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Posted on 11 septembre 2011 in Tendance

Interview, Martin Dalsass, parrain de la Semaine du Goût 2011

Interview, Martin Dalsass, parrain de la Semaine du Goût 2011

M. Dalsass, parrain de la Semaine du Goût 2011

Un apôtre de la «cucina sincera»

Sacré «chef de l’année» il y a dix ans (2001), 18 points au GaultMillau, une étoile au Michelin, Martin Dalsass va quitter le Tessin, où il vient de passer 26 ans sur les hauts de Lugano, pour Saint-Moritz, où il succèdera à Roland Jöhri, au Talvo, à Champfèr. Il est aussi le premier chef transalpin à parrainer la «Semaine du Goût», qui s’ouvre le 15 septembre et dure dix jours (jusqu’au 25), dans toute la Suisse. Rencontre à Lugano, en août.
Par Pierre Thomas, textes et photos

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Martin Dalsass, 55 ans, tire ses dernière cartouches au Santabbondio.

Martin Dalsass connaît bien Fribourg et deux de ses meilleurs chefs, Alain Bächler, qui fut son premier élève —et a toujours reconnu l’influence du maître — à Santabonddio, et Pierrot Ayer. «Trans-alpin» au sens littéral, né près de Bolzano, dans le Haut-Adige italien, Martin Dalsass est arrivé à 19 ans à Gstaad, à l’Hôtel Bellevue, dont il deviendra plus tard le chef. Puis il a franchi les Alpes pour s’installer à Lugano, avec une parenthèse récente de quelques saisons d’hiver au Klösterli à Gstaad, avant de revenir du cœur des Alpes et… de se rapprocher de Bolzano. Il quittera l’ancien grotto devenu le Santabbondio à Sorengo et ses pergolas, fin octobre, juste après avois fêté ses 55 ans (il est né le 2 octobre 1956). Et ouvrira le Talvo à Saint-Moritz le 5 décembre 2011.
Que représente pour vous la «Semaine du Goût»?
C’est un moment très important, surtout pour les jeunes. J’aime travailler avec eux. Il faut que les jeunes s’intéressent à la cuisine.
Mais aller au restaurant, c’est cher, non?
J’ai l’impression que les jeunes sortent tous les jours et achètent de petites choses. Si on fait le compte, ils mangeraient bien mieux à la maison, pour le même prix.
Il y a aussi des réticences à passer la porte d’un «gastro»…
Les jeunes ont peur de la grande cuisine. C’est à nous, restaurateurs, d’assouplir les règles, de rendre l’ambiance plus légère, plus décomplexée, pour donner aux jeunes la possibilité de jolies soirées à table. La chose essentielle, c’est d’apprendre le goût à l’école déjà. Un enfant qui apprécie de manger demandera à sa mère de faire des efforts. Cette culture doit s’apprendre jeune. En mars, j’ai invité neuf garçons et filles de 14 ans ici, au Santabbondio, à réaliser un menu simple et à le servir à trente journalistes. C’était fabuleux !
Vous-même, comment avez-vous découvert, au Tessin, l’huile d’olive?
Après avoir cuisiné au beurre et à la crème, je me suis rendu compte que l’huile, ça n’est pas un terme générique comme «le beurre». Il y une grande diversité des goûts. Grâce à l’huile d’olives, la cuisine s’allège. En Italie, l’huile d’olives occupe la même place que les vins en France. Il y a une tradition locale pour mettre en valeur un caractère, exactement comme dans le vin.
Combien d’huiles utilisez-vous?
Dix à douze ! Prenez un poisson du lac ou des écrevisses, ils ne supporteront qu’une huile légère en goût. Avec des artichauts ou de la roquette, elle sera plus forte. A chaque fois, il faut chercher l’équilibre du goût. A la maison, deux ou trois huiles suffisent. Même à haute température, si elle sent fort au moment où on la chauffe, mais perd au passage son goût marqué, l’huile d’olive ne se dégrade pas en molécules nocives. Avec les frères Jaeger, André, cuisinier à Schaffhouse, et Roger, fournisseur de bons produits, nous avons développé un commerce, à Zurich et en ligne (www.jaeger-dalsass-jaeger.ch) depuis un an qui diffuse les pâtes, les sauces et les huiles que nous aimons. Et ça marche très bien !
Aux Grisons, vous allez rester sur la même ligne de cuisine?
Je suis pour la «cucina sincera». J’ai appris les bases classiques de l’hôtellerie suisse. Au début, ici, je faisais des terrines, des parfaits… Au centre de la gastronomie, il y a le produit. Frais et de la bonne provenance. Pas seulement le homard, mais aussi les pommes de terre. Ou l’ail : voyez celui qu’on a maintenant en Suisse, il vient de Chine… On devrait mieux suivre les saisons et quand c’est celle des asperges, servir cinq ou six plats à base d’asperges, et pas juste un. Et je n’apprête jamais de fruits exotiques l’été.
Aujourd’hui, cette simplicité, c’est le vrai luxe?
Oui, c’est un luxe. J’aime citer cet axiome du grand chef milanais Gualtierro Marchesi, «La cuisine simple n’est pas toujours la meilleure, mais la meilleure des cuisines est toujours simple». Bien sûr, des chefs peuvent faire des miracles tous les jours. Un Philippe Rochat tient le niveau des trois étoiles, avec une obligation de perfection de tous les instants, et avec une grande brigade. Il faut motiver ce personnel: on ne peut plus rester 15 heures en cuisine. C’est aussi une raison de cuisiner plus simplement, de faire l’impasse sur la décoration des plats, pour ne pas perdre du temps pour rien… Le goût n’a pas nécessairement besoin de décoration.
Et la cuisine de demain, vous la voyez comment?
Il va y avoir un retour. J’ai commencé mon métier avec la tradition, puis la «nouvelle cuisine», qui ne fut pas une révolution, mais une forme de cuisine classique rénovée. Passons sur la cuisine moléculaire : c’est du blabla. On y goûte comme on va au spectacle : une fois par an, mais pas tous les jours. On va retourner à cette simplicité quotidienne. Et oublier ces petites choses, certes parfaites, mais qui sont des tapas, des bouchées uniques. Moi, j’aime goûter au moins deux fois pour apprécier. J’admire cette débauche, mais trop de plats tuent le goût. Je préfère deux entrées, un plat principal et un dessert.
Vous ne regrettez pas, avec votre épouse Lorena, de quitter le Tessin?
Je n’ai pas le temps d’y penser! La journée, je travaille ici, et la nuit, je rêve au Talvo. Mes deux enfants sont grands. Je suis grand’père depuis quelques mois… et David, 27 ans, mon fils aîné, qui est architecte, va rester à Lugano, avec son épouse. Le cadet, Andrea, 24 ans, qui étudie le marketing à l’Université, après avoir fait une école hôtelière, va nous suivre à Saint-Moritz. Il veut se lancer dans le «catering» et organiser des «events».
En partant, vous laissez le Tessin orphelin?
Un jour, le GaultMillau a écrit que j’étais une machine à produire des disciples. La vérité, c’est que leur laissais la liberté de faire ce qu’ils avaient envie de faire. Le premier a été Alain Bächler; puis, Erich Baumer, à Saanen (Saanerhof), par exemple. Au Tessin, Andrea Cingari à Ponte Brolla (Da Enzo), Ambrogio Stefanetti à Seseglio (Vecchia Osteria), Matteo Rossoni à Locarno (Cittadella) ou Matteo Grammatica à Bellagio (Alle Darsene di Loppia, près de Côme) sont de jeunes chefs reconnus qui ont travaillé avec moi. Et mes fidèles clients, notamment suisses alémaniques, iront au Talvo… Je vais y rester dix, douze ans : à 1800 mètres d’altitude, on reste frais. Enfin, j’espère !
Et comment jugez-vous le Merlot del Ticino?
Quand je suis arrivé à Lugano en 1985, le vin local était de peu de qualité. Puis sont arrivés les mousquetaires alémaniques, les Zündel, Stucky, Kaufmann et Huber, et des Tessinois, comme Zanini, ont suivi. On signe ici les meilleurs merlots de toute la Suisse, et de loin. Il y a aussi eu une montée en gamme parallèle de la gastronomie et du vin.

