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Posted on 28 février 2006 in Vins suisses

Vaud — D’Ollon à Bex, pas à pas

Vaud — D’Ollon à Bex, pas à pas

****Reportage paru dans «Le Guillon», décembre 2005
Ollon-Bex, exclusif
D’Ollon à Bex, pas à pas

Derrière la colline de Plantour, Ollon se frotte à Aigle, et Bex, après la forteresse de l’Arzillier, au Valais. Un parcours initiatique à travers les deux appellations viticoles les plus méconnues du Chablais vaudois. Forcément exclusif, de la «Pierre à Thomas», bloc erratique boyard, aux mannes de Pierre Thomas, père d’une dynastie de botanistes bellerins. Par Pierre Thomas (sans lien de parenté avec les précédents…).
Entre le Léman et le verrou de Saint-Maurice, le Chablais paraît, au voyageur pressé, une sorte de sas, vite avalé par l’autoroute ou le train plus ou moins rapide. Par la fenêtre, de la limousine ou du wagon, on ne voit, à gauche comme à droite, que carrières, wagons-citernes rouillés, hautes cheminées de raffinerie de pétrole ou d’usine de traitement d’ordures ménagères.
Il suffirait de lever le nez, pour s’accrocher aux incisives de la Dent de Morcles et de «la» Dent du Midi, comme disent les Bellerins — les habitants de Bex. Ou aux mollaires du Muveran. La Dent de Morcles voit double : la grande et la petite. Le Muveran itou. Quant aux Dents du Midi, elles sont sept, alignées à découper l’azur. Illusions à la mâchoire du Chablais, que la langue du Rhône partage, à droite, côté vaudois, à gauche, côté valaisan.
Le meilleur des deux cantons
Les vignes, on les devine… Rampant sur les collines, par des coteaux aux orientations diverses. Ou léchant les pentes raides des contreforts des Alpes. Au pied du glacier des Diablerets, jusqu’où grimpe la Commune de Bex, les ceps ne pèsent pas lourd, face aux 2673 ha de roches et glaciers et aux 3000 ha de forêts: 110 hectares de vigne sur les 9600 ha que compte la troisième plus vaste commune vaudoise (derrière Château-d’Oex, au Pays-d’Enhaut, et Le Chenit, à la Vallée de Joux). Ollon, et son vignoble de 123 ha, est certes moins étendue, malgré le plateau de Villars-Chesières, belle promesse de ski, de golf et de randonnée, mais tout de même, avec 5959 ha, n’est devancée que par les trois déjà mentionnées, auxquelles s’ajoutent les Ormonts, Dessus et Dessous.
On aurait tort de snober ainsi un des vignobles les plus intéressants du Pays de Vaud. «Nous tirons à la fois le meilleur du Pays de Vaud et du Valais», soutient Bernard Cavé, le jeune œnologue aux multiples talents. Pour la première fois, à 35 ans, il a pignon sur Ollon, son village : il vient de reprendre la cave (et les vignes) de Jean-Robert Delarzes, sous le coteau de Verschiez. Et fête ses dix ans de «faiseur de vins» avec un coffret à tirage limité, contenant deux flacons de «réserve particulière» (une marsanne et une syrah), une sculpture en bronze (miniature) d’André Raboud, un CD du pianiste Thierry Lang, qui va faire rimer jazz et crus et une brochure avec douze recettes de grands chefs, tous acquis à ses vins.
