Languedoc — Les ambassadeurs du Minervois
Les sommeliers sont parmi les prescripteurs les plus influents du monde du vin. Voyage-éclair avec quelques uns d'entre eux à Carcassonne, emmené par le régional de l'étape, Olivier Zavattin.
Par Pierre Thomas
Entre Toulouse et Narbonne, Carcassonne et ses murailles crénelées. C'est là, dans la citadelle qu'il y a une quinzaine, les vignerons font déguster leur nouveau millésime, le 99. Epreuve délicate: les meilleurs vins de la région, qui ont droit à l'AOC Minervois (sur 5000 ha, soit la surface du vignoble valaisan) sont des assemblages. Après trois mois de cave, chaque cuvée est encore logée séparément. L'exercice se borne donc à une dégustation brute et brutale, certes complétée par le débouchage de quelques bouteilles plus anciennes.
Même une histoire suisse
Reste la rencontre-éclair avec des hommes. A Oupia, à l'arrière de l'appellation Corbières, mais en plein Minervois, André Iché signe quelques uns des meilleurs vins de la région, sur les 55 hectares de son domaine: la cuvée Nobilis 91, par exemple, frappe par sa belle structure, sa complexité, ses arômes de goudron et son potentiel de vieillissement.
Cette bouteille a sa petite histoire… suisse. Lorsqu'il s'était installé à l'Hôtel de la Cité pour enregistrer son album «Carcassonne», Stephan Eicher s'était fait servir un vin qui l'enthousiasma, au point de vouloir rencontrer son «auteur». D'Eicher à Iché, il n'y a qu'un pas et quelques lettres… Et le rockeur suisse passa un après-midi de vendanges, puis le repas, durant lequel il trempa un doigt dans l'encre du vin. Il griffonna sur la nappe un dessin à la Cocteau: il est resté l'étiquette de cette cuvée Nobilis, tirée à 4000 exemplaires, les bonnes années seulement (comme 96 et 98, mais pas 97).
Le Château d'Oupia pourrait prétendre rejoindre la locomotive des appellations du Minervois, La Livinière, lancée sur le marché pour le millésime 97 seulement, et qui regroupe une cinquantaine de propriétaires sur cinq communes, attachés à une même philosophie.
Et une histoire belge!
C'est que le Minervois a d'abord acquis ses lettres de noblesse à l'exportation — où la Suisse n'apparaît qu'au septième rang, loin derrière l'Angleterre, l'Allemagne et le Danemark. Un instituteur belge, Guy Vanlancker, y a cru: installé depuis bientôt vingt ans, il est un des promoteurs de La Livinière. Il n'en revient toujours pas d'avoir débarqué ici, sous le soleil du Sud: «Tout était possible, mais les autochtones ne le savaient pas… On m'a pris pour un farfelu, lorsque j'ai décidé de vendre mes vins 100 francs français la bouteille (25 CHF).» D'ordinaire, l'appellation se vante plutôt d'être référencée dans tous les supermarchés de l'Hexagone! Vanlancker travaille sur deux domaines, le sien, La Combe Blanche, et celui d'investisseurs luxembourgeois, Cantaussel. Il réalise des vins pointus, nerveux, parfois secs au vieillissement, en raison d'un abus de bois. Mais il n'hésite pas à faire un carignan en macération carbonique — genre beaujolais — passé en barriques, ou à doser ses assemblages en fonction de la qualité propre au millésime: très fraîche et épicée cuvée Tradition de La Combe Blanche 98, faite de cinsaut, carignan, syrah et grenache, quatre cépages traditionnels, auxquels il ne manque que le mourvèdre.
Haut de gamme prometteur
Cette ambition, une jeune femme l'a relayée au Château La Croix Martelle. Dans les corridors de la citadelle de Carcassonne, on murmurait, l'autre jour, que jamais vignes ne s'étaient vendues si chères dans la région, l'année passée. Caroline de Beaulieu, œnologue et courtière en vins tournée uniquement vers l'exportation en Angleterre, aux Etats-Unis et au Canada, le dit sans fard: «Je crois aux vins de très haut de gamme du Minervois. Des vins qui possèdent la structure, la matière, le potentiel de garde et qui échappent à la comparaison avec les vins du Nouveau Monde. Avec nos assemblages, nous pouvons faire pièce aux vins de cépage.»
Un pari encore jugé audacieux entre Narbonne et Toulouse. Deux conceptions de la viticulture s'y affrontent: la région possède un fort potentiel de vins répondant aux exigences de l'AOC, mais où près des trois quarts se contentent de n'être que des «vins de pays», souvent monocépage, à haut rendement.
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en février 2000.