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Posted on 8 décembre 2013 in Tendance

Les vins suisses prennent l’ascenseur

Les vins suisses prennent l’ascenseur

Les vins suisses haussent le ton et… le prix. Et vont chercher à l’extérieur une reconnaissance jusqu’ici confinée à un marché local exigu. Quelques flacons ambitionnent de passer dans la catégorie supérieure des «produits de luxe». Etat des lieux.

Par Pierre Thomas

Coup de poker, cet automne, à Londres. Provins-Valais, par le biais d’une société anonyme distincte, y a lancé son assemblage Electus 2010. François Murisier est l’administrateur unique de Valais Mundi SA, en parallèle de son mandat de membre du conseil d’administration de la coopérative et de président de l’association VINEA à Sierre,

Jackpot présumé : 6 millions de francs suisses, pour 25’000 bouteilles à écouler au prix de 249 francs pièce. Du jamais vu, ni en niveau de prix, ni en quantité ! La coopérative valaisanne a doublé la mise par rapport à son voisin sédunois, Giroud Vins, déjà présent sur ce marché haut de gamme, avec trois millésimes de Constellation (2008, 2009 et 2011). Vendu 99 fr., la dernière version de ce «vin concept», muni d’une étiquette du graphiste genevois Roger Pfund, est un assemblage de merlot, de cabernets franc et sauvignon, de syrah, d’humagne rouge et de cornalin. Les six mêmes cépages que pour Electus, dans un ordre inverse, et auquel Provins a ajouté un peu de diolinoir.

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Avec l’expertise de deux Bordelais

Derrière ces deux assemblages, évidemment élevé en fûts de chêne, un conseiller de Bordeaux: Steve Blais, bras droit de l’«œnologue volant» Michel Rolland, pour Constellation, et Nicolas Vivas, pour Electus. Giroud Vins n’a pas épuisé  ses trois millésimes, tirés à 10 à 12’000 exemplaires chacun. Peu importe, dit-on à la cave de Sion, puisqu’on veut encourager une forme de collection. Pour l’instant, Provins n’en est qu’à un «one shot», pour démontrer à l’export que la Suisse peut aussi faire de grands vins rouges : des dégustations sont agendées à Hong Kong, Melbourne et Rio. A Londres, face à des bordeaux 2010 cotés sur le marché, l’«intrus» valaisan a terminé au troisième rang, ex-aequo avec Cos d’Estournel, mais derrière le duo de tête, Angelus et Pape Clément.

Le précédent du Tessin

«A plus de 100 francs, le vin doit parler tout seul», confie Luigi Zanini junior. Depuis quinze ans, son Castello Luigi est vendu en rouge (merlot avec un peu de cabernet sauvignon) plus de 100 francs, et en blanc, un pur chardonnay, presqu’au même prix. Zanini vient aussi de mettre sur le marché le Vinattieri 2011 à 150 francs la bouteille, alors qu’en 1985, ce merlot tessinois était proposé à 18,90 fr… «Il faut tenir compte de l’effort qu’il y a derrière, à la vigne et en cave. Et aussi du fait que, de par le monde, il y a beaucoup de gens prêts à dépenser 200 à 500 francs juste pour le prestige d’une étiquette», justifie le Tessinois.

Pourquoi les Suisses ne tenteraient-il pas, eux aussi, leur chance ? «Je constate que leur entrepôt est vide. Pourquoi vendre moins cher, si ça se vend à ce prix?», témoigne Paolo Basso, voisin de Zanini, à Ligornetto (TI). Et «notre» champion du monde des sommeliers, ajoute que, s’«il faut valoriser un vin d’exception produit dans un des plus beaux pays du monde», les producteurs suisses n’ont pas encore appris à «donner une marge suffisante aux revendeurs et à investir durablement dans le marketing et la promotion». Deux clefs du succès des vins suisses qui nécessitent d’investir à long terme.

Un produit de luxe qui a son prix

Pour le consommateur, payer un vin suisse si cher a-t-il un sens ? «La Revue de France l’a écrit naguère : aucune bouteille de quelle qu’origine que ce soit ne coûte plus de 20 euros (24 francs) à la production. On peut faire le même calcul pour un sac Hermès ou une Ferrari !», rappelle Paolo Basso.

A Zurich, lors de la présentation de Mémoire & Friends, à fin août, a confirmé une forme de hiérarchie par le prix. Une quinzaine de pinots noirs des Grisons, et une demi-douzaine de Suisse alémanique, affichaient un prix entre 40 et 60 francs. Et une quinzaine de merlots tessinois, entre 41 et 55 francs, sans compter, chez Brivio, le Platinum 2011 à 88 fr., chez Gialdi, le Trentasei 2009, à 93 fr. ,et chez Trapletti, le Nabumba 2009 à 111 fr. «On est encore bon marché en comparaison internationale même si, en qualité, nos merlots n’ont pas peur de se confronter avec les meilleurs du monde», argumente Luigi Zanini. C’est aussi le beau côté de la «thune», pour Marc Fischer, organisateur de vente aux enchères chez Steinfels à Zurich, où les vins suisses ne jouent pas encore de rôle: «Ceux qui aiment le vin suisse n’ont pas à payer des prix fous pour le boire.»

