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Posted on 4 août 2007 in Vins suisses

Vaud — Côtes-de-l’Orbe, voyage au milieu du monde

Vaud — Côtes-de-l’Orbe, voyage au milieu du monde

Ce n’est pas du Jules Verne («Voyage au Centre de la Terre»), mais une plongée dans le Pays de Vaud viticole profond. Ni au sud du Nord vaudois, ni au midi des Trois-Lacs, juste au Milieu-du-Monde. Dans ce vignoble des Côtes-de-l’Orbe, dont la surface a augmenté de 40% en trente ans. Mais il revenait de loin…
(en fin de fichier, les chiffres de l’AOC et une dégustation des meilleurs assemblages rouges)
Par Pierre Thomas
On ne donnait pas cher de la vigne et du raisin au début du 20ème siècle. A Orbe, ça n’est pas l’agriculture qui manquait de bras, mais l’industrie. Et le phylloxéra rongeait les ceps par la racine. On crut que les «plants directs», hybrides au raisin au goût incertain, «foxé» disait-on, allaient sauver le vignoble. Comme l’écrit un historien amateur, Jean-Luc Porchet, longtemps, les Côtes-de-l’Orbe ont souffert de produire du «désherbant pour voie de chemin de fer», un blanc de fil de fer.
Quand le vignoble vaudois passa de 6’700 hectares — un peu moins du double d’aujourd’hui ! — à 4’600 ha, en 1911, le vignoble urbigène délaissa davantage que sa quote-part. En 1977, il ne comptait plus que 120 hectares, soit deux fois et demi moins qu’au 19ème siècle. Puis, il a regagné 50 ha, soit près de 40%, ces vingt dernières années.
Un vignoble d’avenir
Avec un climat plus sec qu’autour des lacs Léman et de Neuchâtel, un vent déboulant du Jura, le joran frais au contraire du foehn chaud du Chablais, donc des nuits froides même quand les jours sont chauds, les Côtes-de-l’Orbe préfigurent le vignoble vaudois de l’avenir, sauvé à la fois grâce au – et du – réchauffement climatique. Mieux, sa proportion de plus des deux tiers de vin rouge pour un tiers de blanc colle à la consommation suisse, toutes origines confondues.
Optimisme débridé ? Pas du tout ! Dans cette région où, de tout temps, on a d’abord été paysan, avec un revenu accessoire tiré de la vigne, des jeunes se forment à Marcelin et Changins avec l’intention de reprendre le domaine viticole paternel à plein temps. Juste retour de balancier de l’histoire ! Le tourisme vert aidant, la consommation de produits de proximité a le vent en poupe. Même la Cave d’Orbe et environs écoule toujours plus de bouteilles en direct — 100’000 flacons par an.
Ni cave, ni à Orbe
Une curiosité cette coopérative, fondée en 1948 : ni cave ni située à Orbe. Et pourtant, elle n’est pas un fantôme hantant le brouillard hivernal (et seulement hivernal) des talus du pied du Jura. Elle eut plus de 200 sociétaires, il y a un demi-siècle, qui livraient en deux vagues des raisins de cuve et de table, un marché perdu. Aujourd’hui, ses 50 sociétaires cultivent 50 hectares, un peu moins du tiers de la surface de la plus petite région viticole vaudoise (4,37% du vignoble cantonal), si l’on excepte le Vully (1,29%). Et juste derrière Bonvillars (5,11%), avec laquelle la coopérative urbigène a cessé toute coopération dans les années 1980.
Son lieu de vie, c’est la place du village d’Arnex, où elle a aménagé un discret caveau. Aux vendanges, les camions viennent prendre en charge la «matière première» : 200 tonnes de raisin partent, à Lavaux, chez Testuz, 100 tonnes à La Côte, chez Schenk, mais aussi aux coopératives de Corseaux (depuis un demi-siècle), de Lutry, UVAVINS, et chez des encaveurs comme Fonjallaz SA à Epesses; au total, une quinzaine d’acheteurs. Seule coopérative vaudoise sans installation de vinification, en contre-partie, elle n’exige pas de ses sociétaires qu’ils livrent toute leur vendange : ils peuvent avoir leur propre cave. Le jeune président, Yvan Monnier, 34 ans, est aussi le principal fournisseur, avec 9 ha cultivés à Orbe, sur le principal coteau qui se prolonge vers Arnex.
Relever le niveau
