Berne (BE) — Mille Sens
L’itinéraire d’un jeune chef doué
Urs Messerli est l’Emmentalois le plus proche des Romands. Une boutade, bien sûr. Mais, jusqu’à mercredi, ce jeune chef de 38 ans, fait partie de la brigade de Gastronomia qui sert au Palais de Beaulieu, à Lausanne, un somptueux menu à 250 francs. Une sorte d’étalage des talents du Genevois Philippe Chevrier, du Valaisan Didier de Courten, du Montreusien Etienne Krebs, du Gruérien Michel Thürler et du Jurassien Georges Wenger. Chacun y va de ses deux plats.
Exilé à Berne, Urs Messerli avait illuminé, trois ans durant, l’agreste auberge de Villarepos, à deux pas d’Avenches. Pui cet Emmentalois voulait se rapprocher de ses origines : il a fait ses premières armes au Hirschen de Langnau. Et il se verrait bien, un de ces quatre, reprendre une petite auberge de campagne… Mais, depuis bientôt deux ans, il relève un défi sans égal en Suisse romande. Son restaurant est situé tout au fond de la Markthalle, espace dédié aux métiers de bouche, en face de la gare de Berne. On y trouve à boire et à manger — au propre et au figuré ! — des cuisines sur le pouce aux comptoirs asiatiques, comme des bars à café ou à cocktails. Cet espace draine en semaine une foule de gens pressés ou de flâneurs, dans un dédale bruyant.
Une cuisine ouverte
Au bout de cette halle, Urs Messerli et sa brigade de onze pros trône dans une cuisine ouverte sur un espace bistrot et une salle à manger style «loft», aux murs coquille d’œuf, tendus de rideaux de théâtre, sous une verrière. Un concept novateur. Les fonctionnaires fédéraux apprécient les assiettes du jour à 19 fr. 50, proposées sur une ardoise, ou le business lunch, garanti servi en une heure: une entrée, un plat, un dessert pour 49,50 fr. L’autre jour, on y a goûté l’ébauche des plats signés du jeune chef bernois à Gastronomia. D’abord, un pavé de truite du lac de Neuchâtel, fumée «maison», servie tiède et fondante, sur une embeurrée de chou, sauce au raifort et émulsion de betterave rouge. A Beaulieu, la truite s’enroule dans de la sole et s’emmaillote de sarrasin. Ensuite, de rustiques cavatelli — des pâtes où la pomme de terre se mêle à la semoule de blé — au beurre de romarin et chanterelles d’automne. Ceux de Gastronomia sont enrichis de panais, ce «légume oublié» qui fait son retour sur les marchés…
Et puis, j’ai enchaîné avec le meilleur gibier. Rien à voir avec cette viande d’origine douteuse qui annonce les grands froids gastronomiques. Non, du daim élevé en semi-liberté en Emmental, frais d’un mois, apprêté avec une sauce au vin rouge, comme un brasato. Une viande à la sapidité de sous-bois et de bourgeon de sapin, à en bramer d’aise. Ce genre de gâterie, Messerli la sert aussi dans les menus du soir, de 69 à 198 fr.. «80% des gens choisissent notre suggestion de vin au verre», souligne le chef, qui vient de reprendre la vinothèque attenante. Car il est un grand amoureux des vins, les plus rares du Valais, du Tessin ou du Piémont, vendus avec un «droit de bouchon» de 20 à 30 francs de plus par rapport au prix à l’emporter. Bravissimo !
La bonne adresse
Restaurant Mille Sens
Markthalle, Bubenbergplatz 9, Berne
Tél. 031 329 29 29
Fermé le dimanche
Le vin qui va avec…
Senteurs de sous-bois
Au Tessin, la Tenuta Agriloro, à Arzo, près de Mendrisio, occupe, sur sa douzaine d’hectares, une place particulière. L’ex-financier d’origine fribourgeoise Meinrad C. Perler y cultive toutes sortes de cépages réunis dans une ampélothèque de quelques six cents variétés. Les vignes comptent presque autant de blanc (45%) que de rouge, fait inhabituel au Tessin, où le merlot occupe 80% des mille hectares du vignoble. Vins de cépages comme le sauvignon ou le chardonnay ou vins d’assemblages, en blanc comme en rouge, Agriloro joue la carte de la diversification. Dans l’excellent millésime 2000, le rouge Sottobosco est digne d’intérêt. Le guide italien Veronelli 2003 lui avait, du reste, octroyé trois étoiles. Classiquement bordelais, cet assemblage réunit merlot, cabernet sauvignon et petit verdot. Il offre un joli nez fumé, une attaque encore fraîche et fruitée, une amorce de cuir et de sous-bois, soutenus par une certaine acidité. Un vin de repas «tout terrain», qui mettait en valeur le gibier au vin rouge. A Berne, il venait de la vinothèque «Mille Vins», gérée également depuis deux mois par le chef Urs Messerli.
Chronique de Pierre Thomas, parue dans Le Matin-Dimanche, début novembre 2004