Valais — Les Grands Crus de Vétroz 2003 en blanc
L’amigne et le fendant dominent
Le canton du Valais vient d’adopter un cadre légal pour l’appellation Grand Cru. A Vétroz, un tel règlement existe depuis onze ans. Quatre vins peuvent y prétendre : deux rouges, le pinot noir et la dôle, et deux blancs, le fendant et l’amigne. Cette dernière est même propre à la commune du Valais central. Explications et dégustation «blanche».
Par Pierre Thomas
Les Valaisans s’obstinent à vouloir faire remonter les origines de l’amigne aux Romains. Ils y ont vu, en vain, un parent du trebbiano toscan — le nom italien de l’ugni qui sert surtout à faire le cognac… — et du greco di tuffo campagnol. Le jeune biologiste (valaisan) José Vouillamoz, quand il a comparé des plants d’amigne avec d’autres cépages, selon la méthode d’analyse ADN, n’a trouvé aucun lien direct avec une des 1600 variétés qu'il a répertoriées. Selon lui, l'amigne, «unique au monde», pourrait être issue d'un parent valdôtain et d'un parent français. En revanche, il qualifie d’«hypothèse douteuse» que l’amigne soit la Vitis aminea dont parlent plusieurs auteurs latins. Pour la bonne raison qu’aminé signifie simplement blanc, dans leur langue…
Plutôt César…
S’ils devaient en appeler à l’histoire lointaine, les Valaisans devraient se souvenir qu’il vaut mieux être le premier dans son village que le deuxième à Rome, pour paraphraser Jules César (avant qu’il franchisse le Rubicon). L’amigne remplit parfaitement ce contrat. Sur 30 ha recensés en Valais, en 2003, 25 sont situés à Vétroz. C’est deux fois plus qu’en 1992.
Romaine ou pas, l’amigne a refait surface une première fois en 1878, à l’exposition viticole de Genève. Puis elle a décliné, sous la pression économique de cépages plus productifs, dont le fendant, importé du Pays de Vaud. Aujourd’hui, les encaveurs de Vétroz sont conscients de la valeur de «leur» spécialité. Cet automne, ils récolteront (à la «troisième feuille») les premières grappes de la vigne du Prieuré, véritable conservatoire de l’amigne. Il y a trois ans, partant de la démarche «Sélection Valais», visant à sauvegarder la diversité génétique des vignes du Vieux-Pays, ils ont «repiqué» une cinquantaine de clones de vieilles souches, sur vingt-cinq ceps chacun, pour en étudier le comportement, sur 7000 m2. De surcroît, sur 2800 m2, ils ont planté des «têtes de clones» sélectionnées chez les pépiniéristes sur divers porte-greffes.
Une douceur ambigüe
Rien n’est donc laissé au hasard. C’est que l’amigne, cépage tardif, riche en alcool, a le don de donner un vin sec, un vin moelleux ou un surmaturé sur souche, tous de grande qualité. Le premier se fait rare, notamment en raison des années. «A millésime sec, vins doux», assène André Fontannaz, premier président du groupement des encaveurs. Rencontré par hasard (et chevauchant sa Harley-Davidson !), le restaurateur Jean-Maurice Joris, de l’Hôtel des Alpes à Orsières (trois toques, 17 sur 20 au GaultMillau) est plus critique : «Les producteurs sacrifient au goût du public pour les vins puissants et légèrement doux. Dommage pour les amignes sèches qui vieillissent si bien !» Et de citer celle, en barrique, du président actuel du groupement, Romain Papilloud : nous venions de la goûter, millésime 2002, et c’est vrai que le bois, pas encore fondu, lui donne une dimension supplémentaire.
Grand Cru sélectif
Quand les vignerons de Vétroz ont lancé la certification Grand Cru, juste après Salquenen, qui ne le réserve qu’au seul pinot noir, ils ont tout naturellement choisi l’amigne. En théorie, 80% des 175 hectares de la commune pourraient revendiquer l’appellation Grand Cru. Mais cette démarche reste volontaire, de sorte que douze des dix-huit producteurs y ont adhéré. Avec le risque majeur qu’un de leurs vins ne passe pas l’épreuve de la dégustation (30% d’échec en moyenne). Et, surtout, avec l’obligation de se soumettre à une visite du vignoble, par une commission technique.
Ces éléments ont été repris dans le règlement-cadre des grands crus valaisans (lire l’encadré). Vétroz est allé encore plus loin, en embouteillant les vins labellisés Grand Cru dans un flacon spécialement fabriqué à Saint-Prex (VD) par… Vétropack. En dix ans, les bouteilles écoulées ont quadruplé, passant de 55'000 à 220'000. Pour chacune, les producteurs ont payé 20 centimes, réinvestis dans la promotion (en plus de 10 ct par m2 affectés au contrôle des vignes). Œnologue de Bon Père (Germanier), Gilles Besse se félicite: «Dans notre gamme, le fendant Grand Cru est le plus cher et pourtant ses ventes sont toujours en progression». Pour éviter de brader l’image du Grand Cru, un prix est conseillé : 22 francs la bouteille pour l’amigne et 15 francs pour le fendant.
