Vaud — Christian Dugon, le plus original des vignerons vaudois
Le plus original des vignerons vaudois
Il n’est ni de Lavaux, ni de La Côte, ni du Chablais, mais des Côtes-de-l’Orbe, le plus original des vignerons vaudois. Christian Dugon vient d’encaver sa vingtième-cinquième vendange. Portrait au pied du Jura.
On dit des meilleurs vins qu’ils naissent là où les raisins endurent des conditions climatiques limite, comme le pinot noir en Bourgogne ou la syrah dans les Côtes-du-Rhône septentrionales. A Bofflens, entre Orbe et Romainmôtier, Christian Dugon, 46 ans, joue en permanence sur le fil du rasoir. Pourtant, dans les Côtes-de-l’Orbe, la pluviosité (800 mm/an) est inférieure à La Côte ou à Lavaux. Il y a du brouillard, mais seulement dans l’arrière-automne et en hiver, «quand la vigne se repose». Toute l’année, un vent, le joran, balaie les pieds du Jura : printemps froids, étés sans nuage ni orage.
Un domaine quadruplé
Voilà qui explique pourquoi ce fils de postier-agriculteur de Bofflens a pu passer de deux petits hectares de vigne en 1982 à près de 8 ha, vingt-cinq plus tard. Ce domaine, réparti entre Corcelles-près-Chavornay, Mathod, Arnex, Agiez, sur des coteaux orientés au sud-est, a été entièrement replanté, à 80% en rouge. Lors de sa formation, Christian Dugon a travaillé avec Jean-Louis Simon, à l’origine de plusieurs croisements de cépages, à la station d’essais de Pully-Caudoz. A côté de 2 hectares de pinot noir, auquel convient bien le climat sec de ce revers de la Bourgogne, il a planté du doral, le cépage blanc testé actuellement sur tout le territoire vaudois, et du gamaret et du garanoir. Et puis, il a repêché, avec l’aide de l’œnologue cantonal vaudois Denis Jotterand, le C 41, petit frère abandonné des gamaret et garanoir, bien adapté au climat local, et complété par du cabernet Dorsa, du dunkelfelder et deux cépages développés par le génial obtenteur jurassien Valentin Blattner, le 2604 et le 2618.
Un quart de siècle de cave
En cave, Christian Dugon, en vingt-cinq ans, s’est perfectionné dans tous les styles. Il cherche la pureté et son «Caprice» fait la nique aux plus prestigieux, comme en témoigne le deuxième prix remporté l’été passé à Vinea, à Sierre, dans une confrontation des meilleurs chasselas de la Baronnie du Dézaley et d’Arte Vitis, groupement d’excellence dont il est membre. Ses pinots noirs, dont un de l’ancienne variété locale «petit savagnin», affichent une belle élégance. Et, le doral, depuis 2005 vinifié en sec, aux arômes presqu’aussi expressifs qu’un viognier.
Un as de l’assemblage
Rapidement, Christian Dugon s’est aperçu que la barrique était utile non pas pour aromatiser le vin, mais pour le faire respirer au contact des lies. Son chardonnay «à la bourguignonne» a été salué par les grands sommeliers, tel le Parisien Olivier Poussier. Mais surtout, au fil du temps, le Vaudois se révèle un maître en assemblages rouges. «On fait des vins plus complexes, plus stables dans le temps. On peut tirer parti du fruit, du gras, des tanins, au gré des cépages.»
Des assemblages qui remontent très loin : en 2006, il les a fait avant fermentation malolactique, qui s’est déroulée en barriques sur le vin déjà assemblé. Sauf pour le «Grande Ouche», un assemblage en cuve, à base de gamay, de garanoir, de pinot noir et de gamay. L’«Arpège», un des meilleurs rouges vaudois, marie les triplés que sont le gamaret, le garanoir et le C 41, mais aussi le gamay d’Arcenant, le pinot savagnin et une goutte de cabernet sauvignon. Pour le millésime 2006 s’ajoute «Chorus», harmonie de cabernet Dorsa — une variété qui mûrit en même temps que le pinot noir — de dunkelfelder et de C 41. Ce clone demeure son chouchou : Dugon en tire son «Opus 41» monocépage, réussite en 2005, avec ses arômes exotiques de bois de santal et de graphite.
Rares et pas chers
Bien sûr, ces vins sont rares : entre 2500 bouteilles pour le chardonnay et 7000 pour l’Arpège. Et d’un formidable rapport qualité-prix : entre 15 et 17 francs pour les meilleures cuvées. Il suffit de deux portes ouvertes, au printemps et en hiver, pour vider la cave, qui vient d’être dotée d’un magnifique local de stockage sous des poutres en lamellé-collé. Patiemment construit, ce domaine éparpillé est devenu le fer de lance du vignoble vaudois. Qui l’eût cru ? Pas même Christian Dugon : à sa sortie du cours viti-oeno de Changins, il n’aurait jamais osé imaginer qu’il serait un jour à la tête de huit hectares de vignes…
Eclairage
Les Côtes-de-l'Orbe,
une appellation émergente
Avec 168 hectares, les Côtes-de-l’Orbe représentent 4,37% de la surface viticole vaudoise. Seul le Vully (50 ha) est plus petit, tandis que La Côte représente plus de la moitié du vignoble vaudois (52,4%, 2019 ha). Christian Dugon est une locomotive des Côtes-de-l’Orbe et plusieurs jeunes viticulteurs ont décidé, ces dernières années, de lui emboîter le pas, de la vigne à la bouteille. Car près des deux tiers des raisins s’en vont encore dans les négoces vaudois, pour des bouteilles qui ne mentionneront pas leur provenance… Fait unique: le plus gros opérateur, la Cave coopérative d’Orbe et environs n’a pas de local de vinification et livre ses raisins à plusieurs élaborateurs hors région.
*Dans son édition de mars 2007, «Le Guillon», la revue des vins vaudois, présente un dossier sur les Côtes-de-l’Orbe. Infos : revueleguillon@ovv.ch
Article paru dans
Hotel+Tourismus Revue du 8 mars 2007.