De nombreux cépages… justifiés
«Par rapport au Valais, résume Bernard Cavé, le climat est sensiblement identique. Le foehn souffle aussi chez nous, mais, notable avantage, nous ne manquons jamais d’eau. Dans de telles conditions, on peut se permettre de cultiver beaucoup de cépages avec succès. Le terroir s’y prête.» Donc, pas seulement pour offrir une diversification commerciale…
De fait, Ollon la blanche (72% de vin blanc en 2004) et Bex la rouge (60% de vin rouge) jouent souvent les premières de classe sur l’ensemble du vignoble vaudois. Prenez Ollon : première commune viticole vaudoise pour la syrah. Une bricole : 3484 litres en tout et pour tout, en 2004 ! Deuxième pour le cabernet franc (2200 l.), troisième pour le pinot noir (au coude à coude avec Yvorne, 175'000 l.), le pinot gris (8300 l.) et la mondeuse (1400 l.), quatrième pour le gamaret (19'500 l.) et cinquième pour le garanoir (15'000 l.). Bex, ensuite : première commune pour le gamay et le pinot noir, la seule vaudoise à dépasser les 200'000 l. dans les deux cas, mais première aussi pour le chardonnay (13'000 l.). Deuxième pour le garanoir (18'000 l.), le merlot (6'700 l.) et le sauvignon (4’244 l.). Avec ses cépages internationaux (pinot noir, merlot, chardonnay et sauvignon), c’est quasi le Nouveau Monde ! Pas étonnant que les frères Rapaz, parmi les meilleurs vignerons-encaveurs de l’AOC, affichent dix-sept vins sur leur prix courant.
Un sentier sous le coude
Pour excellents qu’ils soient, mais (trop) rares, ces vins sont peu connus. Comment les mettre en valeur ? Le Chablaisien a souvent une idée d’avance. Sans doute un trait de son histoire, lui qui fut mis au fixe par les Bernois (venus par le haut…) 70 ans avant les Vaudois et converti à la Réforme avant le reste du pays, malgré le pouvoir de l’abbaye de Saint-Maurice et de l’évêque de Sion. Or donc, ces dix dernières années, on a parlé d’oenothèques (à Aigle et à Bex), de caveau régional (à Yvorne), de cuvées avec l’accent des terroirs du Chablais (le coffret Vigne d’Or, repris désormais en solitaire par Yvorne), de la mise en valeur des vignes de l’abbaye de Saint-Maurice, tous projets qui ont fait long feu.
Et de sentier viticole… Facétieux, un vigneron glisse : «On nous l’avait promis pour la Fête des vignerons. Mais on ne nous avait pas dit laquelle.» Sachant que le «raout» veveysan n’a lieu tous les vingt-cinq ans, ça laissait de l’espoir! En octobre, à Bex, sous les assiettes des invités au Baptême (en fanfare) de la vendange 2005, un document était là. Un vrai scoop : le parcours en entier (et en couleurs), d’Yvorne à Lavey (et retour), indexé en temps de marche (une journée de 8 heures) et un bref descriptif bilingue (français-allemand) des cinq communes traversées (Yvorne, Aigle, Ollon, Bex et Lavey).
A pied, la seule solution
Pour l’avoir vérifié à plusieurs reprises, du sentier de la Provence, bien nommée, entre Verschiez et Ollon, sous les pins méditerranéens, en passant par le coteau d’Antagnes et ses palmiers qui font aux Alpes de Haute-Savoie un décor digne de l’Atlas vu de Marrakech, puis les terrasses qui surplombent la Gryonne, comme les «patamares», le Douro, c’est le seul moyen d’approcher la réalité du vignoble. Physiquement. Et humainement.
Mais commençons par la colline de Saint-Triphon, une curiosité. Géologique, d’abord. Le rocher était une île lacustre, il y a 14'000 ans, quand la cote du Léman gravitait à 405 m. Et, écrit le géologue Nicolas Kramar (dans le guide «Aux lumières du lieu»), «ces roches sont bien plus anciennes encore que celle de la collision entre l’Europe et l’Afrique, à l’origine des Alpes», il y a 200 millions d’années. Historique ensuite. On a découvert au Lessus une nécropole de l’âge du bronze. Au Moyen-Age, les deux châteaux gardaient un bourg réputé pour ses foires commerciales.