En engageant il y a un an Patrick Keller, 47 ans, administrateur, mais aussi maître-caviste diplômé, la coopérative entend «développer la vente de bouteilles en visant une plus haute qualité». Et ne plus reprendre des flacons, mais «suivre les vinifications des vins qui nous reviennent». En 2006, quatre élaborateurs ont pris en charge les vins vendus ensuite par la Cave d’Orbe : Testuz pour le chasselas «13 coteaux», mais Schenk a aussi produit une part de ce même vin, en plus du gamay ; PVE à Perroy, pour l’assemblage Balinoir et l’Association viticole de Lutry, pour le gamaret barriques, un vin lancé en 2005. A l’avenir, la coopérative veut diversifier les cépages (50% de gamay, 30% de chasselas jusqu’ici) et mettre en place un concept de récolte volontairement limitée et de vieilles vignes. Ainsi, l’assemblage Balinoir devrait être partiellement élevé en fûts de chêne, dès le millésime 2006. Patrick Keller vient de passer commande de quatre barriques en chêne de Baulmes, pour la fibre régionale.
Christian Dugon, l’ouvreur et le guide
S’il y a un modèle de vigneron-encaveur dans la région, c’est bien Christian Dugon. Certains lui reprochent de s’être retiré sur son Olympe de Bofflens, un village sans le moindre pied de vigne, mais tous reconnaissent son rôle de pionnier. Car ce vigneron dans la force de l’âge (45 ans) vient de signer son vingt-cinquième millésime. A Bofflens, il dispose d’une cave moderne, équipée de deux cuves à autopigeage, d’un nouveau chais à barriques-salle de dégustation et d’une halle de stockage aux audacieuses poutres en lamellé-collé.
Fils du postier, qui travaillait déjà quelques vignes, il a accru petit-à-petit son vignoble, de 7 ha, réparti entre Corcelles-près-Chavornay, Arnex, Mathod, Agiez et Bonvillars. C’est un as de la diversification, avec six cépages en blanc (20% de la production) et une douzaine en rouge. Pour faire court, on dira qu’il réussit tout ce qu’il entreprend, autant ses chasselas que son doral, vinifié en étonnant passerillé, parfois, puis en sec ces deux dernières années, son puissant chardonnay en barriques, ou ses rouges, en cuve, en barriques ou en assemblage.
Une collection de rouges
Son pinot noir, pour une part de la variété locale, le «petit salvagnin», qui fit jadis la réputation d’Orbe, est aussi remarquable que ses cépages «de Changins» : outre le doral, le gamaret, le garanoir et leur frère jumeau, le C 41, qu’il a conservé sur le conseil de son ami, l’œnologue cantonal Denis Jotterand. Le meilleur est sans doute à venir, avec de nouveaux cépages rouges, comme le cabernet-Dorsa, le dunkelfelder et plusieurs variétés résistantes mises au point par le génial obtenteur jurassien Valentin Blattner. Christian Dugon est au bénéfice d’une solide formation : après Marcelin, ses cépages «maison», il les a suivis auprès de Jean-Louis Simon, à la Station fédérale d’essais de Pully ; la vinification, il l’a apprise chez Bernard Bovy, à Chexbres, avant de suivre «viti-œno» à Changins, dans la même volée que l’icône valaisanne Marie-Thérèse Chappaz.
Ses pairs vaudois lui reconnaissent son talent : ils l’ont intégré au cercle d’excellence «Arte Vitis», qui regroupe douze des meilleurs vignerons du pays. Comment voit-il ce quart de siècle écoulé ? «Il y avait tout à faire! C’était plus facile de s’établir ici qu’à Lavaux, où le prix des vignes, il y a trente ans, était exorbitant. Et je suis attaché à ma région : j’avais deux oncles viticulteurs à Arnex et à Valeyres-sous-Rances.» Et l’avenir des Côtes-de-l’Orbe ? Il le juge prometteur, grâce à trois axes : «Le bon rapport-qualité de nos vins, la prédominance des rouges et le potentiel du gamaret et du garanoir.»
Où il est question du Milieu-du-Monde
