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Posted on 7 octobre 2010 in Carte Postale

Des Suisses du Sud (de la France)

Des Suisses du Sud (de la France)

Entre Signac et Lauzières

Les vignerons suisses établis dans le Sud de la France, et qui se partagent entre les deux pays, ne sont pas (si) rares. Visite à deux domaines au bout du Rhône… Château Signac, d’abord, une propriété non loin de Bagnols-sur-Cèze, à quinze kilomètres au nord de Châteauneuf-du-Pape, en appellation côtes-du-rhône villages Chusclan. Au pied d’une montagne croisée entre les fameuses Dentelles de Montmirail (rive gauche du Rhône) et la Montagne de la Table (au Cap, Afrique du Sud), sur la rive droite du fleuve s’étend un domaine de 60 hectares de bois et de garrigues et de 39 ha de vignes. Grenache et syrah, comme de juste en CdR, occupent l’essentiel du vignoble, complété par le cinsault, le carignan, la counoise et le mourvèdre, cépages typiques du Sud de la France. Ce fief de Valaisans — la famille de Jean-Marc Amez-Droz, ancien directeur de Provins-Valais, mais avec une majorité d’actionnaires français et étrangers — abrite une Combe de l’Enfer… Après qu’Alain Dugas (œnologue retraité du Château de La Nerthe, un des plus prestigieux domaines de Châteauneuf-du-Pape) eût joué le rôle de conseiller, Jean-Marc Amez-Droz signe lui-même quelques cuvées, avec son œnologue maison, un jeune Chilien, Eduardo Pincleva.

vins_signac.jpgLors de mon passage dans cette bastide, en été 2010, les 2008 étaient tout juste mis en bouteille… J’ai donc goûté les 2007, grande année dans le Sud de la France. La Cuvée Tradition porte bien son nom: un côtes-du-rhône d’une belle fraîcheur de fruit, avec des notes légérement viandées, et des tanins fins et souples. La Combe d’Enfer se situe un cran en-dessus, avec un beau volume, et une finale réglissée. La cuvée Terra Amata, à majorité de syrah, exhalait des arômes de figue, d’olive noire, sur des tanins fermes et un léger boisé, plus présent dans Le Secret, de 2005. Quel secret cache donc cette cuvée haut de gamme, à base de grenache et de syrah? Précisément un élevage un rien luxuriant, en barriques neuves, avec une touche de chocolat amer. Le secret est dans la barrique…
Le Rhône retraversé au sud d’Avignon, j’attaque la montée du massif des Alpilles, en direction du Domaine de Lauzières. Depuis bientôt vingt ans (1992), des Genevois sont aux commandes, dans cette combe en amphithéâtre, bordée d’oliviers — 31 ha de vignes et 25 ha d’oliviers, sans compter les truffes… Quand on connaît Jean-Daniel Schlaepfer et Gérard Pillon, les plus gros producteurs de vin bio de Suisse, au Domaine des Balisiers, on sait leur passion pour des méthodes peu orthodoxes. Voici donc des «vignes en lyre», sur 16 ha replantés, un procédé cultural développé par le professeur Alain Carbonneau, moins prophète en son pays qu’en… Uruguay. Et en cave, plus une barrique! Que des amphores, ou plutôt des œufs en béton d’argile.

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Avec une bonne centaine de ces contenants qui respirent (même effet que les fûts, mais sans l’arôme de chêne!), Schlaepfer règne sur le plus grand parc au monde d’amphores new look.. La vedette du domaine, c’est le Sine Nomine, qui n’a pas le droit d’afficher son cépage fétiche, le petit verdot, complété par un gros tiers de grenache. Nez suave, profond, avec des nuances poivrées; en bouche, du sureau, de la mûre, un bel équilibre, déjà, sur le 2007. Faut-il regretter l’élevage en bois, qui lui aurait donné un soupçon de patine? Peut-être… La cuvée Paradoxe 2006 (60% mourvèdre et 40% syrah) est à la fois riche et puissante, avec des arômes de moka et des tanins fondus, sans doute marque des amphores qui l’on assouplie durant une bonne année. Les épices douces, les olives noires aussi, se retrouvent dans la cuvée Solstice, de la riche année 2007 (14% d’alcool!), fruit de l’équilibre parfait entre le trio complémentaire du grenache, de la syrah et du mourvèdre. En 2007 encore, la cuvée d’entrée de gamme, Equinoxe, dévoile les qualités des autres cuvées, avec un peu moins de puissance, mais toujours un joli équilibre des saveurs (deux tiers de grenache, le dernier tiers réparti entre le cinsaut et le carignan, qui subsistent sur le domaine). Le domaine, tout en bio, héberge aussi Jean-André Charial et une cuvée qui lui est propre: le président de l’AOC Les Baux-de-Provence a failli tout perdre quand la succession du Château Romanin l’a écarté de ce domaine emblématique… Il lui reste quelques restaurants et notamment le légendaire Relais et Château, l’Oustau de Baumanière. Et donc quelques bouteilles de vin rouge (passé en barriques, celui-là…) et de puissant huile d’olive dont Maussanne est la capitale provençale.
(texte et photos, Pierre Thomas, Signac et Lauzières, août 2010)