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Posted on 9 janvier 2005 in Vins suisses

Valais— Les cépages valaisans sont-ils autochtones?

Valais— Les cépages valaisans sont-ils autochtones?

Vins suisses
Quand la science brouille les pistes

En ce début d'année, sans en prendre encore conscience, les vignerons valaisans et vaudois ont perdu quelques unes de leurs illusions. Explications.
Par Pierre Thomas
Les deux nouvelles viennent de tomber. D'abord, certains cépages réputés «autochtones» valaisans ont été importés de la Vallée d'Aoste. Voilà qui condamne la légende selon laquelle la vigne aurait été apportée en Valais par les Romains. Plus vraisemblablement (et plus tardivement aussi…), elle a franchi le Grand-Saint-Bernard après l'an mille. Ensuite, l'analyse du sous-sol, et la diversité des micro-climats générés par le Léman, le Jura et les Préalpes, ne permet pas de définir scientifiquement autre chose qu'une mosaïque complexe et très hétérogène des «terroirs» vaudois. Ce qui veut dire que le découpage du vignoble vaudois en vingt-six appellations d'origine repose sur des croyances, plus que sur la réalité..
Des études sérieuses
Ces deux «mauvaises nouvelles» ont été délivrées en l'espace de dix jours entre Changins et Lausanne. On s'est beaucoup attardé sur les méthodes scientifiques: un an de recherches de pointe, aux Etats-Unis, pour le jeune docteur en biologie d'origine valaisanne José Vouillamoz, et une vaste étude autour des terroirs vaudois. Pluridisciplinaire, elle a notamment fait appel à une spécialiste française de la connaissance des sols, Isabelle Letessier.
Cette équipe-là n'a pas terminé son travail. Mais déjà, ses premiers résulats bousculent les idées reçues. Peut-être feront-ils avancer le dossier du vignoble vaudois: moins favorisés que les Valaisans par le climat, les Vaudois ont de la peine à saisir, dans une monde en mutation, la voie pour concentrer ou diversifier leurs efforts et assurer la pérennité de leurs 3870 hectares de vignes, où le chasselas domine à 68%.
Pour les Valaisans, les «révélations» du jeune chercheur, devenu à l'université de Davis (Californie) le protégé de Carole Meredith, sommité américaine de la définition des cépages selon leur profil ADN, pourrait n'être qu'anecdote, qui ne remet pas en question les 25% des 5400 hectares en cépages originaux, sinon autochtones, d'ici 2010…
Une parenté valdôtaine
Si José Vouillamoz n'a pas pu déterminer l'origine précise des cépages réputés propres au Valais que sont l'amigne, la petite arvine, l'humagne blanche, la rèze et l'eyholzer rouge, il a appliqué la technique du «test de paternité» aux autres, comparés à une banque de données qui contient plus de mille profils génétiques de cépages du monde entier. Même pour l'amigne et l'arvine, il a mis en évidence une affinité génétique avec des cépages valdôtains. Et pour l'humagne blanche, mentionnée dans un texte anniviard en 1313 déjà, un lointain cousinage s'établit avec les cépages du Sud de la France que sont le colombaud, l'aubun et la roussanne.
Plus de doute, en revanche, sur l'origine du cornalin et de l'humagne rouge. Les deux sont nés en Vallée d'Aoste. Le cornalin, connu en Valais jusqu'en 1972 sous le nom de «rouge du pays», a pour parents le petit rouge et le mayolet, deux anciens cépages valdôtains. Ensuite, c'est lui qui a donné naissance à l'humagne rouge valaisan, nommé cornalin dans la Vallée d'Aoste. En clair, le cornalin du Valais a enfanté le cornalin de la Vallée d'Aoste. Et la durize, vieux cépage connu à Fully, serait, par croisement encore, sa petite fille…
La nouvelle a une portée économique d'autant limitée que le cornalin valaisan, probablement connu en Vallée d'Aoste sous le nom de petit rouge de Châtillon, a totalement disparu de sa région d'origine: la dernière vigne a gelé en 2001. Dépositaires depuis plusieurs siècles, les Valaisans sont donc les seuls à le cultiver.
Faire coincider sols et cépages
Si, dans le Pays de Vaud, l'étude des terroirs ouvre la porte à un débat passionné sur la définition des appellations — des aires génériques plus vastes qu'aujourd'hui, comme le demande depuis quelques années le commerce, et des «grands crus» circonscrits à des sols bien définis —, la démonstration d'une grande variété de terres rend d'autant plus intéressante l'adéquation sol-cépage. C'est le deuxième volet d'un dossier où pouvoirs publics et vignerons eux-mêmes auront versé plus de deux millions de francs.
Jusqu'ici, les vignerons ont diversifié leur encépagement selon leurs observations. Désormais, ils devraient pouvoir s'appuyer sur des conseils précis, découlant d'études allant jusqu'à la micro-vinification par la Station d'essais de Changins. A l'échelon du vignoble, le gamaret en rouge et le doral en blanc seront étudiés dans (presque) toutes les conditions pédologiques et climatiques. Les régions ont pu choisir d'autres cépages: merlot, pinot noir-servagnin, garanoir, diolinoir et ancelotta x gamay pour les rouges, pinot gris, gewurztraminer et viognier pour les blancs.
Verdict: pas avant 2010. Mais nombre de vignerons n'attendent pas cette échéance pour se plier aux règles d'un marché de niche où la diversification est d'ores et déjà indispensable.

Eclairage
Retour à l'expéditeur

Si les chanoines du Grand-Saint-Bernard ont joué un rôle clé en important de la Vallée d'Aoste des cépages, ils en ont réexpédiés certains, par le biais de l'Institut agricole qu'ils ont fondé à Aoste. Ainsi la petite arvine, plantée à raison de 10 hectares, depuis vingt-cinq ans. Jusqu'ici, en version sèche ou avec du sucre résiduel, elle ne rivalise pas avec les nectars valaisans, même si elle a obtenu l'AOC italienne. Mais deux jeunes Valaisans, Charly Bregy et Pierre-André Gillioz sont allés louer quelques hectares au-dessus de Saint-Pierre. Ils ont replanté 3 hectares de petites arvine, ce qui en fait le parchet d'un seul tenant le plus vaste du monde, à une altitude moyenne de 820 m…. Ils ont décidé de ne produire que du surmaturé, élevé en barriques. En 2001, les 9000 litres sont répartis entre la Suisse, l'Italie et la France. Ils ont nommé leur cuvée «Podium», en précisant, par un dessin sur l'étiquette, qu'ils ne sont encore qu'au pied de la première marche.

Article paru dans Hôtel + Tourismus Revue, Berne, en février 2004