Ce discours, raisonné et raisonnable, François de Coulon, 38 ans, le tient aussi. Fils de Georges, châtelain d’Eclépens, cet universitaire en sciences économiques se partage désormais à mi-temps entre la Promotion économique vaudoise et ses vignes. «Je suis presque né dans une cuve et je fais les vendanges depuis toujours», explique cet enthousiaste, devant la carte des terroirs éclatés. Eclépens et ses 5,4 ha de vignes, en pente douce sur la face sud du Mormont, traversés par la «Vy Etraz», la voie romaine, a été classé d’autorité, en 1949, parmi les Côtes-de-l’Orbe. Alors que les vignes abritées de la bise tournent le dos à l’Orbe et penchent vers la Venoge… Le partage des eaux se fait non loin du Château de La Sarraz, là où, en 1550, on dériva le Nozon pour faire tourner le Moulin Bornu. Au pied des silos à grains se le bassin en demi-cercle d’où les eaux s’écoulent, pour moitié dans le Rhin, pour moitié dans le Rhône… Voilà non pas l’origine du monde, chère à Gustave Courbet, mais celle du Milieu-du-Monde.
Un château bientôt autonome
L’héritier de la famille neuchâteloise, dont le grand-oncle Gustave replanta le vignoble d’Eclépens en gamay après le grand gel de 1956, et fut ainsi un des premiers en Pays de Vaud à «faire du rouge», ambitionne de vinifier davantage dans la ferme de 1698. La rénovation de la cave, d’où disparaîtront les cuves en ciment revêtues, va démarrer. Un vigneron, Ewald Mols, travaille les vignes du Château, mais aussi des communes d’Eclépens et de La Sarraz, et du «Clos de Mauremont» planté hardiment de pinot noir à même la roche par le Dr Emile Bonard, et vinifié par le Genevois Berthaudin.
L’essentiel du gamay du Château d’Eclépens est pris en charge par l’œnologue Alain Gruaz, responsable technique de Schenk à Rolle. Mais, depuis cinq, sur place, on élabore de A à Z des spécialités, pinot noir, gamaret et gamay élevé en fût de chêne. «On a une terre à gamay et à gamaret», martèle François de Coulon, «pour faire des vins dont le prix correspond à ce qu’on boit !» Et le domaine, qui a bien développé la vente dans un carnotzet aménagé dans une dépendance, fait partie de l’association Clos, Domaines et Châteaux (CDC), dont les exigences sont supérieures aux AOC.
Valeyres et ses manoirs
L’autre pilier de CDC se trouve, côté nord — ou versant rhénan, si l’on peut dire — à Valeyres-sous-Rances. Le Domaine du Manoir appartient au patrimoine des familles morgiennes Oulevay et Geissmann, réunies dans Cofigo SA. Michel Hostettler, 54 ans, président de l’appellation Côtes-de-l’Orbe, veille depuis bientôt trente ans sur les 16 ha cultivés, dont 12 à Rances, à quoi s’ajoutent 8 ha à Champagne, dans l’appellation Bonvillars. Complété par 50 ha de terres agricoles, le domaine a été reconstitué il y a cinquante ans. Les raisins sont récoltés et mis en cuve sur place. Mais le jeune vin s’en va, après la fermentation malolactique, en citerne chez Schenk et est commercialisé par Obrist à Vevey.
A la tête de l’appellation des Côtes-de-l’Orbe depuis vingt ans, Michel Hostettler juge le travail accompli : «On a gagné en notoriété. Naguère, on surprenait avec nos vins, maintenant on commence à nous respecter. On a tous pris conscience qu’il n’y a plus de place pour de mauvais produits. On essaie d’élaborer des vins tendres qui plaisent, d’une belle couleur, avec des tanins présents, même si on peut leur reprocher un manque de longueur.» L’essentiel du domaine produit du rouge. On retrouve, comme ailleurs, gamay, gamaret, garanoir, pinot noir et merlot planté depuis dix ans sur les murs, mais aussi en pleine terre à Rances.
