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Posted on 29 octobre 2010 in Vins suisses

Sainte alliance pour les vins suisses

Sainte alliance pour les vins suisses

Un dossier de L’Hebdo (5.11.2010)

Sainte alliance pour les vins suisses

Cette année, les vins suisses ont — enfin ! — réussi à faire cause commune pour engager 2,5 millions de francs dans une campagne de publicité nationale en 2011. Producteurs et négociants veulent enrayer la chute de la consommation. L’analyse de Pierre Thomas. Le lien sur le dossier complet.
En 2009, les Suisses ont bu l’équivalent d’une bouteille de vin de moins par habitant qu’en 2008 (soit 37,9 litres, dont 63% de vins étrangers). Cette baisse est à mettre au débit des vins suisses (— 4,5%), et d’abord des vins vaudois (— 8,3%). Face aux «spécialités» valaisannes (petite arvine, païen/heida), aux blancs autrichiens et espagnols, le chasselas (70% de la production vaudoise) peine à maintenir ses positions outre-Sarine, à l’heure où le rite helvétique de l’apéritif disparaît inéxorablement.
La campagne nationale de pub pour 2011 associera un vin d’une des six régions viticoles avec un objet-culte de la suissitude, selon le projet présenté par l’Atelier Grand, de Sierre. Au préalable, les milieux vitivinicoles ont dû se reconstituer en Interprofession de la vigne et des vins suisses (IVVS), sous l’impulsion du conseiller national radical-libéral neuchâtelois Laurent Favre. Nommé président de l’IVVS en été 2010, il chapeaute un comité de neuf personnes, où l’on retrouve deux anciens présidents des précédentes moutures, le Vaudois Thierry Walz, actuel vice-président, et le Valaisan Philippe Varone, président des négociants suisses.
Plutôt qu’«un pour tous, tous pour un», il s’agit plutôt d’appliquer une autre devise, «l’union fait la force», pour répondre aux critères de la Confédératzion. L’Office fédéral de l’agriculture financera la campagne pour moitié (soit 1,25 millions de francs) à condition  qu’une part égale provienne d’une contribution des vignerons et des encaveurs (de un centime, partagé entre les kilos récoltés et les litres commercialisés).
Dans ce contexte de consommation déprimée, chaque région connaît ses propres enjeux. Plus faible en quantité qu’en 2009, où le Valais avait produit davantage que les années récentes, la vendange 2010, inférieure jusqu’à 20% à 30% selon les cépages et les régions, à cause d’un printemps froid et d’une floraison inégale (coulure et millerandage), est de nature à rassurer les milieux vitivinicoles. Rappel : la Suisse boit l’entier de sa production et n’exporte qu’un pour cent de ses vins.

Genève
Mieux vendre outre-Sarine

Venu de Zurich, l’œnologue Martin Widerkehr, 46 ans, nouveau directeur de la Cave de Genève (qui produit un tiers des vins de la république), doit mieux faire connaître les vins genevois outre-Sarine. Il siège au comité de l’Interprofession de la vigne et des vins suisses (IVVS) et de Swiss Wine Promotion.
Selon la statistique, la consommation des vins genevois a diminué, surtout en rouge (54% de la production), mais les Genevois ne paraissent pas trop s’en faire. La demande de vins d’entrée de gamme en blanc (chasselas romand), et frais et fruités en rouge (gamay) joue en leur faveur, à condition de maintenir des prix bas. Les cuvées plus prestigieuses (quelques excellents assemblages rouges) trouvent preneur sur place, où les vins locaux ont de plus en plus la cote, selon un sondage. Les Genevois jouent aussi sur la fibre écolo : selon un «écobilan», il est plus judicieux de boire du vin local (indice 190) que du rouge espagnol (290) ou chilien (280).
Comme la plupart des cantons Genève a réaménagé sa législation en 2009. Ainsi, l’AOC générale Genève, mention obligatoire sur l’étiquette, chapeaute vingt-deux sous-appellations locales. Cette année, Genève a inauguré sa Maison des Terroirs, à Lully. La cave du domaine de l’Etat et l’OPAGE, l’office de promotion des produits agricoles (dont le vin), sont sous le même toit.
Dans le climat économique morose, la question des 140 hectares situés en France, soit un peu plus de 10% de la surface du canton (1292 ha sans la zone frontalière), empoisonne toujours les relations entre les vignerons. Les propriétaires du plus grand domaine bio de Suisse, Les Balisiers, et quelques autres ont fait recours au Tribunal fédéral contre l’accord entre la Suisse et la France, ratifié par les pays de l’Union européenne. Les recourants sont prêts à reconnaître 80 ha de vignes genevoises historiquement plantées sur sol français, mais pas davantage. Pour 2010, les raisins récoltés dans la zone frontalière donneront du vin AOC Genève : l’accord est entré en vigueur le 1er août et le recours au TF, postérieur, n’a pas d’effet suspensif.

