Peseux (NE) — Auberge du Grand Pin
Mon beau pin de Noël
Et vogue le navire! Avec un arbre emblématique comme mât de misaine, une salle à manger en forme de carène inversée, et qui va bientôt retrouver ses couleurs marines, un chef-capitaine breton et deux seconds tourangeaux, à l’accueil et en cuisine, l’Auberge du Grand Pin hisse le grand pavois. Brasserie, où l’on sert des huîtres de pleine mer tout l’hiver, salle à manger et caveau, la croisière devrait s’amuser…
Un parcours sous les étoiles
Ces murs ont déjà connu de belles émotions gustatives, avec l’autodidacte Cécile Tattini, puis avec Stéphane Mooser. Mais dans la morosité économique, l’auberge s’est encalminé… Avec la reprise économique (et horlogère), le brouillard s’est levé. Et, depuis mi-novembre, le trio a pris la barre d’une maison qui offre, sur son pont avant, une magnifique terrasse-jardin aux beaux jours.
Breton d’à côté de Quimper, le chef Eric Mazeas, à 34 ans, est fier de ses états de service : après sa formation de cuisinier en Bretagne, il a débarqué à Genève, chez Richard Cressac au Chat Botté, puis cap sur le Bateau Ivre de Jean-Pierre Jacob, à Courchevel. Il revient en Suisse, à Verbier, au Rosalp de Roland Pierroz, où il officie sept ans, avant de rejoindre les rivages lémaniques, chez Etienne Krebs, à l’Ermitage, à Clarens, qu’il seconde une année et demi. Eric Mazeas n’a fréquenté que des étoilés Michelin, multitoqués GaultMillau. Il est venu à Neuchâtel avec le pâtissier de l’Ermitage. Et a croisé ses associés, les frères Brunet, sur la terrasse-lounge du Baron Tavernier, à Chexbres (VD). Ni une, ni deux, le trio décide de ramer de ses propres bras et s’embarque dans l’aventure neuchâteloise. Dissert, l’aîné des Brunet, Sébastien, est au service et le cadet, Johann, 28 ans, en cuisine, où, avec le chef et le pâtissier, il constitue le seul équipage, sans casserolier. Voilure volontairement modeste, pour éviter tout naufrage prématuré…
Du maquereau au Carambar
On s’est donc installé dans la salle à manger au décor un peu empesé, avec ses lourds rideaux, ses ors, ses lampes de salon et ses miroirs. Tout cela va changer et prendre des tons marins, pour en faire «un endroit chouette et chaleureux, où les gens ont envie de revenir», foi de chef. Un «shot» de panais orange-gingembre a permis de larguer les amarres. On a zigzagué ensuite entre carte et menu (deux formules à 58 et 78 fr.), pêchant ici, un tartare de maquereau à la mangue, bien assaisonné et souligné de coriandre fraîche (18 fr.), là, de belles Saint-Jacques au jus de betterave rouge. Ce dernier plat était tiré du menu, comme un pot-au-feu de foie gras, qui embaumait le céleri. Belles odeurs, et bon goût, d’un solide carré d’agneau en astucieuse croûte de noix de cajou concassées, servi avec un risotto aux champignons (36 fr.). Au menu encore, des dés de gigue de chevreuil, garniture de chasse, champignons et polenta (38 fr. à la carte) : chair moelleuse du gibier, même si sa découpe paraît curieuse…
A défaut de vins de la Loire à la carte — ils sont si méconnus et si mal distribués en Suisse ! —, un fromage de là-bas, le Saint-Maure, escorté d’un Gruyère et de deux produits locaux typiques, une tomme et le Bleuchâtel. Bons desserts, comme la crème brûlée au quatre-épices et spéculos maison (13 fr.) et la tajine de pomme au Carambar, sorbet yaourt (12 fr.), qui flatte quelques réminiscences, quand on dérobait, sur le chemin de l’école, la friandise à un sou — il y a prescription!
A l’ouverture, la carte des vins se la jouait local à fond; elle devrait s’ouvrir à d’autres horizons. La brasserie reprend quelques plats (et desserts) de la salle à manger, dont une matelote de bondelle du lac de Neuchâtel. Le poisson (palée, truite du lac) vient en droite ligne d’un pêcheur de Cortaillod, Pierre-André Berger. Et plat de midi à 19 fr. (avec entrée, viande ou poisson, et dessert). Bon vent au Grand Pin !
La bonne adresse
Le Grand Pin
Place de la Fontaine 2
Peseux (NE)
Tél. 032 731 77 07
Pas de jour de fermeture
Le vin tiré de sa cave…
Le pinot de la relève
Au Domaine E. de Montmollin Fils, à Auvernier, la relève se prépare, derrière les frères Pierre et Jean-Michel. Cousine, cousin, Valérie Biétry, 30 ans, a déjà pris en main la vente et le marketing, tandis que Benoît, 21 ans, se forme à l’œnologie à Changins. Depuis cinq ans, un Bourguignon, Michael Loubry, 33 ans, signe les vinifications, avec un succès certain : les médailles décrochées dans les concours en témoignent. Fer de lance, le pinot noir représente 45% de l’encavage (110'000 litres), à parts égales entre rouge et œil-de-perdrix, troisième meilleur rosé du Concours national 2006. Au Grand Pin, servi en bouteille et en pot (bien vu!) de forme traditionnelle, le pinot noir en barriques 2003. Robe sombre, dénotant une grande extraction ; au nez, le vin pinote comme un bourgogne En bouche, parfum de rose fanée, typique des pinots bien mûrs, arômes de fruits rouges ; ossature costaude, avec des tanins pas encore fondus sur des notes boisées (dix-huit mois d’élevage). Au Mondial du Pinot noir à Sierre, ce vin a décroché une médaille d’argent, dans un concours chiche avec les Neuch’ (seuls deux domaines de Cressier, La Grillette et La Rochette, ont obtenu l’or jusqu’ici). Pour 2005, Michael Loubry annonce un vin plus coloré, plus concentré et plus équilibré. Voilà qui promet!
Chronique parue dans Le Matin-Dimanche du 24 décembre 2006.