Le pittoresque village de Valeyres, et ses deux rues qui montent, l’une sur le plateau de Baulmes, l’autre sur Rances, a deux châteaux, le Manoir, profondément remanié, mais qui conserve des parties du 16ème siècle, et celui de Valeyres. Ce dernier a joué un rôle historique autant dans le cours du temps que dans la vitiviniculture des Côtes-de-l’Orbe. A la dynastie bernoise des savants de Bonstetten, Charles-Victor philosophe, puis Charles-David, archéologue d’Orbe-Boscéaz, a succédé, dès 1945, celle des Morel. L’avocat lausannois, d’abord, Alphonse, venu ici à 41 ans, et qui a mis sur orbite la section locale de la Fédération des vignerons. Passionné de travaux viticoles, il laissait les vinifications à son ami Gustave Fonjallaz, d’Epesses. Son fils, Marc-Antoine, reprit le domaine en 1973, et relança le mouvement des vignerons, tombé en profonde déprime vingt ans durant… Il y a un quart de siècle, il était encore «le seul à faire de la bouteille». En 2003, c’est Benjamin, 31 ans, qui a repris le flambeau, après avoir suivi Changins.
Croire au gamay
Le domaine de 11 ha a été démantelé et les vignes vendues. Mais la «Cave du Château» travaille en partenariat avec quatre viticulteurs du village et met en valeur le produit de 2 ha loués et de la vendange achetée de 4 ha. «Il y a trois ans, on vendait 15’000 bouteilles ; en 2005, 35’000 !» On a conservé, ici, du riesling X sylvaner, planté en 1945 par Alphonse Morel, à quoi s’ajoutent du doral, du pinot blanc et du chardonnay, cueilli à très haute maturité.
Avec Frédéric Hostettler, fils de Michel, vigneron de 27 ans, Benjamin Morel travaille sur une ligne au «packaging» sophistiqué, la gamme «Confidentiel». Le duo est partisan de muscler le gamay en barrique : «On doit redonner une image au gamay. Ca va prendre dix ans, mais il faut se lancer.» Les Morel se sont aussi attelés à la rénovation de leur belle demeure et ont mis au jour d’intéressantes peintures murales de 1639, mais pas visibles du public. Ambitieux, Benjamin affirme : «Il y a le vin : le produit certes, mais aussi toute l’image qui va avec.»
Autre Morel, autre château
A Arnex-sur-Orbe, un autre jeune Morel, plein de promesses, loge sa nouvelle cave dans un autre château, cossue demeure bernoise de 1604. En attendant son fils, qui doit revenir ce soir-là de Vevey, où il vinifie des rouges et des spécialités d’Obrist et gère un parc de deux cents barriques, Raymond Morel, 55 ans, admet qu’il «n’aurait jamais osé se lancer dans la vinification». Le produit de ses 4,3 ha, plantés il y a trente ans, il les vendait en «raisins ronds» à la coopérative. Et il a tout fait pour décourager de la terre son fils, Landry… A 25 ans, celui-ci, qui a fait son gymnase à Lausanne, puis Changins, dont il est sorti avec le diplôme d’ingénieur-œnologue, est revenu sur le domaine. Il vinifie un tiers de la vendange depuis 2005. Et avoue un attrait pour des vins rouges structurés. Il a planté du diolinoir : «C’est la limite, pour le climat. Mais on vendange dans les Côtes-de-l’Orbe en même temps qu’au Chablais. Je pourrais aller vers le merlot : sa vinification est plus difficile.»
La Cave des Murailles n’en est qu’à son deuxième exercice. Elle a déjà vendu 15’000 bouteilles «grâce au bouche à oreille». Pour valoriser les 4,3 ha, il faudra encore du temps : «Heureusement, notre région, même si elle est en retard en matière de reconnaissance, a pu rester en marge des problèmes de mévente», constate Landry Morel.
Du goût et des couleurs
Autre jeune qui a monté sa cave à Arnex, Bernard Gauthey, 33 ans. Il est encore agriculteur, mais, en dix ans, est devenu vigneron «à 70%». Si le rouge est son cheval de bataille, il ne délaisse pas le blanc, que la clientèle réclame: «Le chasselas est un joli vin qui se vend bien». Il y ajoute un passerillé à base de chasselas et de chardonnay et élève certains de ses rouges en barriques, comme un assemblage de gamaret et de garanoir. Et vinifie des petits volumes pour des vignerons qui font quelques bouteilles… Car, parmi la vingtaine de viticulteurs-paysans d’Arnex, tous ne peuvent pas transformer toute leur vendange, comme Maryline Lavenex. La seule vigneronne-encaveuse des Côtes-de-l’Orbe met en bouteilles le fruit d’un hectare et demi de vignes. Elle espère que sa fille, Amélie, 23 ans, la suivra… Elle travaille aussi les 600m2 de vignes de la Commune d’Orbe, qui donneront d’ici 2009 leurs premières bouteilles de chasselas et de pinot-gamay.
