Vins suisses — Vendre plus ou produire moins?
Dilemme vigneron:
vendre plus ou produire moins?
Il y a le feu dans la toute nouvelle maison viti-vinicole, l'Interprofession du vin suisse (IVS). Les milieux concernés slaloment entre politique et marketing, actions et contradictions. Si seulement les Suisses buvaient plus de vin indigène!
Que représente le vin suisse dans l'économie du pays? Dix mille emplois à plein temps. Pourtant, explique le secrétaire de l'IVS, Jean-Yves Fellay, «ce poids économique est sous-estimé par le pouvoir économique et politique.» La preuve? Prochainement, l'IVS devra dire si elle se contentera de 225 m2 sur les 15 000 m2 de l'espace réservé par Agromarketing à Morat, lors d'Expo.02. L'IVS devrait débourser un demi-million de francs sur les dix-huit millions de l'ensemble du projet. Déjà, les Vaudois préfèrent, dans ces conditions minimalistes, se replier sur Yverdon-les-Bains et la vitrine des produits du terroir vaudois.
Peu de moyens…
L'Interprofession du vin suisse, fondée en 1997, est un savant dosage entre producteurs et commerçants de toutes les régions. Selon son président, l'avocat valaisan Jean-Pierre Guidoux, son mandat se focalise sur la promotion du vin en Suisse et à l'étranger, par le biais d'une commission permanente, l'Organisme de promotion des vins suisses (OPVS). Seul problème: cet instrument n'a aucun moyen financier, explique son président, Jean-Marc Amez-Droz. L'ex-directeur de Provins-Valais a lancé, cette semaine à Martigny, un pavé dans la mare: l'OPVS devrait enfanter deux rejetons. Deux commissions, l'une économique, l'autre technique. La première définirait quels volumes de vins suisses peuvent être mis sur le marché. La seconde mènerait une réflexion pour revoir les quotas de production de 1,2 kg au m2 pour les rouges et 1,4 kg au m2 pour les blancs.
Une question taboue
La question, imposée par la Berne politique en 1991, est, dix ans et quelques études de marché plus tard, toujours taboue. En proposant de revoir les limites de rendement, tant dans leur manière de fonctionner – les Suisses sont les seuls en Europe à tenir compte des quantités récoltées et non du vin commercialisé – que dans leur justification, Jean-Marc Amez-Droz se place dans une logique de gestion de marché.
Depuis cinq ans, les principaux responsables du secteur économique, confrontés à écouler de gros volumes de vin, martèlent le slogan: «On ne doit pas produire plus que ce qu'on peut vendre.» Bon an, mal an, ce volume se situe autour de 100 millions de litres, soit un tiers de la consommation suisse. Grâce à un marché du vin blanc protégé jusqu'à cette année, les vignerons suisses satisfont 70% de la demande en vin blanc, contre 25% en vin rouge, où les importations sont libéralisées depuis longtemps. La crainte des grands acteurs du marché, c'est que la proportion du vin blanc indigène continue à baisser et que les vins rouges suisses ne puissent concurrencer ceux qui sont importés, déjà installés sur leur marché. La seule «niche» des rouges suisses se limite au haut de gamme, où le prix élevé ne se justifie que par une qualité reconnue.
Y a qu'à vendre!
De petits artisans, comme le président de l'Association suisse des vignerons-encaveurs (500 membres), le Vaudois Michel Duboux, rétorquent: «Faisons des efforts pour vendre ce qu'on produit.» Dans le canton de Vaud, ces milieux ont fait recours contre l'introduction du «plafond limite de classement» (PLC), un volet de correction décidé chaque année, région par région. Le Tribunal administratif leur a refusé l'effet suspensif, en attendant une décision sur le fond.
Aujourd'hui, la situation est tendue sur le marché du vin suisse. Aux dernières vendanges, les Vaudois ont réagi par le PLC, les Genevois ont choisi eux-mêmes d'abaisser les quotas cantonaux, comme la région des Trois-Lacs (Neuchâtel, Morat, Bienne) et les Tessinois. Seuls les Valaisans ont fait le plein, rendant la pareille aux Vaudois qui, en 1999, ne s'étaient pas gênés de récolter à hauteur des quotas fédéraux…
Si des encaveurs débrouilles vendent sans problème leur petite production, d'autres vignerons, à Genève et en Valais, malgré un raisin de qualité exceptionnelle, seront, paradoxalement, très mal rétribués pour la vendange 2000. Confrontée à la libéralisation du marché exigée par les règles de l'Organisation mondiale du commerce et les négociations bilatérales, la filière viti-vinicole a peine à comprendre la nécessité de la gestion du marché. Elle s'expose, comme il y a dix ans, à la prise de décisions politiques. Pour 2001, confie Jean-Pierre Guidoux, les Genevois ont déjà tapé du poing à Berne: ils exigent que tous les vignerons suisses fassent un effort. Solidairement.
Paru dans dimanche.ch le 11 février 2001.