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Posted on 12 septembre 2006 in Vins du Nouveau Monde

Afrique du Sud — Destins croisés au Cap

Afrique du Sud — Destins croisés au Cap

Ex-meilleur sommelier de Suisse et œnologue biennois
Vins: destins croisés au Cap
Faire ou refaire sa vie à l’autre bout du monde: ce rêve, Marc Friederich, 42 ans, meilleur sommelier de Suisse en 1991, et Jean-Claude Martin, 34 ans, ex-œnologue du domaine de La Grillette, à Cressier (NE), le réalisent. Rencontre à Paarl, dans la province du Cap.
De retour d’Afrique du Sud : Pierre Thomas
Sur la photo, ils ont l’air en vacances. A l’autre bout du monde, fût-ce sur le même fuseau horaire, on sort de l’hiver, tandis que nous allons y entrer. Depuis dix ans, l’Alsacien Marc Friederich, qui fut le sommelier du Beau-Rivage Palace de Lausanne, fait carrière en Afrique du Sud. Il y a cinq ans, il a ouvert, à Paarl un restaurant à l’inspiration méditerranéenne, dans l’unique grande rue bordée de quelques belles maisons de style hollandais à un seul étage. Décor aux couleurs chaudes, tables et plancher de bois brut, ou jardin à l’arrière de la maison, on est là en toute décontraction, chez Marc’s.
Pour le touriste, la province du Cap (de Bonne-Espérance !) promet autant que l’Australie la Californie. On y cultive la vigne sur plus de 100'000 hectares et des oliviers. Les fruits exotiques y poussent à profusion, dans un climat clément toute l’année… Avec ses deux garçons et sa femme, ancienne journaliste lausannoise reconvertie dans un projet de promotion du vin de l’ex-coopérative KWV, également à Paarl, l’ex-sommelier a réalisé un but, avoir les coudées franches et sa propre affaire.
Pari impossible en Suisse
Pour Jean-Claude Martin, le maître de chais de La Grillette à Cressier, la motivation est identique. Avec un associé resté en Suisse, il a acheté, en 2001, 35 hectares de terrain qu’il a plantés en vignes sur 22 hectares. Il a revendu ses parts du domaine neuchâtelois pour s’offrir cette exploitation, modeste à l’échelle sud-africaine, mais simplement impensable à réaliser «ex nihilo» en Suisse…
Le Biennois d’origine a misé sur une nouvelle région viticole, Walker Bay, à l’est de la province, sous l’influence du fameux vent marin «southeast». Les vins de son domaine s’appelleront «Creation» (les premiers vins, un sauvignon blanc et un «blend» rouge, du millésime 2006, sont disponibles chez Riegger et chez Landolt, à Zurich, depuis l'été 2007). Les vignes se situent dans la vallée nommée Heaven and Earth (ciel et terre), à quelques minutes de la station d’Hermanus, où les touristes vont voir s’ébattre, en hiver, les baleines… Sa première récolte, Jean-Claude Martin l’a faite ce printemps. Il ne tarit pas d’éloge sur le potentiel du vignoble sud-africain : «J’ai travaillé en 1995 à Glen Carlou (lire ci-dessous) et j’ai, d’emblée, été convaincu que nous pouvons faire ici des supervins. Avec les mêmes efforts qu’il faut pour avoir du bon raisin en Suisse, on devrait obtenir, ici, des résultats sensationnels.»
Une viticulture de l’extrême
Plutôt que de pencher pour la facilité, assurée par le climat, le Suisse veut repousser les limites de la viticulture. La cave sort de terre : quelques murs en briques. Et le chais abritera 350 barriques dès les prochaines vendanges, étalées entre mi-février 2007, pour le pinot noir et le chardonnay et avril, pour le cabernet-sauvignon et le petit-verdot, en passant par le merlot et la syrah récoltés à mi-mars. « Les vendanges sont cool. Ici, il n’y a aucune pression de la météo. On peut attendre jusqu’à la parfaite maturité du raisin sans risque de pluie.» Si la région, où une dizaine de domaines sont installés, sur 300 hectares, paraît favorable aux vins blancs, comme le sauvignon, le Suisse estime «qu’on peut faire des rouges très fruités». Tout à l’inverse donc du cliché des vins lourds, pâteux, confiturés qui collent au Nouveau-Monde.
Un nom qui compte
Avec ses deux enfants, un garçon et une fille, le Suisse va emménager, avec sa femme Carolyn, dans sa nouvelle maison à Hermanus, juste au-dessus du golf «garni» de résidences, une mixité très prisée des Européens en Afrique du Sud. Son mari, Carolyn l’a rencontré en Suisse, à La Grillette. Elle était, dix ans durant, conceptrice en publicité à Londres et elle a dessiné les étiquettes du domaine neuchâtelois, mais aussi de Glen Carlou. Et pour cause: elle porte un nom qui ouvre des portes en Afrique du Sud, Fynlayson, la famille qui a fondé Glen Carlou, où son frère David est l’œnologue. «Mais c’est Jean-Claude qui a voulu venir ici», précise-t-elle fermement.

Eclairage
Vin et art : le pari d’un Bernois
Ces deux Suisses, on les a rencontrés à la cave rénovée de Glen Carlou, inaugurée le 24 août 2006. Un bâtiment au toit de chaume vidé de son contenu et aménagée en bar à vins-espace de dégustation, à côté d’une galerie d’art. C’est le concept voulu par Donald M. Hess, l’âme du groupe bernois homonyme (lire son portrait), propriétaire de ce domaine de 70 hectares. Collectionneur d’art contemporain — un des plus importants au monde, avec mille œuvres de 170 artistes — qui vient de fêter ses 70 ans, Donald M. Hess a réinvesti dans des domaines viticoles les dizaines de millions de francs de la vente de la source Valser à Coca-Cola. A partir de Napa Valley (Californie), la «Hess Collection» essaime, l’art contemporain complétant la dégustation de vins de haut de gamme, dans un concept global «life style». Ainsi, entre Stellenbosch, la charmante capitale sud-africaine du vin, et Paarl, Glen Carlou, classé parmi les dix meilleurs domaines du pays, se double depuis un mois d’une galerie permanente qui expose les œuvres d’un Sud-Africain, Derick Healey (1937-2004). Cette semaine, c’est au tour des vins argentins de la Bodega Colomé d’être présentés à la presse new-yorkaise au prestigieux musée MOMA. Sur place, en Argentine, outre un petit hôtel de grand luxe, une galerie d’art va aussi s’ouvrir, dédiée à l’Américain James Turrell. (PTS)

Paru dans Hôtel+Tourismus Revue du 14 septembre 2006.