Retour sur investissement

Mais ça pourrait ne pas durer! Des projets d’investisseurs hors vignoble, en Valais, comme Histoire d’Enfer (jeu de mots sur «en faire»…), du médecin genevois Patrick Regamey, ou le Clos de Tsampéhro, du banquier genevois Christian Gellerstad, et les pinots noirs de l’ex-«business angel» Jacques Tatasciore, à Neuchâtel, ont mis la barre de la qualité, et, par conséquent, du prix, plus haut que n’osaient, jusqu’ici, les vignerons traditionnels… Exception faite de syrahs et cornalins valaisans (Maye, Mercier, Cornulus) de rares merlots valaisans (Cave Tsaline, Robert Taramarcaz) et des «grains nobles» liquoreux (M.-Th. Chappaz, F. Cottagnoud).

Eclairage

Vins suisses, même chers ? Pas un placement !

Si le prix des vins suisses augmentent, faut-il thésauriser et emplir sa cave en espérant revendre en faisant un coquet bénéfice ? A la tête de la maison de vente aux enchères Steinfels à Zurich depuis onze ans, Marc Fischer garde la tête froide : «Nous vendons des vins suisses, car il y en a dans les caves que nous récupérons chez les amateurs. La question qu’il faut se poser, c’est si le prix de vente sera supérieur au prix d’achat ? Et la réponse est clairement non ; pour les vins suisses, ça ne s’est pas amélioré. A part pour le pinot noir grison de Gantenbein, et pour Castello Luigi et Vinatierri, peut-être, il n’y a pas de demande… De belles choses sont parties lors de nos récentes sessions d’enchères (quatre fois par an) mais souvent même pas au prix d’achat. Donc, si je dois donner une recommandation, je dis : n’achetez pas de vins suisses comme investissement !»

«Les deux facteurs qui permettent de vendre aux enchères à un prix supérieur à l’achat, c’est la rareté et la réputation des vins. Bémol supplémentaire pour les vins suisses, ils ne sont pas réputés être des vins de garde. Le roi des ventes reste donc le bordeaux et, derrière, le bourgogne. Mais pour bordeaux aussi, il faut du temps pour que les prix s’apprécient : même les 2005 ne sont pas vendus plus chers qu’ils ont été achetés en primeurs. Et pour les 2009 et les 2010, il faudra avoir de la patience pour espérer vendre au-dessus du prix d’achat (réd. : très cher !) !»

«En règle générale, il faut savoir qu’un vin est revendu dans le commerce avec une marge de 20 à 40%. Les ventes aux enchères attirent surtout les marchands, pour 40 à 60% des vins. Nos clients sont donc des marchands qui tiennent compte de la marge qu’ils pourront réaliser en revendant le vin…»

Basée à Zurich, la maison Steinfels vend à 60% à l’étranger (sur un volume d’à peu près 8’000 lots, soit 50’000 bouteilles par an), notamment à Hong Kong et à Singapour, mais n’a pas de représentation dans ces plaques tournantes du vin asiatiques.

Cinq exemples de vins suisses chers

Pinot R(h)ein 2010

Cinq producteurs grisons (Adank, Cicero, Lampert et les frères Liesch), proposent cette unique cuvée de pinot noir, tirée à 3’500 bouteilles maximum. 52 francs. www.pinotrhein.ch

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Pur-Sang 2009

Inscrit à la Mémoire des vins suisses (www.mdvs.ch), le Neuchâtelois Louis-Philippe Burgat propose, depuis 2005, un des seuls pinots noirs romand positionné haut de gamme. 69 fr. www.chambleau.ch

Castello Luigi 2011

Dès le 1997, sur le marché en 2000, ce vin rouge (à majorité merlot avec un peu de cabernet sauvignon), tiré à 10’000 bouteilles, était jusqu’ici considéré comme le plus cher de Suisse. 94 fr. www.zanini.ch

Constellation 2011

Un assemblage de six cépages à la fois souple et de garde, au style «international». Avec un artiste signant l’étiquette à chaque millésime, effet «collector» recherché… 99 fr. www.giroud-vins.ch

Electus 2010

Provins-Valais propose son nouvel assemblage de sept cépages en principe uniquement à l’export. Mais on peut le commander, à 249 fr. la bouteille, par mail sur le site dédié: www.valaismundi.ch

V.O. de la page parue dans le magazine encore!, supplément lifestyle du Matin-Dimanche et de la SonntagsZeitung du 7 décembre 2013.

©thomasvino.ch