Un marbre fameux
Et puis, il y a le «marbre noir». Curieusement, il y a 20 millions d’années, affirme le géologue, les (futures) carrières de Saint-Triphon se sont retrouvées cul par-dessus tête : «Les strates les plus anciennes sont à leur sommet, les plus jeunes à leur base». Les hommes, dès le 13ème siècle, ont vu quel profit tirer de ce matériau. En fait un calcaire, improprement appelé «marbre noir», qu’il suffit de polir pour qu’il «brille». Les principaux monuments vaudois en renferment : l’abbatiale de Romainmôtier, le château de Chillon, la cathédrale de Lausanne. Au 19ème siècle, l’extraction industrielle a épuisé les carrières qui ont, aujourd’hui, tout donné…
Les fontaines de la région ont été creusées dans un bloc de ce «marbre», aux Fontenailles. Aujourd’hui, sur ce lieu-dit, Bertrand Gaillard produit des vins, tirés de 5 ha, et livre une partie du raisin à la coopérative. Ses réussites, ce sont les rouges. Sur les 12 ha recensés à Saint-Triphon, pousse également la mondeuse de Jean-Marc Lagger. Outre le pinot, le gamay, le cabernet franc, planté en 1993, Bertrand Gaillard a un faible pour le garanoir, le carminoir et la syrah. «Je ne cuve pas mes vins longtemps. Je les préfère souples… Je ne vois pas l’intérêt de faire des vins que vos héritiers boivent à votre enterrement», explique ce vieux sage, à l’opinion tranchée : «A Ollon, on a joué clairement la carte de la diversité!».
Des rouges, même à Ollon!
Il faut admettre que, même si 72% de la production d’Ollon est en blanc, le rouge se défend fort bien. Dans les années 1930, le Pays de Vaud était plongé dans une crise viticole profonde. «Aux Grandes Vignes», à Verschiez, Jean Delarze, qui avait fait la guerre de 14-18 avec les zouaves dans le Beaujolais, plante alors les premiers gamays. En 1950 s’y ajoute le pinot noir. Et les Delarze vinifient même «tout le rouge» du puissant négociant d’Aigle, la maison Badoux. Henri, puis Jean-Jacques, continuent sur leur lancée, avec des vins atypiques, qui ont le charme du passé pour eux.
A l’Association viticole d’Ollon, l’AVO, le rouge ne représente toujours que 25% de l’encépagement des quelque 50 ha cultivés par 145 sociétaires. «En quinze ans, la surface de chasselas a diminué de 10%. Il n’y a pas de volonté d’en changer», assure l’œnologue Jean-Yves Beausoleil. Ce quadra optimiste est l’âme de la coopérative, centenaire en 2006. Il a une vision claire dans les vignes: «En 2005, toutes les parcelles ont été visitées cinq à six fois par notre commission viticole. Les sociétaires apprécient ce suivi : ils n’ont ni le tempérament anar’ des Genevois, ni frondeur des Valaisans.» Et les «contrats de culture», où le viticulteur est payé «à la surface» et non à la quantité livrée, sont toujours plus nombreux…
Une coopérative inventive
Reste que la vedette de la cave a huitante ans bien sonnés : «Le Caviste», avec son étiquette de Frédéric Rouge, le grand peintre d’Ollon, tourne toujours à 250'000 bouteilles l’an. C’est bien davantage que la série de chasselas «Les Hameaux», lancée en 1993, pour illustrer le mot terroir : «même AOC, même cépage, même vinification», tirés à 15'000 bouteilles. Quel tiercé gagnant ? «Il n’y en pas», explique le maître caviste, le verre en main. Ce jour-là, le Saint-Triphon paraissait plus structuré que l’Antagnes, plus complexe, avec ses arômes empruntés au sous-sol gypseux, que le Verschiez, plus minéral, né sur un sol au calcaire profond. Allez, après ça, parler de la simplicité apéritive du chasselas…
Mais Jean-Yves Beausoleil n’est pas un obsédé du terroir. La pureté du cépage, il aime bien aussi. Sans parler de la complexité des assemblages ! Ses «solistes» étaient trois en 2003, six en 2004 et à terme douze, tous en flacon de 50 cl, mais «de qualité bouteille». Dont, bientôt, trois cabernets : le franc, le sauvignon et le Jura. Késaco ? Un plant développé par le Jurassien Valentin Blattner, encore à l’essai sur 500 m2. «On ne réinvente pas la roue, mais on va voir comment elle tourne ailleurs», explique l’œnologue. Le client ne fait pas autrement: «Il y a un engouement pour le gamaret. On offre dix-huit vins, mais il y a des gens qui nous demandent direct du gamaret. C’est un rouge masculin. Coloré, corsé, couillu.» Il faudrait aussi évoquer les assemblages, plus délicats à imposer en blanc qu’en rouge, et le sylvaner passerillé, aux qualités différentes chaque année — des vins qui ont décroché deux médailles d’or aux Vinalies de Paris 2004.
