Pierre-Yves Maillard: toujours prêt!
Pierre-Yves Maillard
«Je suis prêt à assumer
toutes les fonctions»
Par Pierre Thomas
Etre socialiste en Suisse, à l’aube de 2002, qu’est-ce que cela signifie?
Les choses deviennent de plus en plus simples et évidentes. Tout le monde contribue à produire des richesses. Mais elles sont toujours plus mal distribuées. Il faut se battre pour une redistribution plus juste. C’est vrai aussi en Suisse, où il y a des inégalités et de la pauvreté.
Rien de bien nouveau, donc…
Rien de nouveau, parce que le monde ne change pas. Pour moi, il n’y a jamais eu de «nouvelle économie». Je rentre d’un débrayage à Gland où l’entreprise fait des bénéfices et a un carnet de commandes bien rempli, mais licencie sept personnes pour assouvir les appétits des actionnaires. Comme il y a un siècle, il faut se battre pour que le monde du travail ait une part plus juste.
Mais n’est-ce pas ce discours qui vous met en marge du Parti socialiste suisse (PSS)?
Ce discours n’est pas marginal, il est même devenu majoritaire. Au congrès de Lugano, 45% des participants ont soutenu la ligne que je défends avec d’autres pour le service public et, à celui de Fribourg, 65% à propos du marché de l’électricité, les deux fois contre la direction du parti. C’est un discours mené collectivement par de nombreux élus nationaux romands.
N’y a-t-il pas clivage entre la gauche d’ici et celle de Suisse alémanique?
Globalement, il y a une différence de sensibilités, mais la combativité des socialistes alémaniques progresse. Je ne me résignerai jamais à dire qu’on fait de la politique pour une partie du pays seulement. Sur beaucoup de sujets, l’ancienne équipe de Peter Bodenmann pense comme les Romands. Aujourd’hui, même Moritz Leuenberger est convaincu qu’il ne faut pas vendre les actions que la Confédération détient dans Swisscom pour financer la nouvelle Crossair. Il ne faut pas se résigner: il faut, au contraire, toujours essayer de convaincre.
Quel bilan tirez-vous de la débâcle de Swissair?
Politiquement, le PSS et la gauche doivent monnayer plus durement leur soutien au bloc radical et démocrate-chrétien, qui ont été mesquins sur le plan social… On ne demandait pourtant pas grand-chose: que l’argent public soit conditionné au fait que les nouveaux investisseurs financent ce plan. On n’aurait pas dû céder. Mais, au moins, on a réussi à mettre le thème du plan social sur la table. Il faut, maintenant, que le débat soit relayé par une lutte syndicale.
Les syndicats ne réagissent pas de la même manière à Cointrin et à Kloten!
Il est très dur d’organiser une lutte cohérente. Je trouve légitime d’utiliser l’arme de la grève. Il faut montrer que, sans le respect minimal des salariés, aucune entreprise ne tourne.
Autre sujet chaud, la Banque Cantonale Vaudoise, où le canton devra verser 300 millions pour assurer des crédits à risque sous-estimés… Regrettez-vous d’avoir incité les Vaudois à ne pas privatiser la BCV en septembre?
Au contraire! Si le peuple avait laissé privatiser, il y aurait eu deux solutions. Ou la BCV n’aurait pas trouvé preneur pour ce paquet d’actions. Ou la BCV aurait fait l’objet d’une opération stratégique, pour la restructurer. Cet épisode montre que le canton a une banque, mais pas d’influence.
L’année 2002 sera riche en thème que vous affectionnez. En mars, le peuple votera sur l’initiative de l’Union syndicale suisse pour les 36 heures.
Le but de l’initiative est de reparler de ce thème en Suisse. Depuis des années, on s’aperçoit que les travailleurs produisent plus, mais reçoivent peu en retour. En France, la réduction du chômage est à mettre, pour un quart, au crédit des 35 heures.
Dans son message, le Conseil fédéral rétorque que la Suisse réduit son chômage et atteint presque le plein-emploi.
Dans mon rayon Vaud-Fribourg, en deux mois, sept entreprises ont annoncé plusieurs dizaines de licenciements. Ça va se dégrader assez vite!
Pourquoi refusez-vous la loi sur le marché de l’électricité, soumise au peuple en juin?
