La mue du plus grand vignoble du monde
Ces vins espagnols qui font rêver
L’Espagne cultive sur 1,2 million d’hectares, le plus grand vignoble du monde — 15% de la surface recensée. Ses vins ont grandement évolué. Démonstration «in vivo» à Madrid, par l’Institut du commerce extérieur (ICEX), qui fêtait ses vingt-cinq ans.
De Madrid : Pierre Thomas
Quelle image l’Espagne veut-elle donner de ses vins? Souvent, dans le discours, référence est faite à la France. Ainsi, dans la provenance des fûts, le chêne américain, longtemps apanage de la plus connue des régions espagnoles, la Rioja, serait supplanté par le chêne français, synonyme, dans le Nouveau Monde aussi, de haut de gamme… Des producteurs, comme le pionnier Alejandro Fernandez, en Ribera del Duero, un des premiers à dénoncer le carcan des législations imposant une durée minimale de vieillissement en fûts, demeure, pourtant, fidèle au «bois américain». Il est vrai qu’il a 74 ans… Son Pesquera «Millenium» 2002 figurait dans la dégustation de prestige des 25 ans de l’ICEX : un grand vin de caractère, épicé, toasté, puissant, mais équilibré, avec une note rustique.
Une question de prix
Prix de cette réserve exceptionnelle, dont il n’existe que deux millésimes, 1996 et 2002 : 80 euros (près de 130 francs) ! A ce prix-là, le vin ne peut être qu’excellent… Il rejoint, dans les flacons d’anthologie, le Vina El Pison 2004, d’Artadi, (155 euros) ou le Cirsion 2001 des Bodegas Roda (150 euros), des producteurs rénovateurs de la Rioja.
Que l’Espagne offre des bouteilles vedettes à prix stratosphérique n’est pas nouveau : le Vega Sicilia, en Ribera del Duero, fut longtemps le vin-culte d’Espagne, relayé, dès 1995, par le Pingus du Danois Peter Sisseck. Il est piquant de constater que ces deux icônes du vin espagnol ne figuraient pas dans la dégustation de prestige, remplacés par leur «second vin», le Valbuena Reserva 2002 de Vega Sicilia (60 euros) et le Flor de Pingus 2004 (75 euros). Comme en Italie, et davantage qu’en France où la hiérarchie est établie depuis longtemps, les grands vins chers se multiplient, alors que les grandes surfaces vendent, en Suisse, des vins espagnols d’entrée de gamme (lire l’encadré).
Des vins fantômes
Ce paradoxe paraît insoutenable au consultant et acheteurs en vins de Bordeaux pour Moevenpick, René Gabriel : «Les vins les plus chers sont des vins fantômes, élevés comme des bonzaïs. Certains sont d’infimes quantités sélectionnées par d’immenses caves. Des vins que personne ne boit, sauf la famille du propriétaire, quelques uns de ses meilleurs clients et des journalistes spécialisés.» Qui eux, les recrachent… puisque l’exercice consiste à déguster un maximum de vins en quelques jours. Maria-Antonia Fernandez-Daza, une consultante espagnole qui travaille aussi pour l’ICEX, constate: «La plupart des vins de prix extrêmes ne présentent pas un écart de qualité proportionnel à leur valeur marchande. Certains nouveaux producteurs fixent leurs prix selon ce qu’ils croient que leur vin vaut. D’autres proposent des vins d’un excellent rapport qualité-prix. Même les Espagnols, au restaurant par exemple, n’y comprennent plus rien et ne s’y retrouvent plus.»
La «movida» des vins originaux
On retiendra de la démonstration que l’Espagne a accompli un formidable effort de qualité sur ses vins. Et que le risque de voir les Ibères planter à tour de bras des cépages internationaux comme le chardonnay et le cabernet sauvignon, en dépit de la mode de la syrah, s’estompe au profit de ses cépages autochtones, comme le tempranillo, le bobal ou le graciano, en rouge, l’albarino, le godello, le verdejo ou le xarello, en blanc. Cette «movida» passionnante s’étend aux soixante-trois dénomination d’origine (DO), de la Costa Brava à Huelva, de l’Extramadure à la Galice, en passant par le trio de la Rioja, de la Ribera del Duero et du Priorat. Sans oublier le cœur de la Mancha, plus vaste vignoble d’un seul tenant au monde…
Eclairage
Progression vers la qualité en Suisse
L’Espagne ne cesse de consolider sa place de troisième fournisseur de vins en Suisse, mais le prix moyen des vins (3,80 francs le litre) reste en dessous des français et des italiens. De 2000 à 2005, la France a perdu d’importantes parts du marché dans toutes les catégories, sauf le vin blanc livré en vrac (et embouteillé ici), laissant à l’Italie la première place, notamment pour les rouges en bouteilles (35% de parts de marché). En 2006, l’Espagne figure devant la France pour le vin rouge en bouteilles (15,5 millions de litres contre 13,3). En un an, elle a progressé d’un million de litres, pour une valeur supplémentaire de 9 millions de francs. En revanche, elle a perdu 3 millions de litres de vrac, pour 3 millions de francs. L’Espagne progresse en blanc aussi, avec des parts de marché autour de 13%. Vue d’Espagne, la Suisse figure au neuvième rang des pays importateurs de vins. Même si, avec 175 millions de litres par an de toutes provenances, notre pays ne pointe plus parmi les dix premiers importateurs du monde. Selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), elle a été dépassée par l’Italie et le Danemark, loin derrière le trio de tête : Allemagne, Angleterre et Etats-Unis. (PTs)
www.winesfromspain.com
Article paru dans Hôtel Revue, Berne, le 8 février 2007.