Le Dézaley du Valais
Car le chasselas de Vétroz est un autre cheval de bataille. Ce blanc racé n’a pas hésité à se frotter aux barons vaudois du Dézaley, en dégustation comparative. Presque toujours, un cru de Vétroz s’est retrouvé en finale de la défunte Coupe Chasselas, «noyée» cette année dans le Championnat suisse des vins. Avec 64 ha plantés (39% de la surface), le fendant reste très présent. Ceux qui ont obtenu la mention Grand Cru en 2003 se distinguent tous par une magnifique minéralité, tirée des schistes noirs, affleurant la moraine des glaciers du Rhône et de Derborence. Les neuf fendants dégustés (voir nos notes) ont montré une homogénéité remarquable. Alors que les amignes, elles aussi souvent nourries du terroir de schistes, se distinguent par leur teneur en sucre résiduel, variable d’un producteur à l’autre, et leur richesse alcoolique, qui frise l’inavouable pour un blanc (14° et plus).
Eclairage
Grand Cru coulé dans le moule
Si les Genevois, qui ne l’utilisent guère, et les Vaudois, qui en usent tous azimuts, attribuent la désignation de grand cru à des indications géographiques — tout le Dézaley et le Calamin y ont droit, de même que les clos et châteaux —, en Valais, la même notion a une autre signification. Elle révèle une volonté collective des vignerons de certaines communes de se surpasser, à la vigne comme en cave. Dans son ordonnance de mars 2004, le Conseil d’Etat valaisan a ancré les conditions à remplir. Il a ainsi renoncé à un «grand cru cantonal» qui aurait coiffé les grands crus communaux, engendrant une confusion… Ce sont donc bien les communes qui doivent décider d’adopter l’appellation Grand Cru. Dix cépages blancs et cinq rouges sont admis. La richesse en sucre du moût est supérieure à celle des appellations d’origine contrôlée (AOC) et les rendements inférieurs (0,8 kg au m2, sauf pour le chasselas, 1,1 kg et le johannisberg, 1 kg). La vigne doit être âgée de 8 ans au moins. Quand aux vins, ils doivent être obligatoirement vinifiés et mis en bouteille en Valais et ne peuvent pas être coupés par d’autres (de provenance ou de millésime). Les vignes sont suivies et contrôlées et les vins dégustés. Après Salquenen, Vétroz, Fully, Saint-Léonard et Conthey, d'autres communes devraient élever leur vin au niveau du grand cru. On parle de Sion, de Sierre, voire de Chamoson, si elle parvient à surmonter ses rivalités intestines.
Dégustation
Grand Cru de Vétroz Les stars 2003 (en blanc)
Fendant
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Balavaud, Bon Père
Nez ouvert, mûr ; attaque grasse et pleine ; un peu beurré ; carbonique présent ; vin équilibré et harmonieux, soutenu par une note «bitter» en finale, agréablement minérale.
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Serge Roh
Belle expression florale au nez ; attaque tendre ; un peu beurré ; beaucoup de fraîcheur en bouche ; finale droite, marquée par un bon minéral.
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André Fontannaz
Terroir marqué au nez ; attaque sur le minéral, les arômes de pain de seigle ; finale un peu amère ; beaucoup de volume et de personnalité, vin au caractère marqué.
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Raphaël Vergères
Nez de levures ; du volume en bouche ; bonne expression florale ; un peu doux-amer en finale.
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Beliard, Les fils Maye, Riddes
Nez floral ; vin bien ouvert, arômes développés, du volume ; finale sur le fruit mûr ; vin harmonieux.
Amigne
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Raphaël Vergères
Nez exotique, d’écorce de mandarine ; du gras, des arômes de pamplemousse rose ; vin très expressif, long en bouche ; ample et gras ; pointe d’alcool en finale.
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André Fontannaz
Beau nez ouvert et complexe ; attaque souple sur des arômes d’agrumes ; marqué par la minéralité en finale ; légérement tannique ; bel équilibre, malgré le sucre résiduel et l’alcool.
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Cave La Tine (Hervé Fontannaz)
Nez de bonbon à l’anis ; attaque sur la douceur, mais la mandarine revient en fin de bouche ; le sucre de ce vin «demi-sec» sert d’exhausteur d’arômes ; finale sur l’écorce de citron confite.
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Romain Papilloud
Nez de caramel frais ; beaucoup d’élégance à l’attaque ; vin fin et harmonieux, malgré l’alcool (14°).
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Serge Roh
Nez «grillé» ; attaque musclée ; arômes de fruit encore peu expressifs ; de la structure, de la richesse et de l’alcool ; vin puissant, en devenir.
Tous les vins de Vétroz qui ont obtenu la mention de Grand Cru, soit neuf fendants et huit amignes ont été dégustés, fin mai, à Vétroz.
Article paru dans Al Dente/L'Illustré en juin 2004