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Posted on 29 mai 2013 in Vins suisses

Le label Terravin a 50 ans et toutes ses dents

Le label Terravin a 50 ans et toutes ses dents

Le label Terravin, attribué aux vins vaudois, fête ses 50 ans. Il les célébrera le 6 juillet, en même temps que le (deuxième) Mondial du Chasselas, à l’endroit même où il a été fondé, à Yvorne. Et c’est là aussi qu’il a tenu sa dernière assemblée annuelle, le 2 mai 2013.

Par Pierre Thomas

L’occasion, pour son secrétaire, Philippe Herminjard, qui occupe la même fonction à la Fédération vaudoise des vignerons, de dépeindre un climat de consommation, surtout des vins blancs suisses et vaudois, en perte de vitesse (— 2,5%). Les blancs ont certes mieux résisté que les rouges (— 4,3%) en 2012 où, pour la première fois, les vins suisses bus dans l’année sont passés sous la barre des 100 millions de litres (sur un total de 267 millions, soit — 2,2%, vins suisses et étrangers confondus).

Non seulement les chiffres de la consommation ne sont guère réjouissants, mais la grande distribution fait pression sur les prix d’achat et de vente. Ces derniers ont baissé de 12 à 10,50 francs le litre de vin blanc vaudois en deux ans. Les «promotions» se multiplient, concernant près de 60% des ventes en grande distribution, à prix abaissés de 20 à 30% par rapport au prix «normal». Pour Philippe Herminjard, la situation du vin vaudois «ne va pas bien du tout». De plus, selon des enquêtes, la qualité des vins rouges devrait être améliorée. Et il faudrait se décider à exporter : les chiffres suisses restent ridiculement bas, avec moins de 600’000 litres de blanc qui ont passé la frontière en 2012, en légère baisse sur ces cinq dernières années. Les statistiques mentionnent pour 2012, un million de litres de rouge exporté, en baisse de 28%, mais y compris la réexportation de vins étrangers, de sorte que l’exportation ne concerne, globalement qu’un seul petit % de la production suisse… Alors que le «tourisme d’achat» avec les pays voisins ferait entrer près de 20 millions de litres par an, non mentionnés par la statistique officielle! L’admettre, c’est affirmer que seule la consommation de vin indigène baisse en Suisse.

De conserve avec le Gruyère AOP

Face à cette morosité, que peut faire Terravin? La «marque de qualité» participe à la promotion des vins vaudois. Le Conseil d’Etat vaudois le reconnaît et vient de reconduire une subvention de 150’000 francs par an sur cinq ans, à condition que les vins vaudois s’associent à l’Interprofession du Gruyère AOP, a révélé Pierre Monachon, vigneron-syndic de Rivaz, président de Terravin. «En hiver, nous collaborons déjà avec le Mont-d’Or et nous le ferons désormais avec le Gruyère».

Terravin fonctionne sous la forme d’une dégustation professionnelle avec, à la clé, l’attribution d’un label. Si 211 producteurs l’ont obtenu (dont 16 nouveaux venus en 2012), le volume labellisé est inférieur à 5% de la production vaudoise AOC. Une part qui montre certes l’«élitisme» de la démarche, mais encore faut-il le remarquer: «Sous les 10%, le label reste peu visible», commente Philippe Herminjard. En blanc, ce sont surtout les vignerons de Lavaux qui font l’effort de soumettre leurs vins (66, pour 140 vins blancs, soit 70% des vins «couronnés»).

Le médaillon doré apposé à l'orée d'une contre-étiquette (!), un rouge 60% carminoir et 40% dornfelder du Clos du Roussilon, à Tartegnin, propriété de Berthaudin.

Le médaillon doré apposé à l’orée d’une contre-étiquette (!), un rouge 60% carminoir et 40% dornfelder du Clos du Roussilon, à Tartegnin, propriété de Berthaudin.

Le message de Terravin, qui revendique de ne pas être un concours, est brouillée par deux faits. D’abord, c’est le macaron en forme de «médaille», estampillée «Lauriers d’or du terroir», qui marche le mieux. Ensuite, les «Lauriers de platine» qui, fin novembre, désignent le «meilleur chasselas vaudois de l’année» sont, bel et bien, une compétition, avec élimination directe, comme l’était la défunte Coupe Chasselas.

Des recettes de cuisine à la télévision

La vente des vignettes (1,3 million) assure l’essentiel du fonctionnement du système, avec la réinjection de 400’000 francs en promotion directe. Cette année, 16% de cette somme va à 80 petits films de 3 minutes. Ils seront diffusés par la RTS à une heure de grand écoute, avec des recettes de cuisine. L’association grands chefs et vins vaudois est très tendance, cette année : plusieurs vignerons (Raymond Paccot, Domaine du Daley, Uvavins) ont des cuvées «adoubées» par les meilleurs chefs vaudois reconnus (Girardet, Rochat, Violier, Ravet) et, dans la campagne en cours, les têtes du Soleurois Andy Zaugg, d’Edgard Bovier et de Benoît Violier apparaissent sur les affiches du label, «sans contrepartie».

D’Yvorne au canton : de l’eau dans son vin

Un demi-siècle après son élargissement à des vins de tout le vignoble vaudois et de toutes couleurs (chasselas d’abord, blancs ensuite, rosés, rouges et liquoreux), Terravin reste un des vecteurs de la promotion des vins vaudois.

Au début, la marque était réservée aux vins de la seule commune d’Yvorne. Trois personnalités (des mondes vitivinicole et politique, intimement liés) en furent les acteurs. Le syndic d’Yvorne Robert Isoz et Charles Deladoey, tous deux vignerons-encaveurs, fondèrent, en 1962, ce qui pouvait passer comme la première tentative solitaire d’appellation d’origine contrôlée, contre la volonté du négociant en vins Henri Badoux, voisin d’Aigle. Le microcosme vitivinicole oscillait entre l’affirmation de la singularité des vins «de village» vaudois, défendus par les coopératives locales et les vignerons-encaveurs, et la volonté d’étendre le périmètre de production et le pouvoir du négoce. C’est à cette période qu’apparut la règle de l’assemblage régional 49/51, permettant à un vin d’une commune de contenir du vin des voisines, à La Côte dès 1956, à Lavaux, dès 1963, et au Chablais, dès 1967 (mais seulement pour la «qualité litre»). Un assemblage tenace, puisque le 60/40, qui lui a succédé en 2009, est un compromis à l’intérieur des AOC, devenues régionales. Avec un coup de canif tout récent : Dézaley et Calamin ont reconquis, cette année, leur statut de Grands Crus, estampillés AOC. A l’époque aussi, pour répliquer au Fendant, l’appellation du chasselas valaisan protégée par son Conseil d’Etat, et au Perlant genevois, les Vaudois brandissaient la bannière générique du Dorin. Plus usité, le terme subsiste dans la législation vaudoise, comme le Salvagnin, vin rouge AOC générique vaudois.

Parti d’Yvorne, le label Terravin, localement bardé de contraintes de périmètre de production, de richesse en sucre et donc implicitement de contrôles serrés dans le terrain, a été généralisé à l’ensemble du vignoble vaudois, sous l’impulsion de son initiateur, Robert Isoz, également à la tête de la Fédération vaudoise des vignerons. Mais en y mettant «de l’eau sans son vin». Car, depuis un demi-siècle, le seul critère de l’attribution de ces «lauriers d’or du terroir» est la dégustation des vins par des professionnels choisis par cooptation.

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo du 23 mai 2013.

©thomasvino.ch