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Posted on 28 mars 2005 in Conso

Vins suisses — La Dôle face à sa réputation

Vins suisses — La Dôle face à sa réputation

Les Romands la snobent volontiers. Pourtant, la Dôle est, avec le Fendant, le seul vin suisse connu, tant en Suisse alémanique qu’à l’étranger. Mais pour quelle qualité ? Réponse avec le paradoxal millésime 2003.
Par Pierre Thomas
Le vainqueur de ce test est l’arbre qui cache la forêt. Sous son étiquette flamboyante, cette Dôle de Charles Favre S.A. porte l’étendard de Salquenen et de son pinot noir (à 80%). Elle est la plus forte en alcool (près de 14° !) et parmi les trois plus chères. Derrière elle, des assemblages pinot-gamay aux pourcentages variables. L’information ne figure pas sur les étiquettes ou les contre-étiquettes : il a fallu faire la tournée des caves pour l’obtenir.
Pourtant, la Dôle peut être autre chose qu’un assemblage dual. Sa définition légale dit qu’elle est «issue de pinot noir pur ou d’un assemblage de cépages rouges comprenant au moins 85% de pinot noir et de gamay, part dans laquelle le pinot noir domine.» En pratique, les «nouvelles dôles», complétées à 15% par du cornalin, de l’humagne, voire du merlot, de la syrah ou du cabernet, sont absentes des supermarchés. Pourquoi ? Parce que ces spécialités sont mieux valorisées en monocépages ou en assemblages élevés en barriques.
Coupage (encore) profitable
Le diolinoir, le gamaret ou l’ancelotta, trois cépages qui apportent plus de couleur que de goût, ne sont pas courants non plus. Pour la simple raison que le coupage des vins suisses avec des vins étrangers (surtout espagnols, donc bon marché !) est encore autorisé. Seuls quatre Dôles sur douze n’étaient pas coupées, les autres, entre 2% et 5%, selon les œnologues contactés. L’Union européenne a obtenu que ce droit, déjà limité à 5% pour les rouges AOC valaisans, tombe au 1er janvier 2006.
Sur le marché, il n’y a pas encore assez de vins valaisans de cépages améliorateurs. Sur les quatre dernières Dôles notées, deux ne sont pas coupées et une troisième contient du diolinoir et de l’ancelotta. De quoi redouter la fin du coupage : la Dôle de demain pourra-t-elle être de qualité suffisante compte tenu de son prix ? Avec sa «Gloire du Rhône» (2ème), Provins-Valais montre qu’il est possible de faire un bon produit, sans coupage, avec 5% de gamaret, vendue moins de 10 francs par Coop. Le directeur technique du plus gros encaveur valaisan, Gérald Carrupt, explique: «On sort des années 90, où il y avait des stocks de rouge, d’une année sur l’autre, qui finissaient en dôle. Depuis ces trois derniers millésimes, on vend la production de l’année en cours. Je suis certain que le vignoble valaisan peut faire mieux qu’un simple assemblage de pinot-gamay, avec du gamaret et du diolinoir.»
Le paradoxe de 2003
Paradoxalement, le millésime 2003, faible en quantité, n’a pas été favorable à la Dôle : les producteurs avaient trop peu de pinot noir et de gamay purs. Cumulés, les deux cépages représentent bien la moitié du vignoble valaisan (2639 ha sur 5193 ha) mais ont connu en 2003 les plus petites récolte depuis, respectivement, 1994 et 1981. 2004 retrouve les valeurs de 2000 et 2001.
Parmi les vins rouges suisses en bouteilles vendus dans les grandes surfaces (50% du marché), la Dôle reste le produit-phare, avec 30% de parts de marché, selon «L’Observateur du vin» (édition fin 2004). Elle représente donc un enjeu, tant économique qu’en terme d’image, des vins valaisans.Eclairage
Un pirate du Léman historiquement fondé
Notre vin pirate était une «dôle vaudoise», le rouge du Château d’Allaman. Occupant le juste milieu, tant par le prix que dans l’ordre de la dégustation (puis au tableau final), l’«intrus» n’a pas été démasqué par le jury. Normal ! N’est-ce sa provenance, ce vin rouge répond aux critères d’une «dôle valaisanne». Et ce qui paraît aujourd’hui un euphémisme ne va pas de soi, historiquement. En 1957, Provins-Valais l’apprit à ses dépens : la coopérative «monta» jusqu’au Tribunal fédéral pour interdire à un producteur de Lavaux d’utiliser le nom de «Dôle d’Epesses». La haute cour reconnut au vigneron vaudois l’antériorité de l’appellation (son étiquette date de 1890) et le droit de l’utiliser : son dépositaire, Jean-Luc Blondel, à Cully, en produit toujours.
Aucun sacrilège, si l’on se fonde sur feu Jacques Dubois. Selon l’auteur de «Les vignobles vaudois» (Editions Cadébita), le mot «dôle» aurait été amené de La Côte vaudoise en Valais par le remue-ménage de l’après-Sonderbund (1847). Tout comme le fendant qui, longtemps, fut le nom commun du chasselas planté à Lavaux et «exporté» en Valais à la même époque.
Texte paru dans le magazine «Tout Compte Fait», avril 2005, avec un tableau de 12 dôles achetées en supermarché.