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Posted on 6 janvier 2005 in Vins du Nouveau Monde

Québec — La folle aventure des vins de glace

Québec — La folle aventure des vins de glace

La vigne à Vigneault
croit au vin de glace
Le Canada rencontre un vif succès avec ses vins de glace (icewines) de la péninsule de Niagara. Le Québec s’engouffre dans la brèche. Reportage à cent kilomètres au sud-est de Montréal, à Dunham, là où planter de la vigne tient du miracle.
Par Pierre Thomas
«Il est authentiquement d’ici»: ce cri du cœur, les copropriétaires du vignoble de L’Orpailleur, 14 hectares, pionnier de la commercialisation des vins québécois, le doivent au chanteur Gilles Vigneault, qui a signé un joli envoi au domaine, à la mi-août 1985. «C’est lui qui nous a offert le nom de L’Orpailleur. Depuis, il n’a cessé d’aimer nos vins et les baptise d’un nom original à chaque fois», confie le Français Hervé Durand. Un vigneron hors du commun que ce colosse: d’abord, enseignant en Argentine, puis viticulteur original dans les Costières de Nîmes — il y produit des vins comme les Romains, mais c’est une autre histoire! —, pionnier digne de la conquête de l’Ouest au Québec, enfin.
Résister à – 40°
«Une vigne au Québec, c’est pourtant David contre Goliath», explique Jacques Orhon dans son livre «Mieux connaître les vins du monde», paru aux Editions de l’Homme en 2000 (et qui affiche en couverture, fait peu banal, le vignoble du Mont-d’Or, aux portes de Sion). Pourtant, le navigateur Jacques Cartier, quand il remonta le fleuve Saint-Laurent, il y a plus de quatre cents ans, baptisa l’île d’Orléans, juste avant Québec, «l’île de Bacchus», tant il y poussait des lianes de vigne sauvage.
Aujourd’hui, la plante doit affronter des hivers longs et rigoureux où, sous l’action du vent, la température peut descendre jusqu’à moins 40°. Au domaine de L’Orpailleur, on a repris la technique ancestrale du «buttage» des vignes. Chaque hiver, les lignes de ceps sont recouvertes de terre, comme pour faire pousser des asperges. C’est, du reste, une machine utilisée pour cette culture qui permet de «débutter» au printemps. La vigne se réveille sous terre et produit des bourgeons blancs. Hervé Durand se souviendra toujours du 2 juin 1986: tout le vignoble gela en une nuit. Depuis, le terrain est équipé de chaufferettes, alimentées au pétrole, un système connu en Valais. La taille a lieu en mai (au lieu de mars) et la vendange autour du 15 septembre. La vigne est si courte sur cep que la récolte se fait à genoux… La plante doit accomplir son cycle végétatif en quatre mois, «un record du monde».
Entre le Nord et le Nouveau Monde
L’Orpailleur a choisi des cépages dits interspécifiques (ou hybrides), comme le Seyval, un blanc issu d’un croisement de deux clones de Seibel. Assez aromatique, il peut être décliné en plusieurs vins: un sec, passé trois à quatre mois en fûts, un mousseux et une «mistelle», moût muté à l’alcool de grain (et non de raisin), vieilli six ans dans des bonbonnes accrochées au mur extérieur de la cave. Jeune œnologue marseillaise, Mathilde Morel a «accouché» ces vins depuis l’an 2000, après avoir vinifié en Chine et en Australie. Avant de rentrer en France, elle commente: «Ici, il y a une marge d’amélioration énorme. Il faut améliorer la sélection des cépages: les hybrides rouges ne donnent pas grand’chose. C’est un mélange de vignes du Nord et du Nouveau Monde: comme la matière première n’est pas extraordinaire, il faut faire appel à la technologie de pointe. Et nous fondons de grands espoirs sur le vin de glace.»
A base de Vidal, un cousin du Seyval, ce vin de glace s’inspire des expériences de l’Ontario. A mi-novembre, les grappes sont coupées et sont enfermées dans un filet, attaché aux piquets de vigne, tandis que les ceps sont butés. A Noël ou à Nouvel-An, ces raisins desséchés par l’air et le froid, enveloppés d’une coque de glace sont délicatement pressés. Une sorte de sirop (180 g.de sucre résiduel) est alors vinifié.
Vendu au domaine
Avec son nez floral, son caractère aromatique, une bonne acidité, peu d’alcool (12°) et sa moelleuse sucrosité, le 2002, vendangé en janvier 2003, est agréable. A 28 dollars les 2 décilitres, ce «vin de glace» vaut 140 dollars le litre (135 francs suisses). Et c’est une attraction pour le domaine, qui dispose d’un magasin et d’un restaurant: sur place, avec le passage de 50'000 visiteurs par an, s’écoulent les 100'000 litres de vins divers produits chaque année. Curiosité, le vin au Québec reste une attraction: une trentaine de domaines, dont une douzaine de «sérieux» se partagent moins de 150 hectares de vignes.

Eclairage
Le vin de glace canadien, un «client sérieux»

Sommelier — il brigue la présidence de la fédération mondiale des associations de sommeliers, cet automne, en Grèce —, auteur de plusieurs livres, Normand établi au Québec, Jacques Orhon a suivi la saga de la montée de la vigne au Canada. Au total, près de 8000 ha (soit la moitié du vignoble suisse) sont cultivés, dont 85% en Ontario, sur la péninsule de Niagara, entre les lacs Ontario et Erié, au même effet climatique que le Léman. Fondé par des Autrichiens, le premier domaine à produire de l’icewine fut Inniskillin, en juillet 1975. En 1991, ce vin de glace fit sensation à Vinexpo, à Bordeaux. Depuis, son succès ne s’est jamais démenti. Pour des raisons administratives obscures, longtemps, ce vin ne fut pas disponible en Suisse. Depuis trois ans, il est importé par Zweifel et Globus le vend… très cher et même en minibouteille de 0,5 dl. Le Vidal d’Inniskillin 2002 vient de remporter le titre de «meilleur vin canadien» au Concours des Citadelles du vin, près de Bordeaux. Aux Sélections mondiales de Montréal, un icewine, issu de riesling de l’Okanagan Valley (région prometteuse à l’arrière de la côte pacifique, entre Vancouver et Seattle) a décroché une médaille d’or, aux côtés de quatre vins du même type de la péninsule de Niagara, et de deux «vins de glace» québécois, celui du «Vignoble du Marathonien» et du Château Taillefer Lafon, produit par un jeune œnologue français dans la banlieue de Montréal, à Laval. Et qui élabore une autre spécialité locale: le «cidre de glace», aux arômes exubérants.

Article paru dans Hôtel + Tourismus Revue, Berne, en juillet 2004