Cette ex-assistante sociale dans un centre pour alcooliques dut s’improviser vinificatrice au décès de son mari en 1999. «La vinification a changé, parce que je fais d’après mon goût : j’aime bien mon pinot noir, très parfumé, issu de neuf clones, le blanc bien sec et mes deux rosés, le gamay et l’œil-de-perdrix. Et je n’apprécie pas la barrique: ce goût de bois n’amène rien au vin.»
Un gamay plutôt fûté
Tout autre discours chez les Poget, à Agiez, André, 60 ans, laisse gentiment les rênes de la cave à Pierre-Yves, 25 ans, formé à Châteauneuf, en Valais, et à Changins. Le vin-vedette, ici, est un gamay de vignes replantées en 1980, sur une parcelle où les ceps furent arrachés en 1956, «Le Clos», un demi des 2 ha de vignes cultivées. Depuis vingt ans, le père a recommencé à vinifier et le fils suit depuis trois ans. Son gamay 2003 en barriques a obtenu un «Coup de cœur» à la sélection vaudoise du Guide Hachette 2006. Courte macération à froid, puis long cuvage, et une année en barrique ont donné un vin habilement construit. La passion des rouges ne se dément pas : les Poget ont planté des cabernets, sauvignon, franc et Dorsa, et du merlot. Les premiers essais de vinification sont en fûts. Pour le blanc, du gewurztraminer : le 2005, premier millésime, était très riche (plus de 100 degrés Oechslé) et le vinificateur lui a laissé un peu de sucre.
Une foison de cépages
Cette foison de cépages, on la retrouve à Arnex chez Jean-Daniel Gauthey. A 55 ans,  et vingt ans d’encavage, il fait figure d’ancien, déjà. «En 1986, c’est l’agriculture qui faisait notre beurre, aujourd’hui, s’il n’y avait pas la vigne, il n’y aurait plus vingt familles qui vivent de la terre ici», constate cet ancien de la coopérative qui fut parmi les premiers à voler de ses propres ailes. Pour les vingt ans de la cave, il a planté un arbre et baptisé sa cave Domaine de l’Orme. Le feuillu s’ajoute à un olivier, à l’orée du coin le mieux exposé — plein sud — de ses vignes dans le coteau d’Arnex, là où poussent syrah, plant-robert et même de la petite arvine! Logiquement, le vigneron se dit opposé «à réserver certains cépages à une seule région». Merlot, cabernet-sauvignon et viognier complètent la panoplie, en plus des classiques chasselas, gamay et pinot noir, de la variété «petit salvagnin». La nouvelle génération, Jean-Daniel Gauthey l’applaudit : «Plus nombreux on est, mieux on s’en sortira. C’est une excellente stimulation et un bon signe.»
Champagne au dessert
Fin de parcours avec Daniel Marendaz, 54 ans, qui cultive 5,5 ha de vignes à Mathod. Il vient de laisser à son fils les 40 ha de grandes cultures du domaine pour se consacrer en plein à sa passion. Son grand-père cultivait 14 ha jusqu’en 1956, où le gel le poussa à arracher les ceps, à condition de ne pas replanter dans les 25 ans. Le vignoble n’a donc ressuscité qu’en 1983. Autodidacte, le paysan-vigneron a toujours voulu «faire sa bouteille». Il a poussé l’exercice jusqu’à l’extrême : non content d’élaborer une quinzaine de vins, il s’est lancé, il y a dix ans, dans le mousseux «méthode traditionnelle». «L’idée a été très mal perçue… Pourtant, il faut appeler un chat, un chat : on est au pied du Jura. On devrait s’inspirer de la Champagne, climatiquement peu favorisée, mais qui a réussi à commercialiser le vin le plus connu de la planète! Chez nous, la qualité des raisins de base est supérieure à celle de la Champagne.» Aujourd’hui, il vend 8’000 bouteilles par an de vin effervescent et assure la prise de mousse à façon pour quelque 20’000 bouteilles. «Le mousseux est un vin super qui nous oblige à adapter la viticulture et la vinification au résultat qu’on veut obtenir.»
On croyait être dans le Pays de Vaud, on s’est retrouvé parfois en Bourgogne, dans les Côtes-du-Jura, voire le Valais, et maintenant, en Champagne. Un microcosme: le Milieu-du-Monde, quoi!