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La fameuse mousse au chocolat à l’huile d’olives : 160 g. de chocolat noir à 70% de cacao à monter avec 130 g. d’huile d’olive de goût moyen et à préparer huit heures avant de la servir, pour que le goût de l’huile se fonde avec le chocolat. Divin et… léger !

Semaine du Goût 2011

13 rendez-vous fribourgeois

Est-la perspective du Salon des Goûts et Terroirs, du 28 octobre au 1er novembre, à Bulle? Le fait est que le canton de Fribourg est un peu chiche avec la «Semaine du Goût» : treize événements seulement. Mais Fribourg a de la chance: le canton ouvre le cahier spécial romand du magazine dédié à la manifestation nationale. La «leçon de goût» de Denise Philipona, Chez Blanc, à Matran, autour du Vacherin fribourgeois AOC (jeudi 22, 19 h.) paraît alléchante, comme ce parcours de 6 km pour déguster 5 plats et 6 verres autour de Romont (samedi 17, 10 à 13 h) ou les «gourmandises de Fribourg» de la ferme bio de Jean-Marc et Béatrice Pittet, à Villarlod (deux ateliers à 9 h et 14 h les samedis 17 et 24). Ou encore, la «nuit des saveurs», à Morat, le jeudi 15, de 17 h à 23 h, dans les rues de la ville. Les autres événements figurent sur le site Internet www.gout.ch (moteur de recherche par thème, lieu et date). Quant à Bellinzone, elle est «ville du goût 2011» et promet de faire la fête «à la tessinoise» les week-ends du 17 et 18, puis du 24 et 25 septembre. (PTs)

Paru dans La Liberté, le 30 août 2011 (pdf ici).