Au XIXe siècle, il y avait des terrains à conquérir. Aujourd’hui, les champs à conquérir pour les détenteurs de capitaux, c’est le service public. Depuis les années 1990, j’ai acquis la conviction que cette dynamique ne s’arrêtera pas sans un fort mouvement de la population. Dire non à la loi sur le marché de l’électricité aura un retentissement international. Car il n’y a pas de limite à la privatisation. La libéralisation est un désastre pour le rail ou les télécoms. Les concurrents de Swisscom n’ont toujours pas gagné un sou et pratiquent un dumping dont il faudra un jour payer la note.
Autre votation, l’initiative sur l’assurance maladie. Le texte syndicalo-socialiste ne prévoit pas de caisse unique pour l’assurance de base…
La solution, c’est une caisse unique, tôt ou tard. Il faudra qu’on relance une initiative. Mais accepter des cotisations basées sur le revenu et une planification fédérale de la santé pour agir sur les coûts est une première étape qui n’exclut pas la caisse unique.
Ruth Dreifuss ne sera plus là pour gérer le dossier…
Je suis moins disert sur ce sujet. Si quelqu’un de combatif est élu, ça vaut la peine de participer au Conseil fédéral. Sinon, on est mieux dehors… Les socialistes ne peuvent pas se payer le luxe d’affaiblir leur propre camp en défendant des positions qui leur sont contraires.
A vous entendre, vous serez candidat au Conseil fédéral…
Je ne suis pas sûr que la droite pense comme vous! Je suis prêt à assumer toutes les fonctions. Mais je ne fais pas ce qu’il faut pour être papable.
Qui va succéder à Ruth Dreifuss?
Je pense que ce sera une femme. Nous avons des candidates de valeur, comme les Genevoises Micheline Calmy-Rey (réd.: ce fut elle qui fut élue, et vient de démissionner, dix ans plus tard: PYM est plus que jamais dans la course!) ou Liliane Maury-Pasquier.
On vous voit aussi en embuscade pour le deuxième tour du Conseil d’Etat vaudois?
J’ai toujours été à la disposition de mon parti quand il le fallait, mais, en l’occurrence, ce n’est pas nécessaire. Nous avons trois candidatures de valeur et complémentaires (ndlr: la sortante Francine Jeanprêtre, le conseiller national Pierre Chiffelle et Anne-Catherine Lyon). Et j’aime le travail syndical dans lequel je me suis engagé.
Trois citations-slogans
il faut convaincre»
+
«Il n’y a pas de limite
à la privatisation»
++
«Le canton de Vaud a sa banque,
mais pas d’influence»
Trajectoire
Naît à Lausanne. Fils aîné d’un garagiste (comme Jean-Pascal Delamuraz…). Deux soeurs suivront. Loisirs à Porsel (FR), d’où vient sa famille.
1990
Elu au Législatif de Lausanne (jusqu’en 1998).
1992
Licence ès lettres (philo) à l’Uni de Lausanne.
1992-1994
Secrétaire de la Fédération des associations d’étudiants.
1994
Collaborateur personnel du conseiller d’Etat Jean Jacques Schwaab.
1995-1999
Enseignant au niveau secondaire.
1997
Candidat au Conseil d’Etat; contraint la radicale Jacqueline Maurer à un deuxième tour.
1998
Candidat au Conseil d’Etat. A gauche, seuls Francine Jeanprêtre et le Vert Philippe Bieler passent. Elu au Grand Conseil (y siège jusqu’en 2000).
1999
Elu au Conseil national. Membre de la Commission des finances (le quittera en 2004, lire ci-dessous)
2000
Président du Parti socialiste vaudois. Secrétaire du syndicat FTMH-Unia Vaud-Fribourg. Dirige une équipe de 45 personnes.
La biographie s’arrête là… Pour la suite, voir wikipedia. Rappel de quelques dates: secrétaire syndical jusqu’au 1er décembre 2004, où il devient conseiller d’Etat (il quitte alors le Conseil national), réélu au premier tour en 2007 (une première pour un socialiste vaudois!). De mars 2004 à mars 2008, il est vice-président du Parti socialiste suisse. Le 26 octobre 2011, annonce sa candidature à la succession de Micheline Calmy-Rey. Est opposé au conseiller aux Etats fribourgeois Alain Berset, au conseillers nationaux valaisan Stéphane Rossini et la Tessinoise Marina Carobbio Guscetti. Le candidat socialiste ou le ticket à deux devrait être arrêté les 25 et 26 novembre par le groupe socialiste, quant à l’élection par les Chambres fédérales réunies, elle est agendée au 14 décembre 2011 au matin.
©thomasvino.ch