Stéphane Décotterd, le plus étoilé des Fribourgeois
Stéphane Décotterd,
le plus étoilé des Fribourgeois
Par Pierre Thomas
Né à Billens, Stéphane Décotterd a toute sa famille en Gruyère. Mais il a vécu, avec ses parents, sur la Riviera vaudoise, à Corseaux, puis à La Tour-de-Peilz. «Mon père est boucher-charcutier de métier et chaque hiver, il faisait boucherie dans la campagne fribourgeoise. Mes deux grands-pères, paternel et maternel, sont de Vuisternens-devant-Romont et de Besencens, puis de la Tour-de-Trême.»
Côté viande, le jeune chef était paré, et, côté légumes, ses parents ont toujours cultivé un potager. Ses racines, il ne les oublie pas: sur son blog, qu’il vient d’ouvrir, www.stephanedecotterd.com, il donne sa recette de la soupe de chalet. Tôt, sa vocation ne fait guère de doutes: «Dès l’âge de 10 ans, je pensais devenir cuisinier, parfois ébéniste ou graphiste. Et puis, je suis entré en apprentissage chez André Minder, au Petit, à Saint-Légier (VD). J’ai beaucoup appris au contact d’un cuisinier d’instinct, un des plus talentueux que j’ai rencontrés. Nous n’étions que deux en cuisine. Il allait au marché, ramenait des légumes ou un poisson et disait: qu’est-ce qu’on va faire avec ça? C’était une bonne école… même si je ne m’en rendais pas compte.»
Le double rêve du Canada
Certificat en poche, le jeune homme veut voyager: «Je voulais aller au Canada, un rêve de paysan fribourgeois, ça… Ou en Australie. En 1994, j’ai été engagé au Savoy à Londres (réd. : fameux palace), mais mon permis de travail a été refusé, parce que la Suisse n’avait pas accepté l’Espace économique européen. Je suis revenu et j’ai passé par le Lausanne-Palace.» Comme tant de Fribourgeois, il accomplit son école de recrues à Savatan, chez les fusiliers de montagne, et devient sous-officier. Juste avant son engagement au Pont-de-Brent, chez Gérard Rabaey, il passe une saison d’été chez Pierrot Ayer, alors à la Fleur de Lys, en basse ville de Fribourg. Car comme Alain Baechler, des Trois-Tours, à Bourguillon, Pierrot Ayer est un élève de Gérard Rabaey.
Le couple Stéphane et Stéphanie Décotterd dans son décor renouvelé petit à petit (éclairage, tableaux, nappage, etc.) © photo Alain Wicht, La Liberté.
«Le 3 novembre 1998», se souvient-il, Stéphane Décotterd entre au Pont-de-Brent, où il rencontre celle qui devient sa femme, Stéphanie, une Strasbourgeoise passionnée par les vins et qui fut sommelier dans plusieurs restaurants. Après quatre ans, le jeune couple décide d’aller vivre au Québec. Pendant deux ans, ils travaillent dans un relais et châteaux et pensent s’installer dans un petit restaurant. Gérard Rabaey a besoin d’un second et il appelle le Fribourgeois: «On n’a pas hésité. On a tout vendu, puis traversé tout le Canada en voiture, liquidée à Vancouver, juste avant de rentrer en Suisse.»
De second à dauphin
Rapidement, le second devient le dauphin. L’implication est totale: Stéphane Décotterd prépare le concours du Bocuse d’Or. Il remporte la finale suisse, avec des plats inspirés par le menu de bénichon. Il ramasse «une claque» en finale européenne, où 10ème sur 12, il se qualifie de justesse pour le trophée mondial, à Lyon. En 2009, il y décroche une cinquième place: «Pour moi, c’était une belle victoire. L’expérience m’a permis de m’ouvrir. J’étais très introverti. Et puis, ça renforce la crédibilité dans le métier.»
