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Posted on 11 septembre 2012 in Vins suisses

Du bois dont on fait les «vieux» chasselas

Du bois dont on fait les «vieux» chasselas

Faut-il (re)passer le chasselas dans de grands fûts de chêne pour l’oxygéner et assurer sa longévité… en bouteille ? C’est ce que démontrent depuis dix ans Les Frères Dubois à Cully avec leur Vase No 4. Dégustation.
Par Pierre Thomas
Ils ne se plaignent pas de la multiplicité des concours, les frères Dubois: le dernier millésime de ce Vase No 4, le 2009, a collectionné les honneurs : 2ème vin de la sélection vaudoise, coup de cœur du Guide Hachette 2013, médaille d’or à Expovina, à Zurich, et au Mondial du Chasselas, à Aigle. A la suite de leur père, Christian, Frédéric et Grégoire signent des vins souvent riches et tendres, faciles d’approche, et donc appréciés des dégustateurs de concours. Et pourtant, ces chasselas tiennent la distance… C’est ce que démontre, sur dix ans, une «verticale» (on déguste les vins de haut en bas, du plus jeune au plus vieux millésime), disponible pour les amateurs en caisse-bois, tirée à cent exemplaires.hg_vaseNo4_vertic.jpg

40 millésimes de dézaley en cave
Le domaine du Petit Versailles, à Cully, met en marché plus de 100’000 flacons de vin, dont près de 90% de chasselas, dans l’A.O.C. Lavaux. Outre le Vase No 4, la cave, et son œnothèque, proposent de vieux flacons de dézaley, remontant à 1971, au prix de 138 à 28 francs la bouteille de 7 décilitres (qui vient d’être sauvée par le Conseil fédéral, à condition qu’elle soit réservée à la Suisse!), selon une échelle de prix dégressive, du plus ancien au plus récent.
Le fût no 4 peut en cacher un autre : dès 2008, le vieux contenant centenaire, de 3’700 litres, tombé en douves, a cédé sa place à un vase de 6’300 litres. Plus que jamais, le Dézaley-Marsens de la Tour est un grand cru. Il lui faudrait peu pour devenir un 1er Grand Cru, sinon que les Dubois, qui cultivent 2,5 hectares dans ce lieu-dit, préfèrent choisir leurs parchets en fonction de la qualité du raisin, cueilli autour de 800 à 900 grammes au m2, sur des ceps cultivés serrés (8’000 pieds à l’hectare). Il est rarissime que les vendanges débutent avant le 1er octobre : une seule fois, ces dix dernières années, en 2003, année de la canicule. Et pas en 2012, qui ressemble à 2007 et s’annonce pour la première semaine d’octobre, si septembre est favorable.
Pour un retour du chasselas à table
Pour cette «verticale», les vignerons-encaveurs avaient convoqué le restaurateur franc-montagnard Georges Wenger et son sommelier alsacien Thomas Schmidt. Ce dernier, en poste depuis trois ans, s’étonne que les restaurants de l’Arc lémanique hésitent encore à servir de vieux chasselas, se contentant du dernier millésime, au point que certaines cartes ne mentionnent même pas l’année en regard des vins blancs locaux… Pour le grand chef, amoureux des vins authentiques, tant du Jura que de Lavaux, «les restaurateurs ont un intérêt marqué pour que les vins suisses soient reconnus dans leur spécificité.» Et le chasselas demeure «une signature typique de la Suisse». Le vin blanc, à l’instar du champagne, devrait faire son retour à table : «A midi, il est un parfait vin de tout un repas. Outre le terroir qu’il exprime, il est tout en finesse, en délicatesse et en élégance. L’exacte antithèse des vins charpentés, bodybuildés. Le chasselas frais, fruité, léger, peu alcoolisé présente des qualités d’avenir!»
En prime, il vieillit bien. Ou, à tout le moins, il sait surprendre ceux qui l’approchent car, en accumulant les années, il change : «Qu’un vin léger puisse durer est une bonne leçon pour les dégustateurs. Que doit-on privilégier dans le vin ? L’équilibre plutôt que la puissance», résume Georges Wenger. Qui rompt une lance en faveur d’un vin sans fermentation malolactique… «Sans la malo, on n’aura que l’expression du cépage, avec la malo, celle du terroir», prétend Christian Dubois.
Six bons numéros sur dix
Le Vase No 4 campe sur la tradition vaudoise: vendanges en octobre, on l’a dit, chaptalisation (enrichissement en sucre), malolactique toujours faite, et passage d’un an en grand fût. Jeune, comme le 2009, le vin s’avère tendre, souple, sur le caramel au lait. Le 2008 révèle déjà une structure plus complexe, avec des notes d’amande amère, souvent présentes dans les derniers millésimes. Et puis, on a bien aimé le 2005, dont la moitié de la récolte avait échappé à la grêle du 18 juillet, aux raisins petits et serrés, le seul non chaptalisé en dix ans, d’un très bel équilibre, comme le 2000, premier du style, long en bouche, d’une architecture balançant entre agrumes et caramel. Un 2003, puissant, gras, sur les herbes sèches et le miel, et un 2004 surprenant, tout en arômes de mangue et de mirabelle, sortaient aussi du lot.
Cela fait tout de même six beaux vins sur dix. «J’en ai dégusté des dizaines de millésimes, le plus vieux, un 1904, mais aucun chasselas ne rebutait au point de ne pas être bu», assure Georges Wenger. Les disciples de la Baronnie du Dézaley, dont font partie Les Frères Dubois, ont juré fidélité dans le temps au chasselas. Même si le succès se fait attendre. Pour le sommelier Jérôme Aké, de l’Auberge de l’Onde à Saint-Saphorin, la clé du problème est commerciale: trop souvent, ce sont les acheteurs qui doivent immobiliser leurs capitaux pour laisser vieillir les chasselas dans leur cave. A défaut, ils doivent les payer au prix fort. Et l’équilibre dans la prise de risque évolue encore plus lentement que le chasselas lui-même.

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 19 septembre 2012.