Valais — Didier Joris , vigneron non techno
Oenologue-conseil à Chamoson, Didier Joris, à 40 ans, réalise son rêve: avoir son propre domaine, sa propre cave. Surprise: ses vins, en quête de pureté, sont réalisés avec peu de moyens.
Par Pierre Thomas
Joris est aux vins valaisans ce que Pierroz est à la gastronomie des sommets: une figure emblématique. Les deux sont associés dans l'opération de «catering» en première classe de Swissair, où le chef de Verbier, avec Philippe Rochat, de Crissier, sert depuis le début de l'année du haut de gamme de haut vol, accompagnés de crus romands soigneusement sélectionnés.
Une cave en toute simplicité
Dix ans enseignant à la haute école de Changins, dix ans œnologue auprès de la grande maison Orsat: on aurait pu croire Didier Joris enferré dans un système exigeant une haute technicité. Certes, il n'a pas brûlé tous les livres, mais il constate: «Je me suis détaché de la technologie. 80% du vin se fait à la vigne. J'ai donc construit la cave la plus calme possible.»
Bâtie il y a deux étés sur trois niveaux, cette cave fonctionne uniquement selon la loi élémentaire de la gravitation, pour éliminer toutes les contraintes mécaniques. La leçon d'œnologie est réduite à quelques mots: pas de sulfitage dans les moûts, une macération préfermentaire à froid pour le chardonnay, un égrappage total pour la syrah, cuvée et pigée manuellement, puis débourbage statique et séjour dans un «tunnel à barriques» de deux douzaines de tonneaux. Les vins sont clarifiés par soutirage et les transvasages ont lieu sous air comprimé, pour éviter tout oxydation.
Des vins d'orfèvre
Il y a bien, ici ou là, quelques astuces: on sent la patte de l'artiste. Ainsi, les chardonnays de vieilles et jeunes vignes sont vinifiés séparément, dans des fûts plus vieux pour les jeunes vignes et neufs pour les vieilles vignes. Marqué par un nez vanillé, une acidité suffisante et une belle finesse en bouche, le chardonnay de Joris est un modèle du genre pour la Suisse. Le vigneron ne cache pas qu'il «aime la Bourgogne pour ses chardonnays et les Côtes-du-Rhône, qui sont parmi les premiers vignobles que j'ai visités. Le cabernet ne m'intéresse pas. Mais le merlot puissant, qui tient la barrique, ah oui, c'est beau!»
Jusqu'ici, le vigneron s'est donc tenu à la syrah, qui a trouvé en Valais une de ses terres de prédilection. Comme en Côte Rôtie, où le viognier joue le même rôle, le Valaisan coupe volontiers les tanins de sa syrah avec une goutte d'ermitage. Il différencie clairement ses trois syrahs, pas seulement par le terroir, repris sur l'étiquette, mais aussi par l'âge des vignes, leur mode de culture, la maturité requise d'un «climat» à l'autre, et par le travail en cave. Une bonne manière de nuancer la notion de terroir qui ne serait que poignée de sable, terre ou cailloux… Voici donc la syrah Gru, où la fraîcheur du fruit (girofle, épices) est exaltée par la macération à froid. Puis Champlan, plus austère et concentrée, exhalant des arômes de café, voire de biscuit. Enfin, le Pré-des-Pierres, où l'ajout des jus de presse et d'écoulure, sans marsanne, renforce les tanins et construit un vin de garde, que le passage en fûts neufs amadoue, paradoxalement. Car Didier Joris est un des précurseurs de l'élevage des vins sous bois en Suisse.
Un pinot «rive gauche» iconoclaste
Tous les vins de la cave — sans oublier une marsanne surmaturée mise en bouteille pour la première fois ces jours… — portent la signature de leur auteur. Et Joris a été suffisamment convaincant pour que quelques «sponsors» investissent et lui permettent d'acheter près de 3 hectares de vignes. Lui qui rêve de sauvignon blanc, de païen, de petit manseng et de petite arvine récoltera aussi du pinot noirde veilles vignes à petit rendement, à Saxon, rive gauche.
Cet incorrigible provocateur, qui avait confié à un journaliste genevois — qui tenait ainsi son gros titre! — que le pinot noir n'a rien à faire en Valais, va démontrer qu'on peut en faire du bon pour pas cher… Car l'œnologue redevenu vigneron laisse tomber: «Il y a beaucoup de gens qui vendent cher de mauvais vins parce qu'ils savent recevoir et ont de belles étiquettes.»
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en janvier 2000.