Pages Menu
Categories Menu

Posted on 12 octobre 2011 in Vins suisses

Tessin — Le merlot craint le chaud

Tessin — Le merlot craint le chaud

Terre du merlot

Le Tessin craint le chaud

Le Tessin connaît un beau succès avec son merlot, planté depuis plus d’un siècle. Mais la Roche tarpéienne n’est jamais très loin du Capitole. Et s’il faisait trop chaud pour le merlot, au Sud des Alpes ?
Pierre Thomas, de retour de Lugano
Comment mesurer le réchauffement climatique sur le vin? Il suffit de lire les statistiques. La chaleur et le soleil se transforment en sucre dans le raisin. Cette valeur s’exprime soit en «degrés Oechslé», soit en «Brix». En 40 ans, de 1964 à la fameuse année 2003 de la canicule en Europe, le merlot n’avait atteint les 87 degrés Oechslé (21 Brix) que trois fois : en 1964, en 1971 et en 1990. Depuis 2003, record de degré moyen en sucre (22.3 Brix), jusqu’à 2009, six fois, la valeur moyenne de 87° Oechslé a été atteinte, soit chaque année, sauf en 2008.
Périlleuse «tropicalisation»
Ce réchauffement a été bénéfique au fruit de la treille. Mais, déjà, des vignerons s’inquiètent d’une «tropicalisation». Le Vaudois de souche Eric Klausener (lire son portrait) s’est montré provocateur. Pour le coffret des 25 ans de l’«Association des viticulteurs et des vinificateurs» du Tessin, il a élaboré un vin de trois cépages développés par l’INRA de Montpellier, l’arinarnoa (du merlot croisé avec du petit verdot), du marselan (du grenache croisé avec du cabernet sauvignon) et du caladoc (grenache croisé avec du malbec). Des cépages plantés en 2004 et encore jamais assemblés en Suisse, où en trouve ici ou lé, notamment de l’arinarnoa au Tessin et du marselan sur La Côte vaudoise.
Le vigneron-encaveur, arrivé au début des années 1980 à Purasca, dans le Malcantone (au sud de Lugano), craint cette «tropicalisation». Non seulement elle risque d’accentuer les précipitations — le Tessin cumule ensoleillement maximum et pluies abondantes —, avec des risques élevé de maladies de la vigne, comme le mildiou. Elle va, aussi, changer le goût des vins : «Si nous devons vendanger toujours plus tôt, des raisins toujours plus riches en sucre, avec à la clé des vins toujours plus alcooleux et puissants, on risque de perdre notre identité. On va rentrer en concurrence avec le Nouveau Monde, avec qui nous ne pourrons pas régater!», redoute le quinquagénaire.
Vigneron, un métier «tendance»
On n’en est pas encore là. Dans un millésime comme 2009, le Tessin a réussi à produire davantage de raisin (+ 11%) d’un très bon niveau. Il faut dire que le renouveau de la viticulture tessinoise est récente. En trente ans, grâce au merlot (qui couvre 85% des 1’000 hectares), le Tessin a pu bâtir une hiérarchie. Au sommet, des Riserva, élevées en barriques de chêne, soit 20% des merlots, vendus entre 30 et 100 francs la bouteille. Au milieu, des vins plus légers, pour un usage quotidien. Et une soupape de sécurité de 25% de merlot vinifié en blanc: un phénomène de mode, surtout outre-Gothard, à Zurich ou Bâle. La valeur moyenne du kilo de merlot se situait en 2009 à 4.15 francs, une jolie somme pour les quelque 3’500 vignerons qui se partagent 1’000 hectares, seulement, de vignes.
En 30 ans, faire du vin au Tessin est devenu très tendance. Le canton est passé d’une oasis qui accueillit avec méfiance un quarteron de «mousquetaires» alémaniques, pour la plupart, à un eldorado pour œnophiles fortunés. Depuis 2003, le nombre de caves est passé de 217 à 277, mais 230 traitent moins de 20’000 kilos de vendange et cinq, seulement, plus de 500’000 kilos. Ancien architecte, le président des vignerons «indépendants», Fernando Cattaneo, est fier d’avouer qu’il n’a pas dessiné les plans de sa maison, mais de sa cave. Et la famille Lucchini, sur les hauts de Lugano, a confié à Mario Botta le soin d’édifier la cave de la Tenuta Moncucchetto, dont les vins, signés de deux femmes, Lisetta Lucchini et sa jeune œnologue Cristina Monico, sont parmi les plus subtils du canton.
Une nouvelle cave pour un Fribourgeois
Autre pionnier atypique, Meinrad Perler. Fils de paysans d’Estavayer-le-Lac, ce banquier flaira, il y a tout juste 35 ans (au printemps 1977), le «scandale de Chiasso» du Crédit Suisse, avant de se reconvertir avec passion dans la viticulture. Consécration en 2010, le Fribourgeois a été proclamé «vigneron suisse de l’année». Cet été, il a obtenu le permis de construire une cave moderne commune à ses deux domaines de la Prella et du Tenimeto dell’Or.
Seule ombre au tableau : les Romands ont de la peine à se convertir au merlot du Tessin. «C’est dommage», déplore Francesco Tettamanti, le directeur de l’office de promotion Ticinowine. «Mais comme les producteurs doivent limiter leurs meilleures cuvées auprès des clients suisses alémaniques, cela ne va pas changer de sitôt». Et le Tessinois ne voit pas d’un très bon œil que les vignerons romands se mettent, à leur tour, au merlot: c’est un vin de La Côte vaudoise («Inspiration» 2009 de Rodrigo Banto, l’œnologue chilien d’UVAVINS) qui a été sacré le meilleur du concours Merlot du Monde, l’an passé à Lugano. Les Tessinois espèrent bien reprendre la main, du 11 au 13 novembre 2011.