L’appellation des Côtes-de-l’Orbe en chiffres
Superficie 168 ha
Altitude des vignes 450 m à 550 m
Moyenne des précipitations 800 mm/an

Les 22 communes de l’AOC
Quatre communes se répartissent les 65% de l’appellation : Arnex, 43,15 ha, Orbe, 24,26 ha, Rances, 22,38 ha, Valeyres-sous-Rances, 21,51 ha. Derrière ce quatuor, deux communes avec plus de 10 ha de vignes, Mathod, 12,09 ha et Champvent, 11,89 ha. Les autres sont marginales : Agiez (4,48 ha), Baulmes (1,02 ha), Bavois (1,32 ha), Chamblon (0,83 ha), Chavornay (3,65 ha), Corcelles-sur-Chavornay (3,37 ha), Eclépens (2 ha), Essert-sous-Champvent (0,92 ha), La Sarraz (4,15 ha), Montcherand (4,61 ha), Orny (200 m2 !), Pompales (0,89 ha), Suscévaz (4,20 ha), Villars-sous-Champvent (1,16 ha), Yverdon-les-Bains (204 m2 !), Yvonand (0,19 ha). Ces 168,20 ha représentent 4,37% du vignoble vaudois. (Registre cantonal des vignes 2006)

Le terroir (sol et sous-sol)
Le vignoble des  Côtes-de-l’Orbe est dispersé sur de petits coteaux de marnes courts (200 à 300 m de long) et pentus (30% de pente en moyenne), exposés pour la plupart sud-est. Ces talus de raccordement entre des plateaux et la plaine sont très secs (86% des sols ne présentent pas d’excès d’eau) : ils ne reçoivent aucune alimentation en eau de l’amont.
Selon l’Etude des terroirs viticoles vaudois, les sols sont, pour plus de 50% des surfaces, directement issus de molasses (43% marno-gréseuses, 11% jaunes). En Pays de Vaud, avec le Vully, c’est le secteur viticole où la molasse est la plus directement impliquée dans la formation des sols. Les formations glaciaires représentent 30% des surfaces, réparties entre moraine de fond (20%) et moraine de retrait caillouteuse (10%).
Les coteaux ont été taillés par les eaux de fonte des glaciers du Rhône et du Jura. Les molasses datent de 30 millions d’années. Trois fois plus ancien (105 millions d’années), un particularisme unique pour le Pays de Vaud : à Rances, on trouve des calcaires durs de l’Urgonien, reliefs d’un ancien récif qui s’étendait de Neuchâtel aux Cévennes françaises. Ne concerne que 5% du vignoble.

Mode cultural
Taille guyot ou cordon royat, quelques rares gobelets, en mi-haute, avec une densité de 6500 pieds/ha.

