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Posted on 26 septembre 2005 in Conso

Brunello et Vino Nobile: de faux jumeaux toscans

Brunello et Vino Nobile: de faux jumeaux toscans

Dégustation comparative
De faux jumeaux toscans
La Suisse est, derrière les Etats-Unis, un des acheteurs majeurs des grands vins rouges toscans que sont le Brunello et le Vino Nobile. De faux jumeaux où il n’est pas facile de reconnaître les frères de sang.
Pierre Thomas pour Tout Compte Fait d'octobre 2005
Il y a des siècles que Montalcino et Montepulciano se tirent la bourre. Les deux cités toscanes ont appartenu aux seigneurs, adversaires historiques, de la grande province du centre de l’Italie : Sienne pour Montalcino et Florence pour Montepulciano. Sur les rayons des supermarchés, des deux vins figurent côte à côte. Il y a rarement plus d’une étiquette de l’un et de l’autre. Mais, selon une hiérarchie établie depuis le 19ème siècle, le Brunello di Montalcino est mieux valorisé que le Vino Nobile di Montepulciano, pour un volume de production identique (autour de 5 millions de litres par an).
Des rouges «à manger»
Notre dégustation a révélé d’abord la perplexité du jury. Ces grands vins rouges ne sont pas faciles à apprécier «à sec». Les Toscans, qui n’ont pas leur pareil pour recevoir — chaque année, une centaine de journalistes, en février, font la tournée des caves pour découvrir le nouveau millésime mis sur le marché — savent que leurs crus doivent être vieillis longuement et décantés quelques heures avant d’être servis en carafe, sur des plats simples et rustiques, où la qualité des ingrédients est primordiale, des «antipastis» aux fromages affinés, en passant par la viande, «bistecca» ou «tagliatta».
Seul face à un verre de vin, l’appréciation est différente. Ainsi, il a fallu avoir recours quasi-systématiquement à la deuxième bouteille, des faux goûts masquant la pureté du breuvage. Bouchon ou fût mal maîtrisé? La question n’a pu être tranchée.
Des millésimes marqués
Les domaines toscans, qui possèdent souvent plusieurs centaines d’hectares et écoulent de 80'000 (Altesino) à 260'000 bouteilles (Castel Giocondo) de leur brunello, en passant par la «moyenne» de Val di Suga ou de Camigliano (160'000 flacons), insistent sur la différence des millésimes. Et à Montalcino, en février, une cérémonie attribue des étoiles à l’année viticole écoulée : 2004 a décroché le maximum de cinq étoiles, comme 1997, 1995 et 1990. Depuis 1990, toutes les années impaires ont quatre étoiles. 1999 devrait donc être supérieur à 2000. Mais, pêchés au hasard des casiers des supermarchés, des fins de lots de 1999 de Baroncini et de Castel Giocondo se sont montrés inférieurs au 2000. Le premier s’est avéré très tannique, avec une finale dure. La vinification du second paraissait moins maîtrisée, avec un nez fermé, mais dans un style «moderne» que le 2000 confirme avec plus clairement.
A la dégustation, les vins les moins chers se classent en tête dans les deux appellations. Trois Vino Nobile font même bonne figure, l’un, de négociant, pointant au quatrième rang, devant celui des frères grisons Triacca, qui ont beaucoup investi en Toscane (chianti La Madonina et à Montepulciano), et le Trerose, propriété d’un domaine historique de Montalcino, décevant dans cette dégustation (Val di Suga, avant-dernier). Grandeur et décadence de la noblesse vinicole!

Eclairage
Savoir-faire VS tradition

Il y a juste 25 ans, le Brunello était le premier vin d’Italie à obtenir la DOCG («Dénomination d’origine contrôlée et garantie», le sommet de la hiérarchie italienne), suivi du Vino Nobile. Les deux étaient classés depuis quinze ans, DOC.
La codification de l’encépagement, exclusivement du sangiovese nommé «brunello» à Montalcino (1900 ha pour 183 embouteilleurs), du système de culture, du quota de vendange (56 hl de vin par ha, 45 en moyenne officielle) et du vieillissement (deux ans au moins en fûts de chêne et mise en marché cinq ans après la vendange), pouvait suffire, alors. Aujourd’hui, les producteurs de Montalcino sont tentés d’«écrémer» leurs raisins et de distinguer les meilleurs terroirs, comme en Bourgogne, tandis que d’autres soutiennent que les meilleurs Brunellos proviennent de l’assemblage des parcelles, comme à Bordeaux, mais sur des domaines parfois très morcelés.
A Montepulciano (1225 ha pour 65 embouteilleurs), les exigences sont moindres : 70% de sangiovese, appelé ici «prugnolo», 20% maximum de cannaiolo, complété par d’autres cépages et vieillissement de trois ans pour le Vino Nobile, qui a aussi ses cuvées de prestige…

Le classement des 12 meilleurs crus toscans
1) Brunello Baroncini 2000, Denner, 23,95 fr., 14,8 pts/20
1) Brunello Castel Giocondo 2000, Coop, 49 fr., 14,8 pts
3) Brunello Altesino 1999, Globus, 46 fr., 14,6 pts
4) Vino Nobile CEVIN 2000, Denner, 9,95 fr., 13,6 pts
5) Vino Nobile Selection 2001, Globus, 16,80 fr., 13,4 pts
5) Vino Nobile Tre Rose 2001, PickPay, 25,95 fr., 13,4 pts
5) Brunello Conde Placido 1999, PickPay, 25,95 fr., 13,4 pts
8) Vino Nobile Pasiteo Fassati 2000, PickPay, 16,95 fr., 13,2 pts
9) Castello di Argiano 2001, IGT Toscane, Manor, 19,95 fr., 12,6 pts
10) Brunello Castello di Camigliano 1999, Aligro, 35,60 fr., 12,4 pts
10) Brunello Val di Suga 1999, Coop, 34,50 fr., 12,4 pts
(—) Brunello Della Robia 1999, 29,50 fr., Coop, non noté (échantillons défectueux)

Le jury de Tout Compte Fait
Nathalie Borne
Meilleur sommelier romand 2003, Cossonay (VD)
Frédéric Compain
Sommelier, Vétroz (VS)
Jean Solis
Double champion suisse de dégustation, Pully(VD)
Claudio de Giorgi
Président de l’Association romande des sommeliers, Gstaad (BE)
Pierre Thomas
Journaliste spécialisé, Lausanne (VD)
* Les commentaires détaillés sont parus dans le magazine de consommateurs Tout Compte Fait d'octobre 2005