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Posted on 14 décembre 2011 in Tendance

Chocolat et vin: un mariage de passion(s)

Chocolat et vin: un mariage de passion(s)

Vins et chocolats,
mariage de passion(s)

Les accords mets et vins sont devenus un incontournable des arts de la table. Il y en a de plus aisés (et originaux) à mettre en pratique que d’autres, comme ceux du chocolat et du vin.
Par Pierre Thomas
Dans «Le goût juste» (Flammarion, 1985), l’œnologue Jacques Puisais explorait la France pour marier vins et plats, région par région. La démarche de ce pionnier reste valable. Mais on peut aussi aborder un itinéraire inverse : choisir des mets et essayer de les apparier avec des vins. Force est de constater que vins et fromages font toujours bon ménage, avec un peu de pain. Les trois produits sont tous nés d’un processus de fermentation. L’union avec le chocolat paraît plus insolite…
Le chocolat fait toujours rêver. Son exotisme — le «tchocolatl» n’a été découvert chez les Aztèques par Christophe Colomb qu’à son quatrième voyage, en 1502 —appelle à des goûts venus d’ailleurs. Et sur le chemin des «grandes découvertes» gustatives la recherche du «goût juste» s’apparente à une ludique bataille navale (lire ci-dessous). Produit redécouvert depuis vingt ans pour les non initiés, le «chocolat noir» d’artisan, par opposition au «chocolat au lait» des fabricants suisses, reste une révélation. Et l’univers, complexe, des vins doux ou liquoreux demeure, très souvent, un mystère, résumé à un seul verre en fin de repas.

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Olivier Fuchs (©Martine Dutruit)

Deux processus parallèles

Ces deux mondes sont faits pour se rencontrer. Comme le vin qu’on boit n’a pas le goût du raisin qu’on croque, le chocolat ne possède plus les arômes primaires, et amers, de son fruit d’origine, la fève. De l’arbre au carré de choc’, il y a autant d’opérations que du cep au verre, rappelle Olivier Fuchs. Ce professeur et doyen à l’Ecole des métiers (de bouche) de Montreux s’est passionné pour le chocolat lors de son apprentissage de boulanger-pâtissier, à Aubonne (VD), il y a 35 ans. «Comme pour la vigne, il y a des variétés de cacao — dix reconnues depuis 2010 —, dont les arômes varient selon le lieu de plantation.» Les spécialistes du… vin nomment cela «le terroir».
Les liens entre la transformation du raisin et de la fève sont nombreux. D’abord, la pulpe de la cabosse qui contient les fèves de cacao est fermentée, pour libérer des «précurseurs d’arômes». Ensuite, comme pour certains vins doux de la Méditerranée (vinsanto de Santorin, muscat de Pantelleria), le fruit est séché au soleil. On le torréfie, le concasse, le broie pour obtenir une masse de cacao. Les fabricants entrent en jeu ensuite, en additionnant le beurre de cacao et le sucre. Ils le mélangent, par exemple avec du lait. Puis vient l’affinage, le conchage, le tempérage, le coulage, l’enrobage et le refroidissement, autant d’étapes jusqu’au produit fini, comme pour le jus de raisin, le pressurage, les fermentations (alcoolique, malolactique), l’assemblage et l’élevage.
Un art de la transformation
Il ne suffit pas de connaître la teneur du cacao et du beurre (par ex. 65%, complété par 35% de sucre) pour être certain de la qualité gustative d’un chocolat. Tous les paramètres antérieurs ont de l’importance. Depuis trois ans, Olivier Fuchs s’est lancé dans la fabrication de chocolat «maison» (www.olivierfuchs.ch). N’imaginez pas un artisan important ses fèves en sacs, brut du Brésil ou de Côte d’Ivoire… Le transformateur travaille à partir d’une «matière première» où cacao, beurre et sucre sont déjà mélangés, un «chocolat de couverture», véritable matière première. «A juste titre, en Suisse, les industriels n’ont pas permis aux confiseurs de porter le seul nom de chocolatiers, car ils ne font que transformer une matière première livrée par les premiers», explique Olivier Fuchs. A base de cette «couverture», l’artisan fond, tempère et moule ses produits. Le Vaudois utilise les chocolats de Valrhona (groupe français Bongrain) : «Avec eux, j’ai découvert les grands crus, des chololats qui ont le goût de cacao et non de sucre.»
Sur un air de correspondances baudelairienne
Aujourd’hui, l’artisan va plus loin: «Le vrai travail créatif a lieu sur ce que les Français appellent les «bonbons au chocolat», et les Romands, les pralinés, les fondants ou les truffes. J’en propose au rhum, au citron, au piment…» Olivier Fuchs a travaillé avec Judith Baumann, sur des bonbons aux plantes sauvages et avec les épiciers Corinne et Patrick Rosset (qu’on retrouve au marché de Fribourg).
Pour ce Noël 2011, il a imaginé une boîte de 48 fondants, dans le prolongement d’une audition de la cantatrice Magalie Bourquin, donnée cet été au Conservatoire de Lausanne. Il réfléchit à des «correspondances» — comme les évoquait Charles Baudelaire — avec Gilles ou C.-F. Ramuz. Non content de dynamiser le corps et l’esprit (grâce à sa teneur en «théobromine», dérivé du «theobroma» du botaniste Linné, qui appelait le chocolat la «boisson des dieux» en grec), le chocolat flatte toujours l’imagination. Heureusement !

