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Posted on 21 mars 2012 in Vins espagnols

Nouvel élan pour la Perle du Priorat

Nouvel élan pour la Perle du Priorat

Priorat
Relève romande
dans un domaine historique

Ancien relais de futurs moines sur le chemin de la chartreuse de Scala Dei, au pied de la cordillière de Montsant, dans l’arrière-pays de Tarragone et de Barcelone, la Perle du Priorat a connu une histoire mouvementée. Depuis l’automne passé,  une nouvelle page s’y écrit, avec la reprise de l’exploitation du domaine et de la cave par un trio formé d’un jeune Romand, Barthélémy Pralong, d’une œnologue en place depuis quelques années, Montse Cereceda (les deux en photo ci-dessous), et d’un ingénieur agronome, Miquel Sabaté.
Par Pierre Thomas

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Chacun a son secteur! Mais c’est Barthélémy Pralong, 28 ans, qui assure la vente des vins, un jour à Londres ou à Morges, un autre à New York ou Düsseldorf. Car la Perle du Priorat exporte pratiquement toute sa production.
Le génie d’un taximan
L’histoire de ce domaine d’un peu plus de 20 hectares de vignes, à l’entrée d’une des régions viticoles les plus prometteuses d’Espagne, près de Falsett, est jalonnée de rebondissements. Elle participe à l’aventure du Priorat: au moment de la «reconquista» de l’Espagne, après la domination arabe (de 711 à 1492), des moines venus de Bourgogne s’installèrent à Scala Dei. Dans ces montagnes sillonnées de vallées abruptes, ils replantèrent des ceps de vigne, sur des terrasses patiemment aménagées.
Le Priorat, dit-on, cultiva jusqu’à 6’000 hectares de vignes, avant l’arrivée du phylloxéra — soit trois fois plus qu’aujourd’hui. Sous la dictature de Franco, l’arrière-pays catalan est oublié. Au début des années 1980, celui qui fut tour à tour coiffeur à Winterthour et chauffeur de taxi à Genève, mais féru d’œnologie, José Luip Perez, redonne vie au vignoble du Priorat. Il n’y restait que quelques hectares de ceps rabougris sur des terrasses à moitié abandonnées. A Grattalops, autour du Clos Mogador de René Barbier et de L’Ermita d’Alvaro Palacios, élaborés en 1989 à partir d’une seule cuvée, mais mise sous verre sous six étiquettes différentes, le Priorat reprend son essor. Depuis, on ne compte plus les caves modernes, construites au détour de routes sinueuses, dans un paysage d’une beauté sauvage à couper le soufle.
C’est au début de cette renaissance qu’un homme d’affaires belge achète la Perle du Priorat, pour transformer ce vaste mas isolé, dit «des frères» («dels Frarers»), en un complexe hôtelier. L’affaire tourne court et, par un arbitrage rendu dans l’arrière-salle d’un café de Falsett, un avocat genevois, Yves Pirenne, «hérite» du domaine. Il s’essaie à faire du vin. Un de ses deux fils, Charles, après un brillant «cursus» dans les meilleures facultés européennes, décide, à 24 ans, de quitter le droit pour le vin. L’affaire paraît bien engagée, au moment où les crus du Priorat s’envolent. Las, il y a deux ans, en mars 2010, le jeune homme meurt brutalement d’une insuffisance cardiaque.
De l’art contemporain au vin haut de gamme
Barthélémy Pralong avait connu Charles Pirenne à Genève. Historien d’art, il travaillait dans une galerie d’art contemporain réputée. Il s’intéresse alors un peu au vin, initié par des passionnés, réunis autour d’un blog Internet. Au décès de son ami, il décide de «tout plaquer, un vrai suicide économique», pour aller vivre en Catalogne, en pleine nature. Depuis fin octobre 2011, il est aux commandes du domaine: pour avoir les coudées franches, le trio de professionnels de la vigne et du vin s’est constitué en société et signé un engagement à long terme (cinq ans) pour cultiver les vignes et a racheté le stock de vins.
Si le Priorat a connu un essor lié à la réputation de vins de très haut de gamme, créés «ex nihilo», la région doit construire sa «pyramide» qualitative sur une base solide. Homme d’affaires avisé autant qu’œnologue surdoué, issu d’une famille engagée dans la vitiviniculture espagnole, Alvaro Palacios a montré la voie. «Entre cette génération des pionniers, qui va sur ses 60 ans et plus, et nous, les jeunes, il n’y a personne. Aujourd’hui, c’est à nous de re-réfléchir le Priorat», remarque le jeune Valaisan de Genève. Le domaine continue à produire le Comte Pirenne, produit à hauteur de 2’000 bouteilles, uniquement dans les très bons millésimes (2004, 2006 et 2010), à base des deux cépages fétiches du Priorat, le grenache noir et le carignan, avec un appoint de cabernet sauvignon. «Nous avons deux hectares des plus vieux cabernets du Priorat, âgés de plus de 60 ans», se réjouit Barthélémy Pralong, qui met aussi la main à la cave. Le Clos Les Fites rouge est le «deuxième vin», complétée par un Clos Les Fites blanc, à base de pedro ximénès, assemblé à un peu de grenache blanc, «une curiosité, aux arômes exotiques, tirée à 2’000 bouteilles».
Un (nouveau) «vin de crise»
Deux autres cuvées sont venues rejoindre ce trio de base. D’abord, le Noster Crianza, un assemblage de grenache à 55% et de carignan à 45%, «un vin un peu plus facile d’accès que le Clos Les Fites», vieilli en fûts de chêne de deuxième passage, et tiré à 6’500 bouteilles. Enfin, l’entrée de gamme, «notre vin pour la crise», le Noster Inicial, destiné aux Etats-Unis, au Japon et à l’Angleterre. «Au Priorat, où nous ne pratiquons pas l’irrigation, nous sommes tributaires du climat. La première année où je m’y suis rendu, en 2003, nous avons vendangé en août treize tonnes de raisins, marqués par l’extrême canicule, et en 2011, fin septembre, cent tonnes. Nous sommes tributaires du climat.» Ainsi, la production du Noster Inicial peut osciller entre 25’000 et 40’000 bouteilles.
«Il n’est pas anodin que les Etats-Uniens soient les premiers acheteurs des vins du Priorat», analyse Barthélémy Pralong. «Le haut taux d’alcool, naguère de 14%, mais plus proche de 15% aujourd’hui, ne leur fait pas peur, ni l’impression de sucrosité en bouche. Notre défi, c’est de trouver un équilibre; nous recherchons l’acidité et la fraîcheur.» Et le carignan, vieux cépage qu’on appelle en dialecte local «samso», un nom qui évite le conflit ouvert avec l’appellation espagnole Carinena, est en pleine redécouverte. Avec une amie, Paloma, et l’œnologue Montse, la compagne du Suisse, Emily, propose son propre vin, frais et fruité, issu de carignan en macération carbonique, comme dans le Beaujolais: «La Querida», l’amante, en espagnol. «Une histoire de gonzesses», sourit Barthélémy. Mais tout-à-fait dans la «movida» actuelle!
                   
En Suisse, le Comte Pirenne et le Clos Les Fîtes 2006 sont distribués par Mathieu Vins, à Aclens (VD); le Noster Crianza est disponible au bar à vins le Midi 20, à Lausanne ; et plusieurs millésimes du Clos Les Fîtes sont importés par Bolle & Cie, à Morges, qui accueillera le producteur sur son stand à Arvinis, du 18 au 23 avril 2012, à Morges.

Paru le 29 février 2012 dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo.