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Posted on 4 octobre 2012 in Tendance

Les Américains veulent leurs châteaux, panique à Bordeaux!

Les Américains veulent leurs châteaux, panique à Bordeaux!

O Bordeaux, ô châteaux !

Grande frayeur au moment de (petites) vendanges 2012: les Etats-Unis revendiquent l’appellation «château» pour leurs vins. La semaine passée, un comité de l’Union européenne a renoncé à se prononcer, le 25 septembre. Mais les châteaux bordelais cachent aussi quelques surprises.
Pierre Thomas, de retour de Bordeaux

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A quelques encâblures du Château de Malle, monument historique du Sauternais, le chauffeur de taxi peine à trouver le Château Vénus. Juste un chai, bas de toiture, sur la voie qui conduit au Château de Veyres. Fils de vigneron fermier à Saint-Emilion, Bertrand Amart et son épouse Emmanuelle se sont rencontrés dans une formation de marketing viticole. Pour passer de la théorie à la pratique, ils ont acquis 7,5 hectares de vignoble d’un seul tenant dans les Graves, sur la rive gauche de la Garonne, plantés à 60% en merlot et 40% en cabernet sauvignon, à 12 km à vol d’oiseau du chai, bâtiment fonctionnel qu’il a fallu dégotter pour vinifier les premières vendanges. Bertrand Amart, qui travaille ses vignes et vinifie, se réjouit de construire, l’an prochain, une cave moderne et efficace, à l’orée de son vignoble. Ce domaine tout neuf — son premier millésime remonte à  2005 — a choisi délibérément un nom qui «parle» aux oreilles des Européens, plutôt qu’un improbable lieu-dit. Et une silhouette féminine orne l’étiquette. Mais ce dessin n’a pas été du goût des clients chinois : ils ont réclamé — et obtenu ! — un label classique pour un vin de château bordelais. Même s’il n’y a pas de château…
Vrai château et cru rétrogradé
Non loin de là, sur la même «rive gauche», un couple de Parisiens, les Miecaze, ont décidé de changer d’air. Et Chantal Miecaze est tombée, via Internet, sur un «vrai» château, à Léognan (Château Léognan, en photo ci-dessus). La propriétaire désirait vendre tout le domaine, avec ses 7 hectares de vignes. Jusqu’alors, ce vignoble entrait dans l’élaboration d’un cru classé des Graves, le Domaine de Chevalier, un des rarissimes à Bordeaux à ne pas revendiquer le titre de château! Mais, surprise, en passant du fermage d’un cru classé à une propriété de plein droit, avec une cave toute neuve, les vignes ont rétrogradé en appellation d’origine Pessac-Léognan… Car pas question de reviser le classement des crus des Graves, établi en deux temps en 1953 puis en 1959, au grand dam d’André Lurton, le patriarche à la tête du Château La Louvière (61 ha), et fondateur de l’appellation Pessac-Légnan.
Jeune sexagénaire, Philippe Miecaze se bat comme un beau diable pour maintenir la haute qualité à son vin, «atypique», à large majorité de cabernet sauvignon, complété par du merlot, lancé en 2007. Son étiquette reprend le motif de la résurrection, tiré d’un ornement d’une chapelle romantico-gothique restaurée dans les règles de l’art — et non pas le château lui-même!
De l’armée à l’école
Renaissance aussi pour le Château Luchey-Halde, enchâssé dans l’agglomération bordelaise, à deux pas d’un arrêt du (nouveau) tramway. Il y a là, bel et bien, une «chartreuse», comme on dit à Bordeaux, doublée d’un chai ultra-moderne, au milieu de 23 hectares de vignes. Jusque dans les années 1990, cet ancien domaine viticole était un terrain d’exercices militaires, depuis la Grande Guerre (1914-18). Puis l’Etat l’a mis à disposition d’une école de viticulture et le vignoble a été (re)planté en 1999. «Nous ne sommes pas un domaine expérimental, même si nous bénéficions de toutes les avancées de l’école», précise le directeur d’exploitation, Pierre Darriet.
Qui croirait les châteaux bordelais taillés dans la pierre ou coulés dans le bronze, se trompe lourdement… Même si l’enjeu dépasse l’esthétique architecturale, comme le rappelle cette semaine le critique de l’hebdomadaire Marianne, Périco Légasse: «Vingt ans durant, de glorieux châteaux du Médoc et du Libournais se sont prosternés devant le critique Robert Parker, en singeant la couleur, la puissance et la concentration des vins de la Napa Valley pour que le gourou leur ouvre le marché américain. Et l’on ose ensuite crier à l’usurpation d’identité? Ceux qui ont perdu leur honneur en se vendant comme des marques, et non comme des crus, connaissent aujourd’hui le revers de la médaille de la grande foire aux vins mondialisés (…).»
La suite au prochain épisode, car Bruxelles n’a pas tranché et les Etats-Unis reviendront à la charge. En attendant la Chine… où des Français eux-mêmes ont bâti quelques «vrais» châteaux!

V.O. de l’article paru dans Hôtel Revue du 4 octobre 2012.