Quantités produites
Un peu plus d’1 million de litres (1,064), répartis en quatre cinquièmes de rouge (825.000 l.) et un cinquième de blanc (236.000 l.). (Contrôle des vendanges 2006)

Producteurs de l’appellation
Plus des deux tiers des raisins des Côtes-de-l’Orbe sont achetés par les principaux négoces vaudois. Cela est dû au fait que le principal producteur est la Cave d’Orbe et environs, qui n’a pas de locaux de vinification, vend la vendange en «raisins ronds» à une dizaine d’acheteurs (voir reportage). Quelques maisons, comme Jean & Pierre Testuz SA, prennent en charge des vignes commercialisées sous le nom du village (par exemple Baulmes). Les Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe ont leur propre vignoble, le Clos de la Renarde. La plupart de la trentaine de vignerons sont aussi paysans de grandes cultures (céréales panifiables, betteraves à sucre, pommes de terre, fourrage). Plusieurs donnent leur vin à élaborer à La Côte ou à Lavaux et reprennent des bouteilles.

Manifestations liées au vignoble
Journées caves ouvertes début décembre, dans toute l’appellation. Les vignerons de la région de Champvent se réunissent à la salle communale (attention : parfois à une autre date que le reste de l’appellation !).
Le caveau des vignerons est ouvert l’été au cœur de Romainmôtier, de Pâques à fin octobre,  samedi, dimanche et jours fériés, de 11 h. à 19 h.. Il est tenu à tour de rôle par les vignerons eux-mêmes.
Pour la première fois, en 2007, les 28 et 29 avril, les artistes peintres du village d’Arnex s’associent aux vignerons-encaveurs pour une animation sous le nom des «Ateliers ouverts d’Arnex».
Marché des Senteurs et Saveurs à Orbe au printemps (mai).
Deux semaines avant les vendanges, «Ode à la vigne» au Restoroute de Bavois : pressée à l’ancienne, vente de raisin et de moût.
Mi-octobre, importante Foire des Sonnailles à Romainmôtier.
A l’approche de Noël, marchés à Orbe, Arnex et Baulmes (fin novembre).

Cépages
Cépages rouges
Gamay           76,40 ha
Pinot noir       33,05 ha
Garanoir        12,59 ha
Gamaret        10,56 ha
Cabernet-Sauvignon     0,09 ha
Ancellotta       0,07 ha
Merlot             0,06 ha
Diolinoir          0,05 ha
Syrah              0,05 ha
Cabernet franc 0,04 ha
Total                 133 ha

Cépages blancs
Chasselas             24,64 ha
Riesling X Sylvaner 2,05 ha
Chardonnay           1,24 ha
Pinot gris               0,78 ha
Pinot blanc             0,68 ha
Gewurztraminer     0,32 ha
Doral                      0,32 ha
Auxerrois                0,22 ha
Charmont               0,08 ha
Viognier                  0,03 ha
Muscat                    0,03 ha
Total             30 ha
S’ajoutent près de 5 ha d’autres cépages rouges (1,56 ha) et d’indéterminés (3,21 ha)

La dégustation
Les meilleurs assemblages rouges

Que valent gustativement les vins des Côtes-de-l’Orbe ? Pour obtenir un instantané, fixé par une dégustation, nous avons choisi des assemblages rouges. Car comme l’explique Christian Dugon, «le mariage de cépages permet d’élaborer des vins plus complexes, mais aussi plus stables dans le temps. L’assemblage permet de tirer le meilleur parti du fruit, du gras et des tanins spécifiques de chaque cépage, comme pour les bordeaux ou les côtes-du-rhône. Il n’y a que le pinot noir qui échappe à la règle, comme pour les bourgognes.»
Réunis par Bernard Gauthey, sept assemblages bicépages (par exemple gamaret-garanoir) et huit multicépages (sans détail sur l’étiquette — dommage pour le consommateur !) ont été soumis à la dégustation à l’aveugle à un quatuor d’experts : Nathalie Borne, meilleur sommelier romand 2003 et depuis peu, patronne de l’Auberge communale d’Aclens, Jean Solis, double champion suisse de dégustation, membre de la commission de dégustation du label Terravin, commerçant en vins et en eaux-de-vie, Nicolas Bourassin, sommelier au Montreux-Palace, restaurant Le Jaan, et Pierre Thomas, auteur de ce dossier, membre de la commission de dégustation du label Terravin et de plusieurs jurys internationaux. Ce quatuor a l’habitude de déguster, une fois par mois, pour le magazine de consommation «Tout Compte Fait».
Le verdict ? Huit vins mis en évidence, équitablement répartis entre les bi et les multicépages, distingués par des étoiles : ***, excellent vin ; ** très bon vin ; * bon vin.

