Des blancs aromatiques et… exotiques
Aromatiques et… exotiques
L’offre des vins blancs en supermarché s’ouvre toujours plus. Pour absorber l’arrivée des vins étrangers, mais aussi suisses. Dégustation au rayon aromatique.
Pierre Thomas
Qu’est-ce qu’un raisin, un cépage aromatique ? La question divise. Une chose est sûre, le chasselas, neutre et révélateur de terroir(s), n’est produit et bu qu’en Suisse. Il fut même le vin quotidien obligé, jusqu’à la levée des barrières douanières et l’harmonisation des contingents de blanc et de rouge en 2001. Conséquence, les Suisses ont consommé en 2006, un petit tiers de vins blancs (en diminution tendanciellement) et, pour cinq litres de vin blanc indigène, trois de vin blanc étranger. Si les importations ont globalement baissé, celle de blanc ont, elles, légèrement augmenté.
Un tiercé hétéroclite
Aujourd’hui, les rayons des supermarchés sont donc bien garnis de blancs d’origines diverses. A notre dégustation, c’est un vin issu d’un seul cépage, le torrontès, qui l’emporte. Un vin d’Argentine, idéal sur la cuisine asiatique ! Sur place, à Mendoza, j’ai assisté à d’épiques discussions sur la «typicité» de ce cépage. Car il en existe au moins trois variétés, certaines descendant des conquistadors espagnols, dont subsiste le criolla, croisé et recroisé depuis cinq cents ans. Le torrontès, légèrement musqué, peut rappeler, par le rapport entre les arômes, l’acidité et la richesse, la petite arvine valaisanne.
Derrière ce vin, un chenin blanc. Nos dégustateurs, habitués à ce cépage originaire de la Loire, sont restés perplexes devant son interprétation sud-africaine. A 2,95 fr. le flacon, c’est un «sous-marin» de la mondialisation. Au passage, avertissement au consommateur, il faut savoir lire les étiquettes : classé en queue de tableau, le riesling-sylvaner 2005, qu’on arrache en Suisse alémanique à grand renfort de subsides fédéraux, venait de… Hongrie, même s’il était embouteillé à Puidoux (VD) ! Si le chenin n’est guère aromatique, les cépages espagnols verdejo et viura, de Rueda, la meilleure région de vin blanc au Nord de la péninsule ibérique, donnent des blancs très agréables, «boostés» par la technologie moderne.
Muscat, le retour !
Trois muscats valaisans se glissent derrière le trio de tête. Les Valaisans s’étaient entichés de ce cépage, il y a cinquante ans. Il en subsiste 42 hectares dans le Vieux-Pays. Connu dès l’Antiquité, le muscat, décliné en multiples variétés, est le seul à rappeler le goût du raisin que l’on croque. Essayez avec du merlot, du pinot ou de la syrah : vous ne retrouverez pas sous la dent les différences que ces raisins engendrent en fermentant… Pour le muscat, c’est le contraire ! Il est souvent méprisé par les vignerons eux-mêmes, mais pas par les consommateurs, notamment ceux qui abordent le vin sans connaissances ni avis préconçus. Voilà qui explique pourquoi on retrouve ces vins en supermarché. Car la clientèle change. Et on n’est qu’au début des moyens pour l’approcher (lire lci-dessous). Il en faut pour tous les goûts… Ce que démontrent deux muscats, du fond du tableau: le premier, chinois, sans intérêt, sinon pour l’exotisme de son étiquette (illisible !) en mandarin, et le second, pour le moins curieux, comme un muscat destiné à être muté (style Beaumes-de-Venise ou Rivesaltes), mais qui serait resté bloqué à mi-chemin, lourd et grossier.
Enfin, deux assemblages suisses : l’«As de Cœur», vaudois, millésime 2004, est bien fait, sans plus, à base de chardonnay et de pinots, blanc et gris. Et «Le Mélomane» 2006 genevois, composé de riesling X sylvaner et de pinot blanc, égraine une mélodie dissonante… En résumé, les vins aromatiques s’adressent en priorité à ceux qui privilégient l’exubérance, au détriment de l’élégance et de l’harmonie.
Eclairage
Le consommateur suisse «profilé»
C’est une technique digne des meilleurs «polars» et de leurs «profileurs» : un négoce de gros lucernois, Bataillard AG, vient de faire établir une étude des habitudes de consommation du vin des Suisses. Sur la base d’entretiens avec plus de 500 personnes, en Suisse alémanique et en Suisse romande, il a été possible de dresser le portrait-robot de six types de consommateurs. Certains tombent sous le sens : les débutants (où les jeunes et les femmes dominent) et les «parfaites maîtresses de maison» (qui peuvent être des… hommes !). D’autres sont plus nuancés, entre les jeunes «suivistes» de la mode et des vins méditerranéens, les œnophiles au portefeuille bien garni ou les épicuriens ouverts à la découverte. Trois types plus affirmés en Suisse alémanique qu’en Suisse romande, où le consommateur s’avère encore traditionnel, respectueux de l’origine du vin et attaché, quantitativement aussi, au produit qu’il consomme, régulièrement. Ces «profils» vont servir au marketing : Bataillard s’est ainsi rendu compte qu’un vin rouge du Languedoc, «habillé» pour plaire aux femmes et aux nouveaux consommateurs, était, en réalité, acheté par des hommes d’âge mûr, habitués aux vins! Industrialisé, mondialisé, et «marketé», le vin, finalement, est un produit comme un autre. On s’en doutait !
Le jury de TCF
Nathalie Borne, Claudio De Giorgi, Arnaud Scalbert Jean Solis et Pierre Thomas, ont dégusté:
12 vins blancs de 2,95 à 15,75 fr.
1) Torrontès 2005, Santa Ana, Mendoza (Argentine), Coop, 8,90 fr., 14.6 sur 20 pts
2) Chenin blanc 2006, Zonnewyn (Afrique du Sud), Denner, 2,95 fr., 13.4
3) Grand Florès 2005, Rueda (Espagne), Coop, 8,90 fr., 13.4
4) Muscat 2005, Jacques Germanier (Valais/CH), Aligro, 11 fr. 13.4
5) As de Cœur 2004, Cave de Jolimont (Vaud/CH), Hyper Casino, 10,90 fr., 12.8
6) Muscat 2006, Giroud Vins Sion (Valais/CH), Hyper Casino, 15,75 fr., 12.8
7) Muscat 2005, Bibacchus, Bonvin-Varone (Valais/CH), Coop, 13,50 fr., 12.4
8) Sémillon 2004, Peter Lehmann (Australie), Coop, 13,50 fr., 12.4
9) Riesling X Sylvaner 2005, Hongrie, Denner, 2,75 fr. (50 cl), 12.2
10) Le Mélomane 2006, La Cave de Genève (GE/CH), Aligro, 8,70 fr., 11.8
11) Dynasty (sans année), Chine, Coop, 6,90 fr., 11.6
12) Muscat sec (sans année), Vignerons de Balma Venitia (France), Aligro, 8,20 fr., 11.2
Paru dans Tout Compte Fait, septembre 2007.