La diversité fait la force
L’AVO fait-elle de l’ombre aux autres vignerons ? Certains, comme Bertrand Gaillard ou Philippe Brunner, les plus gros fournisseurs de raisin, signent en parallèle leurs propres «spécialités». Président du Caveau, fondé il y a dix ans, Emile Blum, travaille, lui, 6 ha de vignes. Il est très fier de son viognier, planté juste à côté de la cave, dans le milieu de la pente d’Antagnes, et dont les trois quarts ont passé en barrique. Et il vient de lancer «Puissance 5», un assemblage de… cinq cépages (gamaret, garanoir, ancelotta, cabernet franc et pinot noir), élevé en barriques. «On a beaucoup de cépages. Plus de vingt spécialités rien qu’à Ollon ! De sorte que nous n’avons rien à craindre d’Aigle et d’Yvorne, même si nous n’avons pas leur renommée», analyse Emile Blum.
Retour au cœur d’Ollon, dans une de ces rues tortueuses, non loin de la belle église. Naguère associé à Bernard Cavé, Pierre-Alain Meylan est seul, désormais, sur ses 5 ha, répartis sur le coteau de Verschiez et En Epesses, sur le chemin d’Antagnes. Meylan paraît l’anti-Gaillard : ses vins rouges, il les pige et les cuve longuement, avant qu’ils séjournent une bonne année en barriques. Il partage avec son aîné un intérêt pour le cabernet franc. «Le calcaire actif du coteau de Verschiez le rapproche de la Loire». Le 2003 a été jugé parmi les meilleurs rouges de la dégustation OVV-Guillon, avec 94,3 points sur 100, alors qu’il n’en était qu’à sa deuxième année de production… Pierre-Alain Meylan y croit davantage qu’au merlot «au goût de lierre, les mauvaises années».
Le vigneron boyard ne quitterait pour rien au monde son coin de pays : «On a un paysage magnifique, à ras des montagnes. C’est aussi plaisant que d’être propriétaire en Toscane. J’ai plaisir à faire mon métier de vigneron ici : on a obtenu la reconnaissance de notre travail et de nos vins.» Et que Globus les tienne dans son assortiment n’est pas la moindre des satisfactions.
Une abbaye qui doit tout à Saint-Maurice
Qui va à pied d’Ollon à Bex peut choisir trois itinéraires. Par le haut et le coteau d’Antagnes, sur le sentier des vignes. En musardant par Saint-Triphon, et son curieux jardin botanique privé , un coin de jardin d’Eden. Ou bien, renouer avec l’Histoire, en rejoignant les berges canalisées de la Gryonne, qui fait frontière entre les deux communes, par l’Abbaye de Salaz.