Exercice pratique
Une bataille navale du goût

«Il n’est pas facile de marier vins et chocolats», constate d’emblée Olivier Fuchs, qui propose souvent l’exercice au bar à vins lausannois Midi 20 — la dégustation du 20 décembre 2011 affiche complet! «Le chocolat s’appuie sur le vin, c’est un prétexte pour passer un bon moment. Au niveau du goût, il y a toujours un va et vient entre les deux produits.»
L’exercice pratique, on l’a tenté avec une classe de l’Ecole-Club Migros de Lausanne. Et il est facile à reproduire en «jeu de société», avec des amis, chez soi. A gauche, cinq verres de vins liquoreux, deux blancs, un Grains de Malice 2007 de Madeleine Gay (Provins-Valais), un Samos 2009, muscat doux grec, et trois rouges, un Gamadoux d’Alain Emery, à Aigle, un gamaret muté à l’alcool (style porto), un porto tawny de grande surface et un Mas Amiel Vintage 2008, un grenache muté de Maury (Sud de la France). A droite, cinq «feuilles» épaisses de chocolat (travaillées par Olivier Fuchs, qui les propose en coffret), faciles à casser en morceaux et à faire fondre dans la bouche, de pourcentages de cacao et d’origines (Brésil, République dominicaine, Equateur, Ghana, Venezuela) divers.
Sur une du papier à carreaux, notez les vins en abscisse et les chocolats en ordonnée. La dégustation peut commencer. Chaque miette de chocolat et chaque gorgée de vin se mélangent en bouche. Reportez vos impressions sur le papier. Résultats? Le liquoreux blanc valaisan, somptueux pour lui-même, perd de sa superbe, sauf face au chocolat d’Equateur, le Samos ne s’en sort qu’avec le fruité du dominicain, le Gamadoux itou et ce mariage rappelle le goût des cerises au kirsch, le Mas Amiel s’acoquine avec le Venezuela, dans un duo tout en puissance, enfin, le côté oxydatif du porto fait bon ménage avec l’arôme grillé-toasté du Brésil. A dire vrai, le porto (qui pourrait lui aussi se décliner) paraît le plus adéquat. Ce que le meilleur sommelier du monde 2000, et acheteur du pâtissier parisien Lenôtre, Olivier Poussier, décrivait déjà dans son album «Desserts et vins» (Solar, 2002).

Paru dans le quotidien fribourgeois La Liberté, le 14 décembre 2011 (ici le PDF de la page parue).