Vaud— La fête où le vin ne fut pas roi
La Fête dont le vin n'est pas le roi
Hormis comme boisson de rigueur, le (bon) vin est absent de la Fête des Vignerons. Pourquoi? Tentative d'explication.
Par Pierre Thomas
Lorsqu'on pose la question à Louis-Philippe Bovard, de Cully, un des membres de la «commission des vins» de la Fête, il présente la page de couverture du règlement de la Confrérie des Vignerons, à l'origine de ce rituel. Sa mission, c'est d'assurer la pérennité du patrimoine viticole, par des visistes régulières à 600 parcelles de vignes, soit 250 ha, de Pully à Bex. Cette surface ne représente plus que le sixième de Lavaux et du Chablais. Seuls les «vignerons-tâcherons» sont concernés par cet examen de passage, qui donne droit, quatre fois par siècle, au «couronnement» des ouvriers les plus méritants et, entre les fêtes, à des triennales. L'engagement de ces petits patrons viticoles s'arrête au pressoir: les «tâcherons» sont payés en fonction de leur vendange, souvent rachetée par leur patron. C'est à lui d'assumer l'encavage et la vinification.
Une profession aléatoire
Trois cents dans le Pays de Vaud, les vignerons-tâcherons tendent à disparaître. Les rapports se sont modifiés dans la filière du cep au verre. Les négociants préfèrent des relations claires et nettes et non dépendant des aléas d'une année, bonne ou mauvaise, bien ou moins bien payée. Le roi de la Fête des vignerons, le plus performant d'entre les cinq couronnés du vendredi 29 juillet, Raymond Favez est un éloquent exemple de cette mutation: il est, bien sûr, vigneron-tâcheron, mais aussi maître de culture salarié, deux fonctions qu'il exerce de front pour la maison veveysanne Obrist, et, aussi, propriétaire d'un hectare de vignes…
Il n'y a pas que le métier de tâcheron qui se modifie profondément. Le milieu vinicole scrute avec angoisse l'avenir. En monoculture du chasselas (70% de l'encépagement), le vignoble vaudois se heurte à plusieurs problèmes: des vins d'une qualité peu différenciée — vin blanc d'apéritif — en regard de leur prix, une baisse générale de la consommation du vin blanc et l'arrivée de la concurrence étrangère, qui a pris, en un an, 20% du marché suisse. Les Vaudois n'ont pas encore subi de plein fouet cette conjoncture défavorable: les Valaisans, en produisant moins de fendant, ont «épongé» la régression de la consommation du vin blanc suisse. Mais les Vaudois ne perdent rien pour attendre…
Prisonniers des traditions
Face à cette crise économique annoncée, les Vaudois, explique le négociant en vins Jacques Perrin, du CAVE à Gland, «opposent un discours convenu, rassurant pour tout le monde et qui confine au y'en a point comme nous, en affirmant que le chasselas est unique au monde. Je ne veux pas jouer les Cassandre: mais je n'y crois qu'à moitié! Les Vaudois sont prisonniers de leurs traditions et peu de vignerons ont compris les attentes nouvelles du marché. Le doute règne un peu partout». Et paraphrasant le dramaturge Peter Handke, c'est «l'angoisse du gardien de but au moment du pénalty!» qui prévaut.
Selon le bon principe qu'on ne saurait évoquer la corde dans la maison du pendu, on comprend dès lors mieux que le vin soit si peu présent à la Fête des Vignerons. A l'exception des 300'000 bouteilles d'une dizaine d'appellations, vins passe-partout de négociant, jetés en pâture aux milliers de spectateurs et aux clients des hôtels-cafés-restaurants.
Gare à la gueule de bois!
Pendant que Vevey fait la fête tard dans la nuit dans les caveaux se prépare, de surcroît, la plus grosse vendange de ces cinq dernières années. Philosophe, Louis-Philippe Bovard dit: «On y verra plus clair l'année prochaine, quand la situation du marché se sera décantée». Après la Fête, dur sera le réveil, c'est sûr!
Eclairage
Une occasion de ratée
Au moment où certains vignerons s'efforcent de croire à l'exportation des vins suisses, la Fête des Vignerons aurait pu servir de tremplin. Il n'en est (presque) rien. Certes, l'Office du tourisme vaudois a invité une soixantaine de journalistes en sept vagues, du Japon, des Etats-Unis, de Russie ou d'Angleterre. Des gastronomes et des amateurs de vin, assure M. Bovard. Rien n'a été conçu pour faire de cet événement rare non pas une célébration du métier de vigneron, mais une opération de découverte de sa finalité, dès lors que les vins suisses sont quasi-inconnus à l'étranger.
A l'instigation de trois encaveurs (Badoux, Bovard, Obrist), sept journalistes américains «ciblés vins» sont invités quatre jours, tous frais payés. Anglais et Japonais ne viendront pas: les Vaudois s'y sont pris trop tard. Ils avaient aussi annulé des tournées aux Etats-Unis et au Japon, l'automne passé. Les organisateurs de la Fête étaient pris au piège: ils n'avaient plus rien à vendre… Non pas en terme d'image du vin vaudois, mais en places de spectacle.
Toutefois, les vignerons de tout le canton, sous l'impulsion de l'Office des vins vaudois, tiennent des stands à la place du Panorama. L'exercice ressemble à l'alignée du Comptoir suisse, où chacun fait déguster son verre de chasselas à la bonne franquette, dans le respect de la «civilisation des trois décis». L'endroit est trop en retrait des arènes: là, ce sont les vignerons-encaveurs vaudois qui ont loué un magasin de vélos, promptement recyclé en comptoir à boire…
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en août 2000.