Rodolphe III de Bourgogne fit don, en 1017, de ce domaine mentionné pour la première fois au sixième siècle, à l’abbaye de Saint-Maurice. Posée au pied du coteau d’Antagnes, la grosse bâtisse fut un centre administratif, avec tribunal et prison, avant de devenir un hospice. La Réforme ne chassa pas les moines agaunois du Chablais, de sorte que les possessions de l’Abbaye de Saint-Maurice subsistèrent jusqu’au milieu du 18ème siècle. Endettée par la guerre du Sonderbund, l’abbaye dut alors en vendre une partie. Un siècle plus tard, c’est un fils d’instituteur bernois, Max Zbinden, qui racheta le vaste domaine de Salaz, en 1949. Depuis bientôt quarante ans, son beau-fils, Franz Huber, a reconstitué en partie le domaine viticole de 4 ha, d’un seul tenant, à mi-coteau, planté pour moitié en rouge et en blanc. Le trio chasselas-pinot noir-gamay se retrouve sur près de 90% du vignoble. Chardonnay, pinot gris, en blanc, merlot, syrah, mondeuse, cabernet sauvignon, en rouge, complètent l’encépagement.
Des jeunes qui y croient
Franz Huber a relancé la vinification au domaine il y a quinze ans. Ses enfants viennent de terminer Changins. Tous deux œnologues, Jeanne, 25 ans, conduit l’étude des terroirs du Valais, et son frère aîné, Bernard, 28 ans, se destine à reprendre les vignes de Salaz. Des stages l’on mené aux Etats-Unis, dans le Bordelais et en Nouvelle-Zélande : «Si je reviens ici, c’est que j’y crois. On a un cadre, un monument historique. Les gens peuvent s’imprégner d’une image. La taille du domaine permet de tout gérer de A à Z. On peut réagir aux changements. Le blanc est bien ancré ici, et c’est un problème, actuellement… Mais on a aussi du rouge depuis longtemps. Et nous savons qu’il y a un réel potentiel, grâce au foehn, pour les cépages tardifs. L’idéal serait de faire des vins de haut de gamme, à forte valeur ajoutée. Les gens sont prêts à mettre le prix pour un vin spécial. Ce qui m’a le plus impressionné, en parcourant le monde, c’est que chaque pays, chaque région fait des vins différents. La diversité est le maître mot du vin. Il faut savoir garder la tradition et prendre le meilleur partout.» Les Huber estiment avoir encore de la marge, puisque qu’ils ne mettent en bouteilles que la moitié de leur production…
Une vinicole plus que centenaire
C’est, précisément, parce que les acheteurs de raisins attendaient le plus longtemps possible pour fixer leur prix, tenant le couteau sous la gorge des viticulteurs, que ceux-ci se sont regroupés en coopérative, au siècle passé. A Bex, le patron du Café de la Treille et syndic Isaac Genet prend la tête de la première Société vinicole de Bex en 1880 déjà. Dix ans plus tard, malgré une situation financière saine, elle fut dissoute. Mais en septembre 1905, des Bellerins se remirent à table et re-fondèrent la Société vinicole de Bex.
Pour son centenaire, en 2005, la coopérative s’est offert un nouveau gérant, Tobias Mathier, et un nouveau chef caviste, Jean-Michel Fonjallaz, d’Epesses. Sierrois, le jeune directeur est aussi œnologue (formé à Wädenswil). Il a travaillé dans plusieurs caves valaisannes et aux achats chez Schuler, à Seewen (SZ). Un atout, quand on sait que les vins de Bex que les ventes en Suisse alémanique «ne représentent que 2 ou 3%». Avec une centaine de livreurs de raisin pour 38,5 hectares, et 55% de rouge pour 45% de blanc, «il y a un gros travail à réaliser entre les vignes et la cave», diagnostique d’emblée Tobias Mathier. Raison pour laquelle avec sa voisine d’Ollon, la coopérative de Bex va intensifier ses liens. En commun, les deux associations ont une société d’embouteillage. Chacun dispose de locaux distincts — contrôle de cave oblige… — mais sous un même toit. La chaîne effectue aussi des travaux «à façon». Bernard Cavé a sorti ici les 100'000 bouteilles de vins romands (de Genève au Valais) de la ligne La Scala, qu’il signe de sa main pour les magasins Casino (ex-Magro)… Et Tobias Mathier n’exclut pas un seul lieu de production pour les cinq associations du Chablais, de Villeneuve à Bex, bientôt… Pour l’heure, la Société vinicole relooke ses étiquettes et lance, à côté de son mousseux «Duchesse de Duin», brut et sec, une «Princesse de Duin», à 7°5 d’alcool seulement. Un rosé de pinot noir, mousseux doux, en demi-bouteille uniquement, pour séduire les jeunes femmes !
