maison Rose, Cully, www.domainebovard.com
Paru dans 24 Heures du 27 août 2010.