Vins suisses — La course aux médailles s’intensifie
La course aux médailles s’intensifie
Plus on parle des vins suisses, mieux ils se portent. Mais comment l’acheteur Horeca et le consommateur peuvent-il s'y retrouver dans l’inflation des concours, des médailles et des notes ? Décodage d’un jeu qui ressemble à la «course aux armements».
Pierre Thomas
Fin juin 2006, pour la troisième fois, VINEA, à Sierre, a organisé les dégustations finales de près de mille vins suisses, pour le Concours national. Rappel historique. En 2004, le premier concours avait débouché sur une liste d’«ambassadeurs» mentionnés dans le premier répertoire des encaveurs, le «Guide des vins suisses». Parallèlement, le magazine Vinum avait organisé une dégustation avec les meilleurs crus pointés, et nommé des vignerons «oscarisés», à Berne.
Le cafouillage de 2005
L’an passé, la deuxième édition avait donné lieu à un formidable cafouillage, célébré à la Weinmesse bernoise dans l’indifférence générale. En raison des incertitudes autour de Swiss Wine Communication, on ne sait comment seront exploités les résultats de ce troisième concours national. Un nouveau répertoire des caves, diffusé par Ringier, devrait paraître. Et les meilleurs vignerons de chaque catégorie se retrouveront à Gastronomia, à Lausanne, début novembre, pour recevoir leurs prix. D’ici quinze jours, ils seront fixés sur les notes obtenues lors du concours, mais avec un devoir de confidentialité…
Trop de catégories
Sur le papier, et sous les lambris de l’ancien palace que fut l’Hôtel-de-ville de Sierre, l’organisation est «tip-top». Avec cet art du compromis helvétique qui ménage la chèvre et le chou et dose savamment les intérêts en présence… Ainsi, si les notes attribuées au vin, sur 100 points, sont hautes, c’est parce que les 927 vins ont déjà été dégustés dans les cantons, par d’autres jurés. Pour tenir compte de toutes les spécificités des vins, les organisateurs ont créé de multiples catégories. Le chasselas (205 vins) précède le pinot noir (148), les vins blancs de cépage pur (122), les assemblages rouges (103) et les vins rouges de cépage pur (95), hormis le merlot (60) et le gamay (46). Mais que dire des 10 rosés, distincts des 13 rosés de pinot noir et des 4 blancs de noirs ? Des 5 mousseux ? Des 8 riesling X sylvaner ? Tous issus des qualifications régionales, mais tombés dans une catégorie non représentative, faute de combattants. Patron technique du Concours national, avec deux autres œnologues, le Lucernois Hans Bättig, reconnaît avec lucidité le problème.
Les pièges du chasselas et du pinot
Mais une grande participation dans une catégorie n’est pas non plus gage d’efficacité. Ainsi le chasselas. Dans le riche millésime 2005, ces vins fatiguent rapidement les papilles, ce d’autant que les vignerons, pour les rafraîchir, ont abusé du «perlant» quand ils n’ont pas laissé un léger sucre résiduel. La confrontation, pour les dégustateurs, s’avère redoutable, au point que les notes ont peine à décoller. On en vient à regretter la Coupe Chasselas, organisée douze fois par le magazine Vinum, avant d’être noyée dans la dégustation nationale. Certes, le système, ludique, condamnait des crus à l’élimination directe…
Et que dire des pinots noirs ? La plupart concourront à nouveau, dès le 10 août, à Sierre, au Mondial du Pinot, où les vins suisses dominent par le nombre. De deux choses l’une : ou bien le Concours national pourrait servir de présélection des meilleurs pinots du pays pour la confrontation internationale ou bien le concours national fait double emploi. Les organisateurs de VINEA envisagent de reprendre l’organisation à zéro, avec un concours distinct dès le départ.
Les régions font leur pub’
Car cette année, ajoutant à la confusion générale, les régions ont bien compris le profit qu’elles pouvaient tirer des éliminatoires nationales. Chacune a publié son palmarès. Surprise en Pays de Vaud, le chasselas le mieux noté, au pointage stratosphérique de 95,8 sur 100, est un Villette 2004. De quoi donner raison aux nombreux vignerons qui refusent de soumettre leurs vins de 2005 à la mi-mai, beaucoup trop tôt. Et s’ils attendent le concours suivant, ils n’ont plus de vin à vendre ! Les Valaisans, eux, se sont offerts de pleines pages de publicité payante dans les journaux suisses, pour livrer les résultats des «étoiles», des vins re-dégustés par un jury de journalistes spécialisés, sur la base des six vins les mieux notés dans huit catégories.
Une guéguerre Zurich-Bâle
Et puis, à côté des sélections régionales médiatisées et du concours national, Expovina, à Zurich, a décidé de faire passer son concours au rythme annuel : les dégustations ont lieu en juillet. Le but n’a rien à voir avec le renom des vins. Il s’agit, pour les Zurichois, de couper l’herbe sous les pieds des Bâlois, qui ont mis au point une compétition, La Sélection, à la fin septembre.
Certains vins suisses vont donc crouler sous les médailles, sans compter celles décrochées dans les concours internationaux, toujours plus nombreux. Pour quelle efficacité ? Dans les coulisses de Sierre, quelques vignerons, fins observateurs du marché, constataient : «Les bons producteurs n’ont rien à vendre et les meilleurs vins sont réservés d’année en année». La Suisse viticole, adepte du timbre poste, à l’échelle viticole planétaire, condamne le consommateur à la philatélie. Les meilleurs vins sont rares. Même quand les médailles sont distribuées à tous vents…
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue du 6 juillet 2006.