Le temps de mettre en place la succession au Pont de Brent, prévue pour début 2011, il vit une intense année 2010: «Le restaurant était plein midi et soir. J’étais sur les rotules à la fin de l’année et dans un état contradictoire: Gérard Rabaey se dirigeait vers la sortie et pour moi, dans le même temps, tout allait commencer.»
Transition oblige, l’adresse perd sa troisième étoile au Michelin: «Je n’y tenais pas plus que ça! Je préfère travailler avec l’objectif de récupèrer cette troisième étoile qu’avec la crainte de la perdre. Même si le fait est passé inaperçu, deux étoiles au Michelin et 18/20 au GaultMillau d’emblée est une belle consécration. En débutant ailleurs, je n’en aurais pas eu autant!»
Nautrellement frileuse, la clientèle se tâte: faut-il y aller ou pas? Sucession forcément difficile par temps de ralentissement économique. Le nouveau patron de la maison a dû reformer une équipe, de neuf personnes, la plupart jeunes, en cuisine, et cinq en salles, pour 45 couverts, sous l’œil avisé de Stéphanie, qui s’occupe naturellement des vins et de la partie administrative. Avec leur fille Camille, 5 ans, ils habitent dans la maison.
Un changement dans la continuité
Après 14 mois, Stéphane Décotterd est confiant: «On y va petit à petit. Au Pont de Brent, c’est la continuité, mais je fais évoluer la cuisine à ma sauce, comme, par exemple, pour les desserts. J’ai gardé la découpe à table, un grand classique. Je commence à trouver ma voie au fil des cartes, qui ne changent pas d’un coup, mais évoluent au gré des saisons et des produits. J’ai gardé les mêmes prix des menus (195 fr. et 295 fr., lunch à midi en semaine à 95 fr.) mais j’ai introduit un menu surprise à 240 fr., qui permet de bien suivre le marché.»
A 36 ans — il les a fêtés la semaine passée —, Stéphane Décotterd revendique un rôle de cuisinier dans la veine classique de ce qu’il est convenu de nommer la «gastronomie française». «La cuisine moléculaire, ça n’est pas mon truc. Pas plus que la cuisine nordique, que je n’ai pas goûtée. Certains usages ne choquent plus: la lécithine de soja pour des émulsions, l’agar agar, que je n’aime pas, comme épaississant. Ou le pacojet, que je n’utilise que pour les sorbets. Je mets un point d’honneur à travailler les beaux produits. Les gens ont du plaisir avec du homard, de la truffe et du foie gras. Le client s’offre une table pour des plats qu’on ne mange pas tous les jours.» Ce qui n’empêche de transformer en petits chefs-d’œuvres la féra ou le lapin où chaque élément, traité séparément puis assemblé dans l’assiette, exhale des goûts subtils.
Inégaux sur la piste aux étoiles…
Ce mois, une autre succession «trois étoiles» s’annonce, à Crissier. Au 31 mars, Philippe Rochat, 59 ans, cède sa place à Benoît Violier, 41 ans, son chef depuis plus de 15 ans, et «meilleur ouvrier de France». Avec une vingtaine de pros en cuisine et l’épouse du nouveau patron en salle, une page se tournera à l’Hôtel-de-Ville. Stéphane Décotterd constate: «On ne joue pas dans la même écurie». Mais les deux équipages, comme en Formule 1, courent sur la même piste… aux étoiles.
*www.lepontdebrent.ch
Gérard Rabaey, parrain de la Semaine du Goût
Lausanne sera la «ville du goût» et fera démarrer ses animations, qu’elle veut populaires et de plein air, déjà dès le mois de mai (www.lausanne.ch/villedugoût2012).
Stéphane Décotterd, au milieu, avec, à droite, Gérard Rabaey, au moment de la passation des pouvoirs, en décembre 2010.
Paru dans La Liberté du 13 mars 2012.Version en PDF ici.