Vaud
Une pyramide bancale

On n’a jamais bu aussi peu de chasselas vaudois qu’en 2009. Pour la première fois de l’histoire, la consommation du blanc le plus représentatif des terroirs vaudois est descendue sous la barre des 20 millions de litres (contre 30 millions dix ans auparavant).
A quelque chose, malheur est bon : le label Terravin a réussi à décrocher une aide exceptionnelle de l’Etat de Vaud (700’000 francs) jusqu’en 2012. Et juste avant les vendanges, les vignerons et les encaveurs ont accepté de lever 1,5 million de francs de plus pour la promotion des vins vaudois. Ils mettront en place un «observatoire du marché», un outil dont les Valaisans disposent depuis longtemps.
Le label Terravin aura aussi la délicate tâche de déguster les Premiers Grands Crus, attendus pour le millésime 2011. Ce sera la clé de voûte d’une reconstruction du système vaudois des appellations d’origine contrôlée (AOC), annoncée en 2009, sur ses 3818 ha. Conçu comme «pyramidal», le système s’est avéré bancal, avec une écrasante majorité de chasselas atteignant, en 2009, le taux naturel de sucre nécessaire pour être validés en Grand Cru.
Ce nouveau régime a, primo, supprimé les AOC de villages, secundo, nivelé par le bas la catégorie des Grands Crus en les transformant en AOC communales, seules dignes de foi, et, tertio, mis sur orbite des Premiers Grands Crus qu’il s’agira de définir «ex nihilo». Résultat : les étiquettes des vins vaudois ne sont plus fiables pour les distributeurs et les consommateurs, habitués aux ex-AOC communales. Les AOC régionales (La Côte, Chablais, Lavaux, Côtes-de-l’Orbe, Bonvillars) permettent un coupage global juste inférieur à 50% tout en maintenant le nom du «lieu de production». Ce système est contraire au droit européen, qui exige 85% de la provenance du lieu mentionné sur l’étiquette et 15% de coupage ou d’assemblage au maximum. Sous pression de Berne, et de l’Union européenne (UE), le système vaudois devrait évoluer vers la conformité avec le droit communautaire. Rayon économique, le groupe Schenk a accentué son importance : via Obrist, à Vevey, il a racheté Badoux, à Aigle et la mise en bouteilles a été centralisée à Rolle, où Schenk s’apprête à moderniser et rationaliser ses installations de plus gros opérateur du secteur du vin en Suisse.