***
Gamaret-Garanoir 2005, André et Pierre-Yves Poget, Agiez
Robe violacée; nez intense, marqué par la maturité, arômes de fruits noirs; attaque sur le friand, le fruité, la texture fine; en bouche, on retrouve les épices; un vin gras, charnu, corsé, flatteur sur les fruits mûrs. A boire sur une côtelette de porc charcutière.

Arpège 2005, Christian Dugon, Bofflens
Robe noire opaque; nez ouvert, arômes de fruits compotés, note de réglisse et de toasté;  attaque intense sur les fruits rouges et noirs, le poivre; texture grasse et veloutée, tanins un peu lourds; un vin très mûr, consistant et à la longue persistance gustative. A boire sur un carré d’agneau au thym.

**
Le Courson 2005, Garanoir-Gamaret, Cave du Château de Valeyres, Benjamin Morel, Valeyres-sous-Rances
Robe violacée; nez de fruits noirs, de cassis, de poivre blanc avec une nuance anisée; attaque sur la pureté du fruit; assez tendre, aux tanins fins; un vin charmeur, avec une finale un peu chaude (alcool). A boire sur une terrine de lapereau aux pistaches.

Château d’Eclépens 2005, Gamay-Gamaret, Réserve du Château, G. de Coulon, Eclépens
Robe presque noire; nez réservé, jeune, aux notes d’encre et de mûre; attaque fruitée, épicée; un vin tonique, sur des tanins fermes, rustiques; équilibré et de belle longueur. A boire avec des pieds de porc ou une bavette de bœuf à l’échalote.

Méganoir 2004, Domaine du Manoir, Valeyres-sous-Rances
Robe violacée; nez de fruits noirs, de fraise, épicé; attaque fraîche, qui rappelle un cabernet sauvignon très mûr; notes de mûre sauvage; un vin gourmand soutenu par une bonne acidité. A boire avec un filet de cerf sauce grand veneur.

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Diamant 2005, Gamaret-Diolinoir, Raymond et Landry Morel, Le Château, Arnex-sur-Orbe
Rouge profond; nez de cassis, de fruits noirs et empyreumatique; attaque tendre, sur des arômes de chêne; milieu de bouche doucereux; tanins serrés; un vin attendri et un peu asséché par le passage en barriques. A boire avec un canard à l’orange.

Arnoir 2005, Domaine de l’Orme, Jean-Daniel Gauthey, Arnex
Robe à reflets violacés; nez de girofle, un peu animal; attaque souple, marquée par le gaz carbonique; un vin rond et mûr, qui manque un peu de matière, et assez rustique. A boire avec une viande grillée ou un steack d’autruche…d’Arnex !

Assemblage 2005, Cave du Château de Valeyres, Benjamin Morel, Valeyres-sous-Rances
Robe atramentaire; nez ouvert, exubérant, parfumé, de noix de coco, de banane mûre; attaque fraîche, mais marquée lourdement par la barrique; sucrosité enrobée; un vin du style Nouveau Monde, difficile à situer… A boire sur un émincé de volaille au curry, genre riz Casimir.

Les autres vins dégustés: Gamaret-Garanoir 2004, Marcel Petermann, Agiez ; Cuvée Prestige 2004, cabernet-merlot, Daniel Marendaz, Mathod ; Les Pallins 2005, gamaret-garanoir, et Les Sonnailles 2005, Maryline Lavenex, Arnex ; Balinoir 2004 et 2005, Cave d’Orbe et environs ; Cépages Nobles 2004, Jacques et Bernard Gauthey, Arnex. Merci aux vignerons d’avoir mis leurs vins à disposition.

Dossier paru dans le no 30 du Guillon, revue de l’économie viti-vinicole vaudoise, au printemps 2007