Vaud — Les Frères Dutruy, à l’Ouest, du nouveau!
A l’ouest, du nouveau
Bonne surprise du dernier Grand Prix du Vin Suisse, les frères Christian et Julien Dutruy, à Founex (VD), ont de l’ambition à revendre. Et dans une région, l’ouest de la Côte vaudoise, encore peu (re)connue.
Par Pierre Thomas
«Les frères Dutruy», selon la formule qu’ils entendent imposer comme marque, sont bien dans l’air de leur temps, celui de la relève dans les domaines agricoles romands. Passés tous deux par la maturité professionnelle à Marcelin (VD), ils en ont profité pour faire un détour par des horizons lointains. Au total, dix années d’expériences cumulées sur leurs épaules. Entre autres, pour l’aîné, Christian, 32 ans, qui vient de passer sa maîtrise fédérale en viticulture, une cave industrielle exploitée alors par le Valaisan Jacques Germanier en Afrique du Sud et le domaine Newton, à Napa Valley, en Californie ; pour le cadet, Julien, 27 ans, le double axe français de Beaune et de Bordeaux, avec stage dans les châteaux, puis un crochet par la Nouvelle-Zélande.
Un duo complémentaire
Un sacré parcours, qui montre l’ouverture sur le monde ! «Le titre au Grand Prix du Vin Suisse à Berne, le 19 octobre, m’a rappelé la fin de mes études à la Faculté d’œnologie de Bordeaux. Nous étions septante, appelés les uns après les autres, dans l’ordre des moyennes obtenues. Et finalement, plus que deux, une Colombienne et moi.» Julien Dutruy décroche le titre de «major» de sa promotion…
Les deux fils sont revenus sur le domaine paternel. Ils fonctionnent en complément et échangent leurs idées en permanence. A Christian, physique trapu, la gestion de l’entreprise, la pépinière viticole (qui permet de travailler toute l’année, y compris l’hiver, avec dix employés à plein temps) et l’organisation des vendanges («elle sont étalées sur cinq semaines»). Julien, longiligne, consacre l’essentiel à la cave (cinquante lots de vins différents), tandis que son amie, rencontrée durant ses études en France, Magali, fille de vignerons alsaciens, travaille depuis six mois sur l’image, le «marketing» du domaine.
Surface doublée en deux ans
On l’a dit, les frères Dutruy, ont de l’ambition. Leur père, Jean-Jacques, 63 ans, leur a laissé la bride sur le coup depuis deux ans. «La première année, ce ne fut que de la paperasserie, pour reprendre l’exploitation», explique le duo. Sur des terres mécanisables, en AOC Nyon, le domaine, morcelé en plusieurs parcelles, est passé de 12 à 25 hectares, en deux ans, avec même 2,5 ha agricoles transformés en vignes nouvelles… Et le projet, à l’horizon trois à cinq ans, de regrouper toute la cave sous un seul toit, à La Treille, à Founex, avec un chais pour deux cents barriques.
Les frères Dutruy misent résolument sur l’avenir. Deux tiers du vignoble est planté en rouge. «On a les terres pour faire de très bons rouges, ici», explique Julien, précis sur la nature des sols. «J’ai beaucoup appris sur la vigne en climat frais, sur des terroirs pas cuits par le soleil, qui favorisent la diversité des vins de garde. La fraîcheur du climat donne la fraîcheur aromatique», explique le cadet.
Nourris au vaste monde, «nous voulons rester Vaudois», disent-ils en chœur ; Christian en favorisant les cépages traditionnels, et Julien en évitant «les manipulations technologiques en cave». De là est née, à côté des vins de base du domaine, appréciés d’une clientèle, autant de restaurateurs (cinquante adresses, 30% des ventes) que des privés qui viennent à Founex le samedi matin, une ligne «haut de gamme», «Les Romaines», rappel des colonnes, vestiges visibles à Nyon.
Le gamay mieux encore que le gamaret
Parmi ces six «grandes réserves» (soit 15% de la production annuelle de 100'000 bouteilles actuellement), le gamaret jugé meilleur vin rouge suisse monocépage 2007 (hormis le pinot noir, le merlot et le gamay), dans sa version 2005, la première vinification de Julien Dutruy. Un vin sérieux, passé seize mois en barriques neuves, et non filtré. Le gamay, tant en 2005 qu’en 2006, lui aussi élevé en barriques (12 mois), de vieilles vignes (45 ans de moyenne) et de petit rendement (quatre grappes par ceps, 600 g. par mètre carré), est impressionnant. «J’en suis presque plus fier que du gamaret, confie Julien, car le gamay est plus difficile à travailler à la vigne comme à la cave.» Et ce vin-là n’a encore été présenté dans aucun concours… Voilà qui promet!
Paru dans Hôtel Revue du 8 novembre 2007.