Belle inconnue drapée de rouge
Les vins de Bex ont une réputation locale. Paul Baumann, l’oenologue d’Obrist, admet que les raisins rouges récoltés sur une dizaine d’hectares à Bex assurent la base de l’assemblage «Tour Rouge». «Le coteau du Montet est une des zones les plus précoces du canton de Vaud. A Treccor, le gamay, le merlot et la syrah dépassent les 90° Oechslé sans problème !» L’œnologue Fabio Penta, chez Hammel à Rolle, produit quelques uns de ses magnifiques vins rouges, la Côte-Rousse et le Quatuor, à base de syrah, de cabernets franc et sauvignon et de merlot, ici, sur les 4 ha du Domaine du Montet. De même qu’un «vin de paille» et même un «vin de glace». Plus haut, sur la colline en arrière-plan où serpentent les lacets de la route de Gryon, sur près de 10 ha, grimpe le Domaine du Chêne, de murets en terrasses, ces «raisses» dont est tiré un grand cru, jusqu’à 800 m. d’altitude, en exposition sud-est…
Revenu en plaine du Rhône, voici la singulière colline de Chiètres et ses châtaigniers, qui témoignent autant de la clémence du climat que de l’absence de calcaire. Au Domaine du Luissalet, Willy Deladoey a planté il y a vingt ans ses première vignes, sur 5 ha d’anciennes terres viticoles devenues pâturages. Tout son vignoble est planté sur de la «lousaille», de l’ardoise brisée. Son Clos des Caillettes s’étend sur 2 ha. S’il vinifice ses vins de base en collaboration avec un œnologue d’Aigle, le propriétaire, président de la sous-section de Bex-Lavey et vice-président de la Fédération vaudoise des vignerons, veille jalousement sur ses trente fûts de «spécialités». Il n’est pas peu fier d’avoir ramené d’Expovina 2005, à Zurich, cinq diplômes pour cinq vins présentés, dont une médaille d’or pour son gamay vieilles vignes 2003. Cabernet franc, diolinoir, gamaret, sauvignon blanc, pinot blanc et chardonnay liquoreux en barriques, l’«Accroche-Cœur», complètent l’assortiment, à côté des chasselas… Avec une telle diversité de cépages, c’est, déjà, le Valais et ses caves multivins qui s’annoncent.
Après le vin frais, les eaux chaudes
Entre-deux, l’eau reprend ses droits : le Rhône se faufile entre les roches du défilé de Saint-Maurice. Un dernier arrêt s’impose à la Cave du Courset, fondée en 2001, à côté des bains de Lavey. Maurice Cheseaux et Richard Bonvin y proposent une séduisante palette de spécialités. Mais la station thermale, grâce à sa source d’eau chaude et à la qualité de ses nouvelles installations, reprises par le groupe Eurothermes, a définitivement détrôné Bex-les-Bains, que Victor Hugo, Léon Tolstoï ou Alexandre Dumas fréquentaient assidûment. Tout se beau monde affluait dans le Chablais grâce à Albert de Haller. En 1729, à 21 ans, cet humaniste bernois publiait son poème «Les Alpes», qui déclencha la soif de découvrir les Alpes. Et à 50 ans, il prenait la direction des Mines de sel de Bex. Dans la «station», alors, tout bien portant était un malade qui s’ignorait… L’Histoire ne dit si ces «people» du XIXème siècle, après avoir pris leurs eaux (salées), trinquaient d’un sonore «santé !».
Pierre Thomas