Valais
La pratique plutôt que la théorie

A peine les producteurs valaisans avaient-ils rejoint la Fédération suisse des vignerons, préalable pour orchestrer la campagne nationale en faveur des vins suisses, qu’un rapport encourageait le Vieux-Pays à faire cavalier seul. Dans le plus grand canton viticole suisse 2011 devrait marquer un retour aux affaires des réalistes, plutôt que des théoriciens.
Menée par le professeur d’économie Bernard Catry, de l’Université de Lausanne, l’étude VITI 2015 conclut au fait que les Valaisans n’ont rien à gagner à participer à une promotion commune des vins suisses. En effet, dans un marché fermé, où seuls les Suisses boivent des vins suisses, chaque région est concurrente des autres. L’étude plaide au surplus pour un rôle renforcé de l’Etat et à une volonté de «montée en gamme» des crus valaisans, pour garantir un meilleur revenu aux producteurs de raisin.
Ces théories risquent d’être sacrifiées sur l’autel du pragmatisme en 2011. Car si les vins valaisans affichent une belle stabilité, avec une mue réussie vers davantage de vin rouge que de blanc (plus de 400 millions de litres consommés, dont 150 millions de blanc, seulement), à l’image des habitudes des consommateurs suisses, les tensions restent grandes entre les acteurs économiques du plus grand canton viticole (5069 ha). Le canton du Valais pèse autant que tous les autres romands réunis.
Après une année 2009 de (relative) grosse production, certains négociants réclament une meilleure maîtrise de l’offre, par l’introduction d’un «plafond limite de classement» (PLC). Cet instrument, connu en Champagne, dans le Chianti ou la Rioja, permet d’orienter chaque année la mise en marché, pour éviter que des vins soient bradés en grandes surfaces. Car ces dernières années, tout en insistant sur des contrôles effectués dans le vignoble, les Valaisans se sont contentés des quotas de production fédéraux, y compris pour les cépages les plus exigeants et les jeunes vignes plus productives. L’arrivée à la tête de l’interprofession, en mars prochain, de l’œnologue-encaveur de Vétroz Gilles Besse, devrait donner une nouvelle impulsion aux vins valaisans. Mais l’IVV a été décapitée: en délicatesse avec les différentes factions de son comité, le directeur Pierre Devanthéry a été prié de partir en octobre.

Région des Trois-Lacs
Des vins de niche en progrès

Les vins des trois vignobles de Neuchâtel, du Vully (Fribourg-Vaud) et du lac de Bienne, connus sous le vocable de «région des Trois-Lacs», ne représentent que 10% des vins romands. Leur marché de niche, proche du Mittelland, évolue favorablement.
En 2009, la consommation de vin rouge de Neuchâtel a dépassé celle des vins blancs. Le plus bourguignon des cantons suisses, au vignoble à peine plus vaste que celui d’une commune valaisanne (591 ha), offre un choix de vins bien ciblé. D’une part, du chasselas, complété par la spécialité locale qu’est le «non-filtré», sorti de cave en janvier déjà. Puis, suivant la qualité du raisin, le rosé — l’œil-de-perdrix — absorbe jusqu’à la moitié du pinot noir. Chaque encaveur propose un pinot noir «simple», de cuve, un vin élevé en barriques et, souvent, un chardonnay. Neuchâtel ne connaît pas (encore) de législation de Grands Crus, mais vingt-trois sous-appellations régionales ou locales et les encaveurs vinifient de plus en plus de cuvées parcellaires.
Coup de théâtre, et psychodrame comme le milieu vitivinicole suisse en réserve parfois : dans le répertoire fédéral des AOC publié cet été, le Vully n’existe plus! Seuls subsistent les 13 ha du vignoble de Cheyres (FR). Il y a des années que le Vully jouait la trignolette… Sous une même étiquette, le consommateur pouvait trouver du vin produit selon des critères différents, qu’il provienne de Fribourg (103 ha) ou de Vaud (50 ha). Berne met les deux cantons au pied du mur : ils sont condamnés à s’entendre pour retrouver leur AOC. Chez les Fribourgeois, le blanc reste dominant (à 75%), mais le freiburger (en réalité du freisamer, un croisement d’origine allemande), le traminer (le gewurztraminer), le pinot gris ou le sauvignon complètent l’offre de chasselas.
Ce que Fribourgeois et Vaudois n’ont pas fait, les vignerons du lac de Bienne (220 ha) l’ont réussi : ils ont mis de l’ordre dans leur AOC, plus fidèle au contenu réel de la bouteille que par le passé. Ils gardent une grande liberté pour cultiver des cépages «exotiques» sous de telles latitudes (viognier, malbec, etc.), avec 60% de blanc pour 40% de rouge consommé.