2009, un millésime goûteux

Quand tout le monde parle du «dernier millésime», à peine le raisin vendangé, le Tessin, lui, met sur le marché ses 2009. Du moins ses Riserva, le haut de gamme, élevé au moins un an en fûts de chêne, de la D.O.C. (appellation d’origine contrôlée en italien). S’il est plus abondant (11% de plus que moyenne des dix dernières années), le merlot 2009 est d’une très bonne qualité. Il n’est pas loin du 2007, la grande année de ce début de millénaire au Sud des Alpes. D’une trame fruitée et charnue, les meilleurs 2009 se laissent déjà apprécier, notamment à table, où les merlots «bien élevés» ne craignent aucun plat sophistiqué!

Un coffret «collector»

L’idée a été lancée par Eric Klausener: pour fêter les 25 ans de leur Association, d’une quarantaine de petits vignerons-encaveurs (pour 100 ha de vigne), un coffret artistiquement présenté propose «en bloc» 27 vins. Tous sont des cuvées originales, du millésime 2009. Le coffret, tiré à 300 exemplaires (soit l’équivalent d’une barrique pour chaque vin), est un véritable «collector» vendu en ligne sur Internet à 1’600 francs, avec un livret de dégustation du champion d’Europe des sommeliers, Paolo Basso. On y trouve des vins (souvent des merlots) signés des plus célèbres vignerons tessinois, les «historiques» Christian Zündel, Adriano Kaufmann, Daniel Huber, Stefano Haldemann et Eric Klausener, et les Tessinois confirmés, comme Sacha Pelossi (connu comme œnologue de Meinrad Perler), Giorgio Rossi (le champion de la «bondola», cépage local rustique) ou Enrico Trapletti. Un reflet très complet de la viticulture tessinoise, à la fois modeste par sa taille et ambitieuse par sa qualité. (www.viticoltori.ch, en français)
Paru dans le quotidien La Liberté du 12 octobre 2011. Version PDF ici.
©thomasvino.ch