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Posted on 18 janvier 2017 in Vins suisses

Le Château d’Auvernier se met au parcellaire

Le Château d’Auvernier se met au parcellaire

Thierry Grosjean, le propriétaire, avec sa famille, de cet encavage important du vignoble neuchâtelois, vient de lancer deux sélections parcellaires de pinot noir de haut de gamme, qui ont le «poids» de futurs «grands crus», comme les prévoit la législation cantonale. Etat des lieux.

Le vénérable château de 1559 s’est doté, l’automne passé, d’une annexe pour mieux recevoir la clientèle privée, encore minoritaire (10% des ventes). Un bâtiment fonctionnel, pour loger du matériel de ce grand domaine entièrement mécanisé, devrait compléter le dispositif. Pour Thierry Grosjean, 61 ans, éphémère conseiller d’Etat neuchâtelois de 2010 à 2013, la mise sous toit de ce «triptyque» marquera aussi ses quarante ans de présence au Château d’Auvernier, en cette année 2017. Comme lui sorti de viti-œno à Changins, son fils cadet Henry, 27 ans, devrait être alors rentré d’un séjour dans le Nouveau Monde. Ainsi, la quinzième génération depuis 1603 sera en place…

Une affaire d’équipe

Au fil des siècles, la dizaine d’hectares de vigne est passée à 26 ha en propriété, auxquels s’ajoutent 17 ha en location et 20 ha en achat de vendange auprès de fournisseurs. Le domaine s’étend  d’Auvernier jusqu’à Cressier et au Landeron, en passant par Colombier, Boudry et Cortaillod, où il vient de s’adjoindre Les Joyeuses, un peu plus de 5 ha hectares d’un seul tenant, face au lac, dont les banquettes et les murs ont été refaits, et l’encépagement modifié.

Sur les étiquettes, le «château» est précédé du mot «caves du» et le nom du propriétaire suivi de «& Cie», pour bien montrer qu’il s’agit d’un travail d’équipe. Pour définir le profil des vins, un quatuor les déguste : le caviste Frédéric Droz, le «responsable qualité et formation», le gendre du propriétaire, Yann Vanvlaenderen, et Thierry Grosjean, bien sûr.

Quant à Yann Kuenzi, directeur pendant plusieurs années, il vient d’être nommé par le Conseil d’Etat neuchâtelois à la tête de Vins & Terroirs, l’office de promotion des produits du terroir. Il succède à Violaine Biétry-de Montmollin, élue à la fin 2016 à l’exécutif de la ville de Neuchâtel.

Deux tiers de pinot et une moitié d’œil

En quatre décennies, Thierry Grosjean a profondément modernisé le domaine. Chantre du Neuchâtel blanc, son grand’père Aloys de Montmollin se méfiait de l’encépagement en rouge. Aujourd’hui, quand on demande au maître de céans de résumer l’encépagement, il martèle : «Du pinot, du pinot, et du pinot !» C’est que le cépage bourguignon est polymorphe. Il couvre près des deux tiers des 43 ha cultivés par l’équipe du Château, et son chef de culture, Eric Muster. Près de la moitié est transformée en œil-de-perdrix, soit quelque 200’000 bouteilles et demi-bouteilles. Suit le rouge, en version «Tradition» (50’000 bouteilles) et en version «fûts de chêne» (20’000 bouteilles). Il existait déjà une «Réserve Carlos Grosjean» (le père de Thierry, homme politique avant lui), tirée des meilleures barriques. Les deux sélections parcellaires, les Grand’Vignes et Les Argiles, de 1500 bouteilles chacune, sont issues de pinot, planté dans deux endroits différents. Présentées pour la première fois dans le millésime 2014, certes moins riche que 2015, les deux vins ont un profil aromatique bien distinct : le premier paraît plus fin, plus nerveux, mais aussi plus boisé que le second, plus puissant, plus structuré et plus tannique.

Du non-filtré au sauvignon

Ici, les vignes sont (naturellement) vieilles, comme ce chasselas dont les derniers pieds ont été replantés en 1979 et qui ne représente plus que 15% de la surface. Ce qui n’empêche pas l’encavage de proposer un non-filtré, dès le troisième mercredi de janvier (10% du chasselas neuchâtelois). «On a des aficionados. Et le non-filtré est une philosophie : j’en vends toute l’année et celui que je préfère est celui que je mets en bouteille en mai !». Voilà un autre paramètre d’un grand encavage : les mises en bouteilles s’échelonnent tout au long de l’année, y compris pour l’œil-de-perdrix. Pour ce rosé, cheval de bataille du Château d’Auvernier, les techniques s’entremêlent: grands pressoirs pour un cuvage court, cuves de macération, mais aussi saignées sur les cuves de rouge, et malolactique faite sur certains lots, et pas sur d’autres, puis assemblage des unes et des autres.

S’ajoutent, en blanc, le chardonnay et le pinot gris, tous deux proposés en version «tradition» et «barriques». Plus récent, l’aromatique sauvignon blanc, planté en 2008. Puis cet unique assemblage Mosaïque, où le gamaret (60%) et le garanoir (38%) laissent au pinot noir (2 %) un rôle anecdotique : un vin rouge moderne, bien élevé, puissant et épicé. Sans oublier, dans une bouteille où l’étiquette fait référence au Château d’Yquem, un pinot gris liquoreux, qui peut se révéler d’une très belle tenue, après quelques années de bouteille.

Thierry Grosjean a aussi pris la présidence du projet de la Mémoire des vins suisses, qui vise à jauger les crus helvétiques dans la durée, celle qui a construit le Château d’Auvernier dans le temps, comme un phare du vignoble neuchâtelois. Le chardonnay barrique qui le représentait va faire place à l’une des deux sélections parcellaires, Les Argiles, qui s’est avérée la plus structurée dans son tout premier millésime…

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 11 janvier 2017