Suisse alémanique
Des vignerons près de leur marché

Les vignerons de Suisse alémanique ont le vent en poupe. Ils ne produisent ensemble que 15% des vins suisses, de Bâle aux Grisons, en passant par Schaffhouse, Argovie, Thurgovie ou Zurich, mais n’ont pas de problème à vendre leurs flacons dans un marché de proximité.
La consommation des vins de Suisse alémanique a été satisfaisante en 2009, pour deux tiers de rouge et un tiers de blanc, soit l’exacte proportion de la consommation par les Suisses des vins de toutes origines. La consommation est très diversifiée selon les régions : celle des vins blancs d’Argovie a quadruplé en une année, mais reste inférieure à celle de Neuchâtel. Dans les Grisons (420 ha), le millésime joue un rôle décisif, dans une région où le pinot noir, sensible au climat favorisé par le foehn, règne en maître reconnu (même si aucun pinot noir grison n’était nominé au GPVS). Zurich (613 ha) et Schaffhouse (477 ha), qui «pèsent» chacun presqu’autant que Neuchâtel, affichent des chiffres stables. Morcelé, le vignoble alémanique abreuve les villes de Zurich, Bâle ou Saint-Gall. «Penser global, boire local» est un slogan auquel la proximité des vignobles et la diversification des vins répond. Fût-ce au détriment des «lointains» vignobles de Suisse romande !
La présence des vins alémaniques au Grand Prix du Vin Suisse (583 sur 2715, soit 21%) dépasse leur poids économique réel. C’est qu’au contraire des cantons romands, la Suisse alémanique a renoncé à ses sélections régionales pour en confier l’organisation au GPVS. Une semaine avant le «salon des vins suisses» VINEA à Sierre, le premier week-end de septembre, le journaliste Andreas Keller a mis sur pied un événement à Zurich, «Mémoire (pour «Mémoire des vins suisses») & Friends», le dernier lundi d’août. Face à cette double échéance la même semaine, les producteurs alémaniques ont renoncé à la manifestation sierroise. Les facilités offertes par le tunnel de base du Lötschberg n’ont pas suffi à gommer ce Roestigraben. De fait, à part quelques pinots noirs des Grisons et quelques vedettes du projet Mémoire des vins suisses (www.mdvs.ch), rares sont les vins alémaniques «exportés» en Suisse romande.

Tessin
Le merlot en champion

La consommation des vins tessinois s’est stabilisée en 2009, à hauteur de 2007. Les chiffres indiquent une légère baisse par rapport à 2008. Mais qu’en est-il réellement au royaume du merlot ?
Le directeur de Ticinowine, Francesco Tettamanti, se veut rassurant : «Les caves sont vides et la demande dépasse largement l’offre. Si les statistiques montrent une baisse de la consommation, c’est qu’il y a un manque de vin.» Le merlot, planté sur 855 des 1040 ha, représente 80% des ventes du Tessin. Mais il est étagé entre un vin de cuve de consommation courante et des cuvées haut de gamme élevées en barriques. Dans la statistique, le blanc tessinois représente 20%. Pour la plupart, il s’agit de merlot vinifié en blanc et décoloré au charbon, un procédé admis par la législation. Pas très naturel ? «Le merlot vinifié en blanc est une réalité œnologique au Tessin. Sa production élimine les maturités phénoliques peu adéquates pour les rouges», rétorque Francesco Tettamanti. «Le merlot vinifié en blanc représente jusqu’à 25% de la production du rouge et a un succès croissant, mais je crois que nous sommes arrivés à la limite. D’une part, il représente une exceptionnelle soupape commerciale et, d’autre part, sa facilité de consommation et l’image de l’esprit latin qu’il véhicule ont dépassé le stade de la mode et de la découverte.»
Les meilleurs rouges tessinois, à l’image des merlots Riserva et des assemblages avec un peu de cabernet sauvignon ou franc, rencontrent un grand succès, même s’ils sont peu présents en Suisse romande. Sur l’axe du Gothard, Zurich fait toujours bon accueil à des vins qu’une douzaine de vignerons venus de Suisse alémanique (les fameux «mousquetaires» Huber, Kaufmann, Stucky et Zündel) et de Suisse romande (Meinrad Perler, meilleur vigneron de Suisse en 2010 et Klausener), ont contribué à faire connaître. D’autres producteurs, tels Brivio et Gialdi, couverts de récompenses, ont renoncé à soumettre leurs vins au Grand Prix du Vin Suisse comme au concours Mondial du Merlot, co-organisé par VINEA du 12 au 14 novembre 2010, à Lugano.

Introductions à un dossier de 12 pages sur les résultats du Grand Prix du Vin Suisse, paru le 5 novembre 2010 dans la magazine L’Hebdo.