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Posted on 2 novembre 2014 in Vins suisses

Les AOC vaudoises font une nouvelle victime

Les AOC vaudoises font une nouvelle victime

Le Matin-Dimanche de ce jour, 2 novembre 2014, révèle que le principal courtier vaudois s’est fait prendre dans un coupage illicite de vin blanc de Saint-Saphorin. L’erreur porterait sur 2,5% d’excédent d’assemblage, sur un total de 60’000 litres, soit 75’000 bouteilles à destination de Coop. L’autorité à qui le chimiste cantonal vaudois doit dénoncer ce genre de cas, le préfet, a prononcé une amende de 4’000 francs. Mais le ministère vaudois a recouru, au motif que le courtier devrait rembourser la somme encaissée en plus, pour un Saint-Saphorin AOC Lavaux, plus prestigieux que le vin contenu dans la bouteille.

Par Pierre Thomas

Ce cas est intéressant. Il montre le laxisme de la législation vaudoise sur les AOC, notamment pour le chasselas. Jusqu’au règlement du 27 mai 2009, chaque «lieu de production», en réalité un périmètre déterminé géographiquement portant le nom de «village», était recensé comme AOC. En 2009, pour satisfaire (partiellement!) à des remarques faites par le Tribunal des communautés européennes sur l’AOC Champagne, les Vaudois ont corrigé le tir en découpant le vignoble en six AOC régionales. Puis, 1er avril 2013, ils ont rétabli Calamin et Dézaley dans une ssuper-AOC, mélangeant la notion d’AOC et de grand cru, ni coupé, ni ouillé.

Un trop large droit de coupage

Ce qui fait problème dans le découpage des AOC vaudoises, c’est précisément ce droit de coupage ou d’assemblage. Au passage, dans son explication, Le Matin-Dimanche oublie un élément aggravant. Sur l’assemblage «vaudois» toléré de 40% de la région de Lavaux ajouté à 60% d’un Saint-Saphorin AOC Lavaux, se superpose encore 10% de «coupage origine», mentionné par la législation fédérale. En réalité dans tout village mentionné sur l’étiquette avec l’AOC régionale vaudoise, il peut n’y avoir seulement 54,54% de vin provenant de ce «village» (déjà étendu à un périmètre nommé «lieu de production»).

Les «villages» sont réputés plus vendeurs que les AOC régionales : un Saint-Saphorin AOC Lavaux se vendra donc mieux qu’un Lavaux tout court ; un Aigle AOC Chablais, mieux qu’un Chablais… Mais le consommateur est induit en erreur : il n’y a pas que du Saint-Saphorin ni que de l’Aigle dans ces vins étiquetés avec, en gros, la mention Saint-Saphorin et Aigle. Par le passé, la grosseur de caractères de tels lieux mentionnés sur l’étiquette était précisée par la loi, qui y a renoncé…

Reste à savoir si un Saint-Saphorin AOC Lavaux se vend réellement plus cher que certains vins de marque simplement titrés AOC Lavaux, comme Le Coup de l’Etrier, de Testuz, par exemple… La réponse est non : ce dernier vin, en se «déclassant» AOC Lavaux, sur les rayons des magasins, n’a pas perdu le prix indiqué lorsqu’il mentionnait Epesses sur son étiquette.

Des villages et des grands crus dévalorisés

Malgré une légère amélioration, pour Lavaux, de la notion de coupage et d’assemblage, la pyramide des vins reste confuse. Par ce système, la production s’interdit de mieux valoriser les appellations village, comme Saint-Saphorin, Epesses, Féchy, le prix résultant d’un compromis entre la rareté du produit (s’il était pur, il serait évidemment plus rare !) et la réputation supposée (sachant qu’il n’y a que 54,54% de Saint-Saphorin dans une bouteille de Saint-Saph’ AOC Lavaux, jusqu’à quand le consommateur paiera-t-il davantage que dans un vin régional ?). Ce flou économique se retrouve dans les «grands crus», relégués à une appellation «village», ce qu’ils sont devenus de fait !

Les amendes affectées à la promotion?

Quant au montant des amendes, Pierre Keller, président de l’Office des vins vaudois, nous a glissé une intéressante proposition : qu’elles soient beaucoup plus salées et que ce montant soit versé à la promotion des vins ! Plus il y a de tricheurs, plus il y aurait d’argent pour la promotion, si possible de(s) meilleurs vins vaudois.

Pour l’instant, on n’en est qu’à aggraver le «dégât d’image», sans contrepartie. Et sans que le chantier des AOC vaudoises boîteuses paraisse avancer d’un millimètre.

Sans compter trois questions d’actualité:

a) comment justifier l’échelle différenciée de coupage et notamment ces 10% «par-dessus» l’AOC régionale dans le canton de Vaud ?

b) comment admettre que la chaptalisation est désormais du ressort des cantons, qui peuvent être plus tolérants dans leur règlementation AOC que la norme de base de la Confédération?

c) comment admettre que l’ajout de «moût contrôlé rectifié» (MCR) est lui aussi du ressort des cantons : le Valais s’est prononcé pour l’interdiction et Vaud, dit-on, devrait faire de même… mais ne l’a toujours pas officiellement communiqué ?

Pour ses 15’000 hectares (la taille du vignoble alsacien, limité en tout et pour tout à sept cépages — contre 50 et davantage ici…) la Suisse doit définir un cadre légal fédéral fixant des règles du jeu communes à tous ses vignobles (périmètre de l’AOC, définition des grands crus, catalogue des pratiques œnologiques tolérées, comme la chaptalisation ou le MCR, et suppression du droit de coupage de 10% dit «fédéral», uniformisation de la procédure de contrôles et de répression des fraudes, etc.).

En 2016, les AOC à la sauce helvétique fêteront leurs 25 ans : une bonne occasion de les revoir de fond en comble et de les rendre — enfin — crédibles !

Lire aussi ici.

©thomasvino.ch